Voici une légende que j’ai inventée en me basant sur l’histoire du Centre McKean de Chiang Mai. Il s’agit d’une histoire en trois parties.

PREMIERE PARTIE
Tout commence avec un éléphant fou
Il était une fois, dans le lointain pays de Chiang Mai, une créature pas comme les autres: un éléphant aux allures de trouble-fête, plus farfelu que vos rêves les plus bizarres. Cet éléphant, cadeau du prince Inthanon à son fils, aux bonnes intentions mais à la poisse incommensurable, ne savait rien faire comme les autres éléphants.
Dès son arrivée sur l’île tranquille du fleuve, l’éléphant se comporta comme un roi capricieux. Il dévora les jardins des villageois, abattit leurs greniers et, pour couronner le tout, fit de leurs modestes maisons son propre terrain de jeu.

Les habitants, désemparés face à cet éléphant des plus singuliers, prièrent le ciel de leur envoyer quelqu’un pour les délivrer de ce monstre malicieux. Et c’est là que le destin intervint avec un clin d’œil sournois.
Le médecin occidental, le Dr James W. McKean, homme au cœur vaillant et à l’œil unique (oui, il avait perdu la vue de son œil droit dans des péripéties qui faisaient partie de sa collection personnelle d’infortunes), se trouva, par la volonté des étoiles facétieuses, être le sauveur inattendu.
Un jour, alors que l’éléphant régnait en tyran sur son île, le Dr McKean, courage en bandoulière et détermination en guise de boussole, arriva avec une idée aussi loufoque que l’éléphant lui-même. Il s’approcha de l’animal capricieux et lui parla avec une éloquence que seules les créatures magiques pouvaient comprendre.
« Ô noble pachyderme, laissant derrière toi un sillage de chaos et de destruction, il est temps de changer ton destin. Viens avec moi, et ensemble, nous forgerons une alliance pour le bien de Chiang Mai et de ses habitants.
Je suis le guérisseur des âmes lépreuses, et j’ai besoin de ta force titanesque pour édifier un refuge, un Village des Lépreux, où l’amour et la compassion dépasseront les ravages de la maladie. Ensemble, nous bâtirons un havre de paix, un écrin de dignité au cœur de l’adversité. »
L’éléphant, étrangement compréhensif, acquiesça de sa tête majestueuse, comme s’il comprenait le langage secret du médecin.
Ainsi naquit une alliance improbable, entre le guérisseur des lépreux et l’éléphant majestueux, destinés à créer un refuge dans l’ombre des maux de ce monde.
Le duo se mit au travail, transformant l’île dévastée en un havre de paix et de convivialité.
L’éléphant farfelu devint le gardien de l’île, protégeant plutôt qu’exploitant, tandis que le Dr McKean, avec son unique œil perçant, continuait ses œuvres charitables, laissant derrière eux une légende aussi étrange que merveilleuse.
Et c’est ainsi que Chiang Mai, vécut heureuse et en paix, laissant derrière elle les jours tumultueux de l’éléphant farceur.

DEUXIEME PARTIE
Une noyade …
Le village lépreux, perdu dans les méandres du temps et des arbres majestueux, était bercé par le murmure de la rivière qui traçait son chemin avec une sérénité obstinée. Les clôtures blanches des maisonettes, parées de roses et de plantes grasses, célébraient la vie qui persistait malgré les souffrances.

Au cœur de ce tableau, notre éléphant majestueux, compagnon silencieux des lépreux, se tenait sous les grands arbres de chaulmoogra. Sa peau, épaisse comme les années passées, portait les cicatrices d’une époque oubliée. Il avait été témoin de la souffrance des lépreux, partageant leur quête d’un havre de paix.
Les lépreux, avec leurs mains abîmées et leurs visages marqués, trouvaient en l’éléphant un confident muet. Il les accompagnait au bord de la rivière, observant leurs rituels de pêche et de baignade. Lorsque la nuit tombait, il devenait le gardien du village, une sentinelle aux oreilles larges.

