Salaween.blog

A travel journal through culture and history. – blogging since 2014

Voyage historique en Transylvanie

À la fin du texte, vous trouverez le lien vers ma vidéo publiée sur YouTube.

Transylvanie, XIIe siècle : L’appel des rois hongrois

1143, royaume de Hongrie. Le roi Géza II regarde vers l’est : des forêts immenses, des montagnes infranchissables, et une menace grandissante – les nomades pilleurs, les Ottomans en marche. Il a besoin de soldats, d’artisans, de paysans pour défendre et cultiver ces terres. Alors, il lance un appel à travers l’Europe : « Venez, et ces montagnes seront vôtres. » Ils viendront. D’abord, les Chevaliers teutoniques, moines-soldats en armure noire, rêvant d’un État allemand en Europe de l’Est. Mais leur ambition dérange. En 1225, le roi les chasse. D’autres répondront à l’appel : les Saxons. Des milliers de colons allemands traversent le continent, franchissent les Carpates. Ils trouvent une terre qu’ils jugent « sauvage ». En effet, ces vallées sont déjà peuplées : les Seklers, guerriers hongrois, et les Roumains, descendants des légions romaines, bergers et paysans depuis des siècles. La cohabitation sera difficile. Les murs vont monter. Et l’histoire de la Transylvanie va changer à jamais.


Alma Vii, XIIIe siècle : Les premières pierres

Alma Vii, 19/06/2025

Alma Vii, 1250. Ici, sur cette colline, les Saxons posent les premières pierres de leur rêve colonial – et de leur peur. Une église, oui, mais surtout une forteresse. Les remparts épousent la forme de la colline, comme une couronne de pierre. Pour les Saxons, cette terre est hostile. Pour les locaux, ces nouveaux venus, avec leurs outils en acier et leurs chartes royales, sont des étrangers trop riches, trop armés. Les vignobles s’étendent au pied des murs. Le vin coule, mais la méfiance aussi. De plus, on murmure le nom des envahisseurs qui viennent du sud : les Ottomans. Et puis, il y a ces autres princes, ces voisins de Valachie, la contrée plus au sud…


Biertan, XVIe siècle : L’âge d’or et ses ombres

Biertan, 19/06/2025

Biertan, XVIe siècle. Les Saxons prospèrent. Leurs villages sont des forteresses, leurs églises des chefs-d’œuvre. Mais quelque chose change. Le 31 octobre 1517, un moine augustin, Martin Luther, cloue ses 95 thèses sur la porte d’une église en Allemagne. Un geste qui va embraser l’Europe. En 1570, la Transylvanie, elle aussi, bascule dans la Réforme. À Biertan, les messes ne sont plus dites en latin, mais en allemand, et bientôt en roumain. La foi est en rupture avec Rome.

Une maison adjacente à l’église sert decellule aux couples en conflits : la prison matrimoniale. Ils y étaient enfermés jusqu’à leur réconciliation. Un lit, une table, une clé jetée par le prêtre. Une leçon : l’unité de la communauté à tout prix.

Biertan, 19/06/2025
Biertan, 19/06/2025
Biertan, 19/06/2025

Entre Dieu et la peur

Brasov, 14/06/2025

Les fresques racontent des histoires bibliques, mais les murs, eux, parlent de guerre : tours de guet, douves, ponts-levis. Chaque détail est une réponse à la peur. On murmure les exploits de Vlad Ţepeş, on le surnomme Dracula, l’empileur d’Ottomans. Est-il un rempart contre les Turcs ? Ou un monstre bien pire ? Personne ne sait. 

Alors, on renforce les portes. On stocke les vivres. Et on attend. Car en Transylvanie, la peur n’a pas de camp.

Prejmer, 15/06/2025
Biertan, 19/06/2025

Prejmer, La forteresse inébranlable

Prejmer, 15/06/2025

Prejmer, la plus grande église fortifiée d’Europe de l’Est, a résisté à plus de 50 sièges ottomans. Cinquante fois, les envahisseurs ont tenté de la prendre. Cinquante fois, ils ont échoué.

Une architecture conçue pour la survie

  • Douze mètres de murs : Des remparts si épais que les flèches et les boulets ne pouvaient les percer.
  • Un labyrinthe de couloirs secrets : Permettant aux défenseurs de se déplacer invisiblement et de stocker des vivres pendant des mois.
  • Un refuge pour 1 600 âmes : L’église gothique, au cœur de la forteresse, pouvait abriter toute la population du village en cas de siège, avec ses cinq niveaux de défense et son puits intérieur.
  • Un système de défense ingénieux : Des meurtrières stratégiquement placées, des tours de guet et des douves rendaient toute attaque presque impossible.

Une légende vivante Prejmer n’a jamais été prise. Les chroniques de l’époque racontent que les Ottomans la surnommaient « le nid maudit », tant elle leur résistait.


Vlad Ţepeş, dit Dracula

Vlad Ţepeş, un prince chrétien qui punit les siens. « L’Empaleur d’Ottomans » – c’est ainsi que ses victimes le surnomment, pour ses milliers de soldats turcs empalés aux portes de ses villes. Pourtant, le nom de Dracula (fils du Dragon, de l’ordre du Dragon) lui viendra bien plus tard, popularisé par les chroniques allemandes et les récits du XIXe siècle.

