Une histoire en 6 chapitres que j’ai inventée en me promenant sur les sentiers qui mènent vers le sommet de Khun Tan. Je me suis basé sur les faits historiques réels. Les personnages cités ont tous existé (à l’exception du révérant adepte de l’opium qui est le fruit de mon imagination).

Chapitre 1 : Gare de Khun Tan et la montagne trouée
Notre histoire commence au moment où le marcheur, venu de la ville de Chiang Mai, laisse sa moto, une Honda Wave bleue, près de la gare de Khun Tan. Cette petite gare de la province de Lamphun, construite entre les collines boisées, au pied de la montagne, est un peu plus qu’une gare ferroviaire, c’est ici que débouche un tunnel qui a marqué l’histoire du Nord-thaïlandais.
Récemment plongé dans une semaine d’études sur le bouddhisme dans un monastère de la ville, le marcheur a ressenti le besoin de renouer avec la nature afin de rétablir l’harmonie en lui. Bien que les moments de méditation aient apaisé son esprit, une force intérieure le pousse à aller explorer la région de Khun Tan. De plus, il a entendu parler d’une mystérieuse orchidée qui ne fleurirait que sur les derniers flancs du sommet de Doi Khun Tan.

Le marcheur s’attarde devant le guichet de la petite gare, il lit les horaires écrit au pinceau. Il y a 8 trains express qui passent et s’arrêtent tous les jours dans les deux sens. Puis il marche le long du quai, observe la salle des machines dont la porte est ouverte. Les aiguillages manuels entrainent des câbles tendus le long des rails pour modifier la direction des trains. Son regard se plonge ensuite dans le trou : cette ouverture dans la montagne d’où surgit la voie de chemin de fer telle une ligne rigide reliant Bangkok, la capitale éloignée à 683 kilomètres d’ici, à Chiang Mai.
Notre marcheur est déjà passé par Khun Tan il y a plusieurs années. C’était lors de son premier voyage vers Chiang Mai en train. Il se souvient distinctement du tunnel qui traverse l’imposante montagne. Quand on vient de Bangkok, après avoir quitté la plaine, le chemin de fer gravit de toutes ses forces les collines, défiant le dénivelé, dans une tranchée découpée entre les rochers. Plusieurs fois on pense qu’il n’atteindra jamais sa destination. En sortant du tunnel, le train semble plus léger et c’est joyeusement qu’il ondule en direction de Lamphun avant d’atteindre la gare terminus de Chiang Mai.
A l’aube du XXe siècle, alors que le petit Royaume du Lanna demeurait largement inexploré, ses terres sauvages présentaient un défi aux voyageurs qui désiraient rejoindre Chiang Mai. Ils n’avaient d’autre choix que de remonter la rivière Ping à bord de radeaux à perches et de parcourir une partie de ce voyage à dos d’éléphant. La construction audacieuse de la ligne de chemin de fer du Nord au départ de Bangkok a été un défi envers la topographie des collines et montagnes. Mais arrivé aux pieds de la chaine de montagnes, la seule solution était de transpercer l’obstacle de la majestueuse Khun Tan, dernier rempart pour connecter la région du Lanna au royaume du Siam.
Les jours où les éléphants menaient les expéditions touchaient à leur fin. Tandis que le rugissement des locomotives inaugurait une ère nouvelle, la voie ferrée a ouvert une porte directe depuis la capitale du Siam. Le statut de l’ancien royaume de Chiang Mai s’est estompé progressivement. Et les voyageurs, installés dans des wagons en fer, protégés des mystères de la nature sauvage ont petit à petit perdu le lien avec les éléments naturels.