Un jeune lépreux, aveugle et frêle, s’aventura au bord de la rivière. Son corps portait les stigmates de la maladie, une symphonie dissonante de cicatrices et de plaies béantes. Il se déshabilla, révélant une tragédie vivante dans la danse implacable de la maladie.
Alors qu’il se plongeait dans l’eau verdoyante, une étreinte insidieuse du courant fluvial faillit le submerger. Le garçon perdit l’équilibre, emporté par les eaux capricieuses de la rivière. Ses yeux aveugles ne pouvaient percevoir le danger imminent, ses mains rongées cherchant vainement une bouée invisible.
C’est alors que notre éléphant, silhouette énorme dans le crépuscule, devint le héros inattendu de cette tragédie. Le pachyderme, colossal gardien de l’humanité brisée, se précipita vers la rivière. Avec une grâce inattendue, l’éléphant enveloppa de sa trompe le corps vulnérable du jeune lépreux, le soulevant hors des eaux tourmentées.
Le garçon, secouru par la grâce inattendue de l’éléphant, émergea de l’onde comme un naufragé sauvé par un ange collosal. Les disparités de son visage semblaient refléter une gratitude insaisissable, cette scène était une alliance entre la détresse humaine et la bienveillance animale.
Ainsi, dans l’ombre du crépuscule, l’éléphant devint le sauveur de cette histoire. Les habitants du Village des Lépreux, témoins de ce miracle, honorèrent cet éléphant comme un lien entre la tragédie et l’espoir, une créature sage dans un monde d’épreuves.

TROISIEME ET DERNIERE PARTIE
Epilogue …
Dans les échos étouffés du passé, le village des lépreux, jadis consacré à la lutte contre la lèpre, s’était transformé en un havre paisible pour les personnes âgées. Les années avaient doucement effacé la menace de la lèpre grâce aux progrès médicaux, et le village avait évolué, accueillant des constructions plus confortables, équipés d’un hôpital pour les soins de la vieillesse.
L’éléphant, autrefois le protagoniste d’une légende tumultueuse, était maintenant un souvenir flou. Des débats persistaient quant à sa couleur, oscillant entre le noir, le blanc (il était un éléphant royal souvenez-vous!), ou même le rouge, selon les versions excentriques des habitants. Certains sceptiques prétendaient documents à l’appui, que l’éléphant fou était déjà décédé au moment de la création du village des lépreux par le Dr McKean, tentant de rationaliser la folie des contes légendaires.

Lors de l’épidémie de Covid en 2020, l’île qui avait jadis mis les lépreux en quarantaine du monde s’était transformée en un sanctuaire protecteur pour ses nouveaux résidents, les habitants âgés du village. Les grilles, autrefois symboles de séparation, se refermèrent cette fois-ci pour préserver les insulaires des malades du monde extérieur alors que l’épidémie faisait rage. L’histoire, ironiquement, semblait jouer avec les rôles, transformant un lieu chargé de connotations négatives en un refuge salvateur pendant cette période contemporaine d’incertitude médicale. Ainsi, l’île, témoin silencieux de tant d’histoires, continuait à écrire ses chapitres dans le livre vivant du Village des Lépreux.
En l’an 2023, alors que le McClanahan Theatre, érigé en 1929 se prépare pour une nouvelle représentation, les murmures de l’histoire passée résonnent encore. C’était en 1930 que la légende de l’éléphant fou a pris vie sur cette scène, provoquant des éclats de rire et des festivités inoubliables.

La pièce, puisant dans la folie et la légèreté de cette époque révolue, a été réinterprétée pour la génération actuelle. Les habitants du village, désormais des personnes âgées, se rassemblent dans le théâtre, dont la décoration éléphantesque rappelle les légendes passées. C’est ici que l’histoire burlesque de l’éléphant fou, autrefois acteur farfelu, trouve une résonance nouvelle. Le théâtre McClanahan devient un portail temporel, fusionnant le passé et le présent dans une danse comique où l’éléphant excentrique est toujours la vedette. Les rires, jadis éclatants dans les années 1930, résonnent à nouveau, mêlant les générations dans une célébration joyeuse de la continuité de cette histoire improbable. Ainsi, le McClanahan Théâtre, imprégné de la légende de l’éléphant, continue de vibrer au rythme intemporel du rire et de la comédie.
L’histoire se perpétuait, contée à travers les générations, un hommage vivant aux vies transformées et à l’évolution d’un lieu qui avait jadis porté le fardeau de la stigmatisation pour devenir un symbole de résilience et d’espoir.

Les photos ont été prises sur l’île de Koh Klang, Chiangmai, Mc Kean Center en 2019, 2020 et 2023. Le récit est issu de l’imagination de Frédéric Alix en 2023 sur la base des documents historiques.
Bibliographie
- Chiengmai Leper Asylum, 1908-1929, written by Dr. James W. McKean, Siam Outlook, October 1929, pp 366-369
- The Leper Village, 1926, written by Ebbe Kornerup, Friendly Siam, pp 53-56
- Enchanted Land, Foreign Writings about Chiang Mai in the Early 20th Century, by Graham Jefcoate,
- McKean Senior Center History, written by Heather Smith.




Le récit et ses photos : de Frédéric Alix, 2019, 2020, 2023

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