Les Môns comptent parmi les plus anciens peuples autochtones d’Asie du Sud-Est continentale. Présents dans la plaine centrale de Thaïlande et le sud du Myanmar, ils ont développé dès le VIᵉ siècle une brillante civilisation connue sous le nom de Dvāravatī. Ce terme, qui signifie littéralement en sanskrit « le royaume des portes », exprime l’idée d’un lieu ouvert aux échanges, à la fois passage et carrefour culturel. Ouverts aux influences indiennes et aux réseaux commerciaux maritimes, les Môns ont joué par la suite un rôle décisif dans la transmission du bouddhisme theravāda.

I. La civilisation môn de Dvaravati
Les peuples Môn sont considérés comme les habitants autochtones de la plaine centrale de Thaïlande et du sud du Myanmar. Leurs cités-États étaient indépendantes, dirigées par des chefs locaux, mais se trouvaient souvent sous la suzeraineté de l’Empire khmer d’Angkor, qui exerçait une forte influence culturelle, religieuse et artistique. Les Khmers diffusèrent leur architecture monumentale, l’iconographie hindoue et bouddhiste mahāyāna, ainsi que certaines pratiques administratives, sans pour autant imposer une domination militaire directe.
Dans ce contexte, la civilisation môn de Dvāravatī (VIᵉ–XIᵉ siècle) développa des cités fortifiées, des sanctuaires bouddhistes et une culture originale, où l’agriculture irriguée, l’artisanat raffiné (perles, poterie, travail du métal) et le commerce constituaient les piliers de l’économie.



II. Les cités môn de Dvaravati en Thaïlande
Parmi les cités de Dvāravatī, Lavo (Lopburi) se distingue comme centre politique et culturel majeur, tandis que Nakhon Pathom devient un haut lieu du bouddhisme, avec ses imposants stupas. Si Thep et U Thong, véritables carrefours commerciaux, reliaient la plaine centrale aux régions voisines. Khu Bua, près de Ratchaburi, illustre une communauté môn prospère, vivant de l’agriculture et de l’artisanat, mais surtout intégrée aux réseaux commerciaux vers le golfe de Thaïlande.

Phimai, plus au nord-est, montre l’intégration progressive des territoires môn dans l’empire khmer. Construite sur une base môn-dvāravatī, elle devint au XIᵉ siècle un centre religieux et administratif d’Angkor, célèbre pour son grand temple khmer orienté vers la capitale impériale.

III. Les centres môn en Basse-Birmanie
Dans le sud du Myanmar, les Môns jouissaient d’une relative indépendance. Thaton, Pegu (Bago) et Martaban (Mottama) étaient des ports actifs, tournés vers la mer d’Andaman, bénéficiant de riches échanges avec l’Inde et le Sri Lanka. Ces cités, selon la tradition, appartenaient au territoire mythique de Suvaṇṇabhūmi, la “terre d’or”, réputée pour ses richesses et son rôle de carrefour religieux et culturel.

IV. Le tournant du bouddhisme theravāda
Comment l’arrivée des missionnaires cinghalais et du Tripitaka à Thaton a-t-elle provoqué une révolution spirituelle et politique, transformant la gouvernance des Môns et influençant durablement les grands royaumes voisins comme Bagan, mais pas Angkor ?
Depuis le IIIe siècle av. J.-C., le Sri Lanka est le gardien des traditions bouddhistes theravāda, et ses missionnaires parcourent l’Asie du Sud-Est pour diffuser leur foi.

À partir du Xe siècle, un tournant décisif se produisit avec l’arrivée des moines cinghalais venus du Sri Lanka. Ils apportèrent les Tipiṭaka (textes sacrés du bouddhisme theravāda) ainsi que de nouvelles pratiques monastiques, qui provoquèrent une véritable révolution tranquille. Les temples se transformèrent en centres de savoir, de diffusion religieuse et de légitimité politique. Les chefs et rois locaux commencèrent à fonder leur autorité sur la morale bouddhiste, la « bonne gouvernance », et non plus uniquement sur les cultes animistes ou les influences hindoues et mahāyāna.
Alors qu’Angkor demeurait attaché au brahmanisme et au bouddhisme mahāyāna, le royaume de Bagan en Birmanie saisit l’opportunité d’intégrer cette nouvelle légitimité religieuse. En 1057, le roi Anawrahta conquit Thaton, emportant avec lui les manuscrits, les reliques et les moines érudits môn, assurant ainsi la diffusion du theravāda dans toute la Birmanie. Cet événement marque l’intégration progressive des cités môn dans un réseau politique et religieux dominé par Bagan.

V. L’héritage môn

Certaines cités môn connurent une destinée particulière. Lavo (Lopburi) envoya la princesse Cāmadevī fonder Hariphunchai (Lamphun), premier royaume môn theravāda du nord de la Thaïlande. Hariphunchai devint un modèle pour les royaumes thaïs ultérieurs, notamment Lanna et Sukhothai, qui adoptèrent à leur tour le theravāda.
D’autres, comme Si Thep ou U Thong, disparurent comme entités politiques, mais leurs vestiges archéologiques témoignent aujourd’hui de la richesse culturelle et religieuse de cette civilisation. Les Môns restèrent au cœur des réseaux commerciaux reliant l’Inde, le Sri Lanka, la péninsule malaise et la Chine, mais leur autonomie politique s’effaça avec l’expansion de Bagan, puis celle des royaumes thaïs.
Peu à peu, les Môns furent absorbés dans le tissu ethnique et culturel de la région. Aujourd’hui, ils ne subsistent plus qu’en tant que minorité, principalement dans le sud-est du Myanmar, mais leur héritage — temples, traditions religieuses, art et diffusion du bouddhisme theravāda — demeure un pilier fondateur de l’histoire de l’Asie du Sud-Est.

Conclusion
La civilisation môn, regroupée sous le terme Dvāravatī, fut l’une des premières grandes cultures d’Asie du Sud-Est continentale. Elle sut assimiler les influences indiennes, commercer avec le monde maritime, et surtout transmettre le bouddhisme theravāda qui allait marquer en profondeur le destin des royaumes birmans et thaïs. Bien que les Môns aient été peu à peu absorbés par leurs puissants voisins, leur héritage religieux et culturel perdure : ils ont été les passeurs de civilisation, reliant la plaine centrale de Thaïlande, la Basse-Birmanie et l’océan Indien à un vaste réseau d’échanges spirituels et commerciaux.
Le texte et toutes les photos ©Frédéric Alix – merci de m’avoir lu





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