Non loin de l’entrée du tunnel, le marcheur trouve un monument funéraire. Un stupa sur lequel il lit les noms de Emil Eisenhofer, l’ingénieur dévoué au percement de ce tunnel et sa femme Irmgard. Des années après avoir terminé son travail ici, l’ingénieur et sa femme sont revenus à Khun Tan. « Étrange, se dit le marcheur. Pourquoi ces deux Allemands ont-ils choisi cet endroit pour leur retraite ? »
C’est en 1907, sous le règne du Roi du Siam Rama V, qu’a débuté le percement du tunnel, une entreprise colossale qui a redéfini complètement la topographie de la région.
Taillé dans le roc de granite, le tunnel s’étend sur plus d’un kilomètre. Emil et ses sept ingénieurs délégués ont travaillé dans cette forêt tropicale humide, isolés du monde, sans connaissance préalable de la langue locale. Ateliers et habitations en bambous ont été construits sur le flanc des collines.
Les ouvriers, des montagnards de la région (que les Siamois appelaient « Lao »), travaillaient deux fois quatre heures par jour à l’intérieur du tunnel. Éclairés seulement par des lampes à huile. Leurs corps ruisselaient de sueur, leurs pagnes étaient leurs seuls vêtements alors qu’ils martelaient le roc. Beaucoup dépendaient de l’opium et acceptaient cette substance comme partie de leur salaire. Deux forages ont progressé à des vitesses inégales aux deux extrémités, et se sont finalement rencontrés en novembre 1916. Mais en presque dix ans, le chantier a reçu le triste surnom de « cimetière des travailleurs », plus d’un millier de vies ont été sacrifiées au cœur de la puissante montagne, en raison de la suffocation, d’éboulement, de la malaria, d’attaques de tigres ou de querelles violentes.
En 1917, la maison où séjournait Emil et Irmgard Eisenhofer pendant les travaux, à plus de 910 mètres d’altitude, a été transformée en une maison de vacances. Mais l’ingénieur après avoir conduits des chantiers en Inde puis en Turquie est revenu ici en 1930 pour y prendre sa retraite. A cette époque, il n’était pas le seul étranger à être attiré par la montagne de Khun Tan. Les missionnaires chrétiens, pour la plupart des américains, venaient y passer les mois les plus chauds de l’année, ils y ont construit leurs cabanes de vacances, des bungalows en bois juste en dessous du sommet à près de 1300 mètres d’altitude.
Le train arrive ! Le chef de gare, debout sur le quai, tient dans ses mains les drapeaux verts et rouges. À cet instant, le marcheur entend des vibrations dans les rails et des sifflements dans la montée qui serpente dans la forêt. La montée est aussi raide que le permet un voyage ferroviaire standard, et les anciennes locomotives nécessitent l’assistance d’une seconde machine pour gravir la pente. Pratiquement tous les trains s’arrêtent à la gare de Khun Tan pour se refroidir. C’est une locomotive diesel Alstom qui montre sa devanture orange et rouge. Alors que le chef de gare agite son drapeau vert, le conducteur de la locomotive sort un bras par la fenêtre et lui passe une sorte de cerceau qui sert de sécurité aux aiguillages. A 578 mètres d’altitude, la gare est la plus haute du pays. Le crissement de son freinage résonne faiblement, il n’allait pas très vite. Avec une puissance de 2400 chevaux, sa vitesse de croisière est de 100 km/h en plaine, mais elle n’atteint pas 30 km/h sur cette montée. Fabriquée en 1975, cette locomotive a intégré la « State Railway of Thailand » en 1995. Elle tire huit wagons rouges et blancs.
Le train en provenance de Chiang Mai s’arrête. Quelques jeunes chiangmaïotes sortent des wagons. Comme notre marcheur, ils sont attirés par l’idée d’un « retour à la nature ». Aux fenêtres du train, les têtes excitées des voyageurs qui vont poursuivre en direction de Bangkok se font voir, certains ont déjà brandi leurs téléphones portables, ils sont prêts à filmer l’entrée du train dans le tunnel ferroviaire le plus long de Thaïlande.
Le marcheur achète une bouteille d’eau et se dit qu’il est temps de prendre le chemin qui monte sur la montagne. Il part explorer les sentiers tracés par les ingénieurs et les missionnaires qui ont jadis admirés et arpentés ces terres. Les traces du passé accueillent les visiteurs du présent, impatients de venir poser leurs pieds dans la nature immortelle.