Fils de Vlad Dracul, né vers 1431, il règne sur la Valachie. Otage des Ottomans dans sa jeunesse, il en gardera une haine implacable. Mais c’est contre ses propres sujets – Saxons de Transylvanie ou boyards valaques – qu’il frappe avec la même brutalité.

Son histoire sera écrite bien plus tard, déformée par les pamphlets saxons et les romanciers. Bram Stoker, au XIXe siècle, en fera un vampire. Mais en 1462, Vlad n’est qu’un homme : un prince impitoyable, haï et admiré, dont la légende naît dans le sang et la peur.

Bran, 16/06/2025
Le Château de Bran au sud de Brașov est dit « Le Chateau de Dracula » toutefois il semble qu’il n’y ait séjourné que peu de temps.

Brașov, 1459 : La cité marchande qui défia Dracula

Brasov, 14/06/2025

Une ville de marchands prospères En 1459, Brașov est une cité florissante sous le contrôle des Saxons. Leurs maisons colorées bordent des ruelles pavées, et leur Église Noire se dresse fièrement au-dessus de la place, symbolisant 73 mètres de défi et de puissance.

L’arrivée de Vlad Ţepeş Un matin d’automne, la fumée noircit soudain le ciel. Vlad Ţepeş est aux portes de la ville. « Vous qui commercez avec l’ennemi, vous méritez le même sort », lance-t-il aux marchands saxons. Les faubourgs de Brașov s’embrasent. Les portes de la ville se ferment, mais il est trop tard pour éviter la destruction.

La naissance d’une légende À Brașov, la légende de Dracula ne naît pas dans les livres, mais dans les flammes des faubourgs en feu. Pour les Saxons, Vlad est un monstre assoiffé de vengeance. Pour les Roumains, il est un héros défendant la terre contre les envahisseurs. L’Histoire, ici, dépend de celui qui la raconte.


1542 : La Réforme et ses innovations

Un tournant religieux et culturel En 1542, la Réforme protestante atteint Brașov. Les Saxons adoptent le luthéranisme, et l’Église Noire, autrefois catholique, résonne désormais de chants luthériens. La Réforme n’est pas seulement une affaire de foi, mais aussi une question de pouvoir.

Brașov, capitale culturelle Les Saxons introduisent des innovations majeures :

  • L’imprimerie : Ils impriment les premiers livres en roumain, marquant le début d’une littérature locale.
  • L’éducation : Des écoles sont fondées, où le latin et le slave se rencontrent.
  • La foi comme arme : Le luthéranisme devient un outil de résistance, non seulement contre Rome, mais aussi contre la menace ottomane.

À Brașov, la foi, le commerce et la culture se mêlent pour faire de cette cité un phare de la Transylvanie médiévale.


Sibiu, aujourd’hui : Ce qui reste de la pierre et des hommes

Sibiu, 20/06/2025

Sibiu, XXIe siècle. Les Saxons sont partis. Il en reste à peine quelques milliers, contre des centaines de milliers avant la chute du communisme. Leurs églises, elles, sont toujours debout. L’église évangélique de la rue Huet dresse encore sa tour vers le ciel. Sous ses arcades, les artisans saxons sculptaient des retables baroques. Aujourd’hui, ce sont les Roumains, orthodoxes et latins, qui en prennent soin. La Transylvanie n’est plus une frontière. Elle est le cœur d’une Roumanie fière, latine dans une mer slave, orthodoxe dans un monde qui a oublié les Saxons. 


Épilogue

Les Chevaliers teutoniques sont partis. Vlad Ţepeş est devenu une légende. Les Ottomans ont reculé. Les Saxons ont quitté cette terre. Pourtant, leurs églises sont toujours là. Elles racontent une histoire de peur, une histoire de murailles. Une histoire où des hommes et des femmes ont bâti, combattu, et parfois partagé.

Hărman, 15/06/2025

Et puis, il y a eux : les Roumains. Descendants des légions romaines, latins par leur langue et leur âme dans une mer slave, orthodoxes dans un monde divisé entre croissants et croix latines. Trop différents pour se fondre, trop fiers pour renoncer. Ils sont là, depuis toujours. Entre Orient et Occident, entre les Carpates et le Danube, à la fois gardiens et étrangers dans leur propre histoire. Qui sont leurs frères ? Les Slaves, dont ils ne partagent pas la langue ? Les Hongrois, leurs anciens maîtres ? Les Latins, si lointains ? Ils peinent à le dire. Pourtant, quand vous les écoutez parler, quand vous voyez leurs églises orthodoxes se dresser à côté des forteresses saxonnes, vous comprenez : leur force est justement d’être uniques.

Et si vous passez par Alma Vii, Biertan ou Prejmer, arrêtez-vous. Touchez les pierres. Elles vous raconteront l’histoire que j’ai essayé de retranscrire ici.

texte et photos ©Frédéric Alix, 2025
(Sauf l’image de couverture qui a été générée par WordPress AI).

Ma video de 4 minutes sur YouTube.

Posted in

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.