Chapitre 2 : La montée
Alors que notre marcheur gravit la pente, il traverse un replat sous les grands arbres où des citadins sont venus camper dans la fraîcheur de la montagne. Ces jeunes, complètement éblouis par la variété des fleurs tropicales, se transforment en paparazzi botaniques, prenant des selfies délirants avec les orchidées, les tubéreuses, les acacias dorée et même le jasmin. Les jeunes filles, smartphones en main, s’approchent des fleurs non seulement pour capturer leur propre éclat dans des poses dignes d’un sitcom coréen, mais aussi pour humer les parfums envoûtants, créant ainsi une interconnexion en 4G avec la nature.
Notre marcheur laisse ces jeunes citadins thaïlandais à leur interminable séance photo qui ne se terminera qu’à la tombée de la nuit, et poursuit son ascension dans les hauteurs vertigineuses de Khun Tan. L’air emplit ses narines. Les branchent semblent jouer avec le soleil et projettent des ombres dansantes sur les couleurs vives de la végétation.
À mesure que le sentier s’élève en altitude, le marcheur découvre des parcelles de forêt où se mêlent la majestueuse forêt de pins et les arbres géants appelés Diptérocarpacées. Entre 700 et 1350 mètres au-dessus du niveau de la mer, ces splendides écosystèmes dévoilent un paysage d’une richesse floristique et chromatique inégalée.
Les Diptérocarpacées émergent au-dessus de la canopée, s’élevant majestueusement à 30 ou 40 mètres de hauteur. Leurs troncs, droits et robustes, s’érigent comme des piliers naturels. Leurs branches ne se déploient qu’une fois dépassée la canopée des autres espèces. Elles sont comme des bras étendus, aux feuilles persistantes, au-dessus de la forêt.
En contrepoint, la canopée de la forêt de pins, atteint des hauteurs de 20 à 30 mètres, dessinant une harmonie tridimensionnelle avec les géants.
Plus près du sol, les Heliconias ont des feuilles larges et des couleurs profondes, le marcheur s’arrête plus d’une fois pour contempler ses fleurs rouges oranges qui sont de la même famille que les oiseaux de paradis.
Le marcheur se trouve ainsi immergé dans une symphonie végétale, où chaque espèce, avec ses caractéristiques distinctes, contribue à l’équilibre écologique de la région. Les nuances de vert des aiguilles de pin se mêlent aux tons plus sombres des feuilles persistantes des arbres géants, créant un tableau qui évolue avec chaque courbe du sentier. L’air est imprégné d’un parfum boisé et frais. C’est un mariage olfactif entre la résine des pins et l’humidité délicate des Diptérocarpacées.
Pas après pas, le marcheur ressent toujours mieux la texture rugueuse des troncs sous ses doigts et écoute le murmure du vent à travers les aiguilles. Il commence à ressentir les secrets de la forêt au rythme tranquille de ses pas.


Chapitre 3 : Les cabanes des missionnaires
Arrivé au col, juste en dessous du sommet, le marcheur découvre les cabanes construites par les missionnaires au siècle dernier. Ces modestes refuges, ont été édifiés avec amour au début du XXe siècle pour offrir un refuge dans les mois les plus chauds de l’année. La large terrasse en bois offre toujours une vue époustouflante sur la vallée de la rivière Tha. Chaque cabane a gardé son nom d’origine, ainsi la « Hannah House » était le sanctuaire intime du couple Loren et Hazel Hannah. Ils vivaient le reste de l’année à leur mission presbytérienne dans la ville de Lampang. En fervent lecteur de la Bible, ils partageaient ici leurs méditations chrétiennes avec les murmures du vent, les ombres dansantes sur les arbres, les chants des oiseaux et les crissements des insectes.
Lucy Starling était la première femme à devenir présidente d’une mission. Seule missionnaire à vivre en célibataire, elle a appelé sa cabane « Starling Serail » donnant ainsi des lettres de noblesses persane à son modeste abri. Il se peut qu’elle ait rédigé quelques pages de ses mémoires « Down Over Temple Roofs » dans son bungalow de Khun Tan. Originaire du Kentucky, Lucy Starling est arrivée à Chiang Mai en 1909 et a dirigé la mission chrétienne de la ville de Nan où son activité principale était l’enseignement.
Au fil du temps, le bois a vieilli et les toits ont été renforcés, mais les cabanes des missionnaires sont toujours debout et servent aujourd’hui à accueillir les groupes de marcheurs qui souhaitent passer la nuit près du sommet, telle le « Crooks Cottage ». Le Docteur Charles Crook a contribué à établir un hôpital moderne à Lampang, puis à Nan, tandis que sa femme Florence était impliquée dans l’alphabétisation des jeunes générations.
C’est durant les mois les plus chauds, notamment entre avril et juin que les occidentaux établis dans le nord-thaïlandais venaient se réfugier dans les fraiches hauteur de Khun Tan. Lucy Starling a écrit que le voyage depuis Nan lui prenait 5 jours de marche avec des poneys puis encore un jour de train.
Affiché contre un mur de bois, le marcheur découvre ce qui doit être un extrait du journal intime d’un missionnaire. « Khun Tan, un lieu sacré où la nature danse avec l’esprit divin », li-il alors qu’il s’assied, et sort le livre vert qu’il a pris avec lui. « Khun Tan Sketch », un feuillet d’une soixantaine de pages dont le texte et les illustrations sont signés de Janet Greenleaf. Ce livre est comme une bible pour le marcheur. L’auteure, une infirmière missionnaire américaine, aujourd’hui retraitée, vit à Chiang Mai depuis 1973. Elle a travaillé plus de 25 ans à l’hôpital pour lépreux de Mc Kean.


Ouvrant le livre au hasard, il découvre un texte écrit par Hazel Hannah en cet endroit même il y a soixante ans.
« Qui n’a pas ressenti l’influence douce des Pléiades lors d’une nuit étoilée ? Non pas tant pour la quantité de lumière qu’elles envoient que pour leur beauté. Mais qui peut dire si la beauté en elle-même n’a pas pour mission de nous élever vers Dieu ? Ces versets me donnent le sentiment de l’universalité de la religion. Au fond de moi, je crois que les fleurs, les arbres, les nuages, la musique des oiseaux, le son des rires humains, le murmure des ruisseaux et des bébés, la sensation de la brise sur le cou et les bras, ainsi que les doux parfums qui s’élèvent de la surface de la terre, ne sont pas simplement des choses. Ils sont Dieu. »
« J’ai décidé que s’il existait une chose telle que la réincarnation, dans ma première incarnation, je serais une violette, mourant en hiver et repoussant chaque printemps, jusqu’à devenir une véritable banque de violettes. Dans une autre, je vais être un oiseau. Mais il fait tellement chaud et humide en ce moment, que je suppose que je vais me coucher et rêver. »
* cette citation a été résumée, la citation originale se trouve en fin de texte.
Le marcheur, qui imaginait les missionnaires presbytériens du siècle dernier comme des lecteurs rigoureux de la Bible, comprend qu’ils allaient chercher le divin même au-delà des livres sacrés.
Enveloppé par la symphonie des montagnes et de ses forêts, les écrits de la missionnaire chrétienne se mélangent avec les enseignements bouddhistes que le marcheur a médité la semaine dernière : L’essence divine réside non seulement dans les livres sacrés, mais dans chaque souffle du vent, dans chaque feuille qui danse au gré de la brise. Les montagnes sont de vastes manuscrits, chaque plante, chaque arbre, chaque fleur, est une lettre vivante écrite par l’univers. C’est alors que le marcheur se souvient de la légendaire orchidée qui doit fleurir non loin d’ici.

Chapitre 4. Rencontre mystique dans la grotte
En chemin vers le sommet de Khun Tan, épuisé par l’effort de l’ascension et l’émotion ressentie sur la terrasse en bois des missionnaires, le marcheur ressent soudainement une légère sensation d’étourdissement. La fraîcheur de l’altitude combinée à l’effort physique intense a un effet tournoyant sur son esprit fatigué. Au moment où il croyait voir ses pensées s’embrumer, il remarque une ouverture dans la roche, une grotte dissimulée derrière des herbes. Poussé par une force invisible, il s’approche et c’est là qu’il rencontre l’ermite. Habitant cette caverne oubliée du monde, l’ermite semble être un gardien du temps perdu entre réalité et légende.
Habitué aux temples bouddhistes qui rythment les paysages du Nord-thaïlandais, le marcheur s’attend à voir une profusion de statues de Bouddha jaunes, des bougies dégoulinantes de cire, et des offrandes colorées : il n’en est rien. Seul, l’ermite assis au centre de la grotte nue, accueille le marcheur d’un regard profond.
Lors de leurs séjours à Khun Tan, les missionnaires rencontraient parfois des ermites dans les montagnes. Ces ermites, adeptes des croyances anciennes étaient considérés comme mystiques par les locaux qui les craignaient plus qu’ils les respectaient. Les missionnaires, pour leur part, voyaient ces rituels dans les grottes comme les vestiges d’une croyance primitive qu’ils méprisaient.
Une anecdote racontait qu’un révérend, dont je tairais le nom, fervent missionnaire, avait eu une expérience particulière dans cette grotte. Alors qu’il s’y aventurait avec précaution, ses convictions furent mises à l’épreuve par l’aura mystique du lieu. Cependant, au lieu de succomber aux influences animistes, il aurait affirmé que cela renforçait sa détermination à partager la parole de la Bible, considérant la grotte comme un lieu où la lumière divine pouvait dissiper les ténèbres.
Il était bien connu que de nombreux indigènes consommaient de l’opium, et certains étaient fréquemment sujets à des hallucinations. Bien que notre révérend ait gardé le silence sur cette question, des rumeurs insinuaient qu’il se rendait dans la grotte pour y fumer de l’opium. Mais c’est un sujet qui restait secret.


Chapitre 5 : La légende de l’orchidée
Notre marcheur est assis dans le silence humide de la grotte. L’ermite parle d’une voix qui résonne à travers le temps. Le marcheur ne distingue pas s’il parle thaïlandais, anglais ou même français, mais il comprend chacune de ses paroles distinctement.
« Autrefois, lorsque ces collines étaient le sanctuaire des esprits, avant que les missionnaires n’apportent leurs cabanes et leurs idées, avant même les psalmodies des moines bouddhistes en safran, Mère Nature régnait en souveraine », commence l’ermite. « Les ancêtres adoraient chaque feuille, chaque souffle de vent. C’est à cette époque que l’orchidée mystérieuse a fleuri pour la première fois, un cadeau des dieux, disaient-ils. »
L’ermite dépeint l’orchidée comme une fleur d’une beauté envoûtante, aux pétales délicats qui brillaient d’une lueur mystique lorsque la lueur de la lune les caressait. « Elle n’était pas une simple plante, mais une manifestation de l’union entre le divin et la nature. Les anciens croyaient que celui qui la découvrait était béni par une sagesse et une compréhension profonde des mystères de la vie. »
A cette époque oubliée, les habitants de ces montagnes célébraient leur gratitude envers la nature et les esprits divins qui la protégeaient. Ces anciennes prières résonnaient jusque dans les vallées, harmonisant l’âme des indigènes avec les pulsations de la terre.
En récitant le mantra de l’ermite, les images dans l’esprit du marcheur se confondent jusqu’à en perdre connaissance.
« Autrefois, ces collines étaient le sanctuaire des esprits, Mère Nature régnait en souveraine. Les ancêtres adoraient chaque feuille, chaque souffle de vent »…………………..

Quand le marcheur se réveille, il est couché dans l’herbe et a perdu la notion du temps. La première réalité dont il se souvient est qu’il n’a pas encore atteint le sommet. Rassemblant ses forces, il se lève et grimpe les derniers mètres qui le mènent au point de vue le plus haut de la région, l’endroit où l’on peut voir les vallées de Lamphun au nord et celles de Lampang au sud. Devant lui, un panorama de montagnes aux courbes douces et recouvertes de forêts, quelques villages d’où s’échappe une légère fumée, et plus de 800 mètres sous ses pieds, dans les entrailles de la montagne, dans le tunnel creusé il y a plus de cent ans, passe sans doute un train.


Chapitre 6 : L’orchidée du présent
Ce devait être une simple balade pour s’oxygéner l’esprit dans la nature tropicale, et c’est devenu une aventure mystique, une communion avec la nature et leurs esprits. Pas de repos pour le marcheur qui semble absorber tout ce que le paysage doit lui dire.
Au sommet de Khun Tan, les versants des vallées s’illuminent sous la lueur du soleil déclinant. En redescendant par le même chemin, le marcheur admire les orchidées bleues et roses accrochées aux arbres. Fines perfections dentelées, œuvre de la nature elle-même.
Les orchidées naissent d’un lien symbiotique avec la nature. Leurs graines ont besoin d’un champignon spécifique pour éclore. Dans les recoins secrets, dans l’ombre des forêts, cette collaboration magique permet la germination de fleurs considérées comme des œuvres d’art minimaliste.
Légères et élégantes, la plupart des orchidées choisissent le mode de vie épiphyte, s’élevant au-dessus des sols pour s’installer sur les végétaux sans les exploiter. Elles étendent leurs racines aériennes pour se nourrir de l’humidité et des nutriments de l’air et de la pluie.
Cette alliance épiphyte n’est pas une relation parasitaire. L’orchidée se sert simplement de son arbre pour atteindre de nouveaux sommets, tandis que ce dernier, généreux, prête son épaule sans subir de dommages. C’est une relation de couple inter-espèces dans laquelle tout le monde vit heureux.
C’est par cette simple observation botanique que le marcheur pense avoir percé le mystère de l’orchidée de Khun Tan.

Après presque deux heures de marche, dans le sens de la descente, le marcheur remarque une femme derrière un wok. Alléché par les arômes de basilic, d’ail grillé et de pâte de piment qui emplissent l’air jusqu’à le faire éternuer, il décide de commander un plat. La femme, habile et souriante, cuisine avec une dextérité impressionnante, son wok dansant au-dessus des flammes. Son plat rempli le marcheur de bonheur. Il remercie la cuisinière qui lui offre une branche d’orchidée étincelante, touche finale à cette journée surnaturelle. Ce geste simple et généreux suggère que tout dans la vie a une raison d’être. Dans ce présent, maintenant fusionné avec les passés récents et lointains, le marcheur, sourire aux lèvres, ressent l’harmonie qui marque la conclusion de ce voyage intérieur.
Le marcheur contemple une dernière fois la vue sur la montagne, et redescend avec précaution le sentier. Il atteint son point de départ, la gare où tout a commencé ce matin. Tenant toujours l’orchidée mystérieuse dans sa main, il reprend sa moto. Le moteur ronronne, rompant le silence paisible de la montagne. Il disparaît dans les méandres du paysage, suivant les routes sinueuses qui serpentent à travers les collines en direction de Lamphun, puis de Chiang Mai.
À mesure que la silhouette du motard s’éloigne, la montagne conserve en elle les échos de son aventure. Les orchidées continueront de fleurir, les cabanes des missionnaires resteront des témoins silencieux des soirées de méditations sous les étoiles, le tunnel continuera de laisser passer les trains et peut-être que l’ermite continuera d’habiter la grotte temporelle. La légende de l’orchidée de Khun Tan, maintenant enrichie par le chapitre du marcheur contemporain, continuera d’inviter les esprits curieux à explorer les mystères de cette montagne majestueuse.


Le texte a été terminé en 2024 et les photos ont été prises entre 2013 et 2023 à Khun Tan. Texte et photos ©Frédéric Alix
Bibliographie
- Enchanted Land, Foreign Writings about Chiang Mai in the Early 20th Century, by Graham Jefcoate
- Khun Tan Sketch, by Janet Greanleaf, 2007, distributed by the Payap University Book Store
citation complète de Hazel Hannah :
« Who hasn’t felt the sweet influences of the Pleiades on a starry night?
Not so much for the amount of light they send as with their beauty.
But who shall say if beauty in itself has not a mission to help us up to God? He surely wouldn’t have spent so much labor in making it if He didn’t mean it to draw us to Him.
These verses give me a feeling of the universality of religion. In my heart, I believe that flowers, and trees, and clouds, and the music of birds, the sound of human laughter, and the gurgling of brooks and babies, the feel of the breeze on your neck and arms, and the sweet smells that rise from the face of the earth; these are not just things. They are God.
The God in the rose would hear me, for once, he walked on earth and He knows all my needs. »
(…)
« I have decided that if there were such a thing as reincarnation, as the Buddhists believe, there are several things I should like to be. In the first incarnation, I would be a violet and grow in some beautiful woodland, dying in winter, and coming up dozens of new plants every spring, till I was a whole bank of violets.
In another, I shall be a ginkgo tree that lives in a temple court on a little hill overlooking the Inland Sea, where I can see Fuji Yama in the distance. It will be pleasant to shade the dear Japanese children all through the long summer, and when autumn comes, shower down my golden leaves. I’d stand watching the waves play on the shore till another spring came, then burst into glory and greenness again.
Next a pine tree on the edge of an abyss in the Rocky Mountains.
Then a butterfly. I am sure one summer, as a butterfly would satisfy me. Merely being beautiful and enjoying beautiful things can’t be interesting for long if one has no more brains than a butterfly. But Just for one summer, I should like to be one, and drink my fill of the beauty of the flowers.
In my fifth incarnation I’m going to be a bird. But it is so warm and moist just now, and I’m so sleepy, that I guess I’ll go to bed and dream. »

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