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La Reine Chamari de Li

Connaissez-vous la ville de Li ? Située dans la province de Lamphun, elle se trouve aujourd’hui sur la route 106, un ancien axe majeur reliant Chiang Mai à Bangkok. Nichée entre montagnes et forêts, Li est traversée par la petite rivière du même nom. La région est connue pour ses trois Krubas, des moines vénérés pour leur sagesse et leurs actes pieux, qui ont marqué l’histoire locale et attirent encore aujourd’hui les fidèles. Mais bien avant eux, c’est le récit de la reine Chamari, fondatrice de la ville, qui a établi une réputation de paix et de sérénité à Li.

Transmise oralement pendant des siècles, la légende de la reine Chamari s’est enracinée dans la mémoire collective de Li, province de Lamphun. Vielle de 1600 ans, elle a été racontée lors des festivals locaux sous forme de récits et de chants, sans qu’aucun document ancien ne puisse en attester l’authenticité. Ce n’est qu’au XXe siècle qu’elle a été consignée par écrit, après avoir été reconstituée par l’abbé Phra Khru Sathit Piyawat à partir des témoignages d’anciens habitants de Li. Aujourd’hui, cette légende est consignée à travers 91 peintures accompagnées de textes narratifs, ornant les murs intérieurs du Wat Duang Diaw, un temple attribué à la reine Chamari elle-même et censé abriter ses cendres. Ces fresques constituent une véritable œuvre visuelle, témoignant de l’importance de ce récit dans l’histoire et l’identité locale.

Voici le récit en 5 parties que j’ai réécrite en me basant sur les peintures et leurs textes, replacé dans un contexte historique et géographique que j’ai essayé de maintenir cohérent.

Partie I

Cette légende nous raconte l’histoire des Yonok, un peuple Tai du nord, attaqué par des soldats chinois et forcé de fuir vers le sud. Notre légende prétend que Kampira, le prince des Yonok a fondé la ville de Muang Sua, qui porte aujourd’hui le nom de Luang Prabang.

Les Yonok, aimaient la liberté, et chérissent leur indépendance, ils refusent de se soumettre aux Chinois. Alors que le Prince Kampira se battait pour la survie de son peuple, il ne pouvait que constater la défaite : ses compagnons sont tués en grand nombre, et ceux qui survivent, les femmes et les enfants sont emmenés comme esclaves.

La fuite

C’est à Chamari, la fille du Prince Kampira, que l’on doit la survie de la communauté Yonok. Poussée par son père à fuir, elle conduit le peuple vers le sud à travers les montagnes, cherchant un endroit pour établir un nouveau royaume. Leur voyage les ramène au bord du fleuve Mékong dans une région pourrait être l’actuelle Chiang Saen, où ils décident de s’installer. 

Une nouvelle capitale

Le lieu semble idéal, Chamari conduit la construction de la nouvelle ville le long du fleuve : des maisons et un temple appelé Wat Aram. Les tâches sont partagées entre tous. Chamari, une cavalière habile, est respectée et aimée dans la communauté. On dit d’elle qu’elle a un œil de faucon parce qu’elle peut voir jusqu’aux petits détails et son jugement est toujours sage. Chamari porte un pantalon et un poignard à la taille. Alors même qu’elle est cheffe de guerre, elle n’a que la paix à l’esprit.

Li, 06/03/2024

Une fois les premiers signes de prospérités venus, la ville est attaquée par une tribu de barbares. Alors même que les vandales sont repoussés, Chamari juge que l’endroit n’est pas sûr et engage son peuple à reprendre la route. Ils remontent l’affluent du grand fleuve.

Un éléphant royal fait son apparition

Arrivés dans une vallée qui semble être la région de Fang, un éléphant blanc fait son apparition dans notre histoire. Le peuple souhaite que Chamari monte sur l’éléphant et soit couronnée reine. L’éléphant blanc reçoit le nom de Phraya Luang Worawong Mongkol.

Chevauchant désormais l’éléphant blanc, la Reine Chamari et son peuple continuent leur voyage à travers les terres inconnues. Les populations indigènes les voient avec un mélange de respect et de fascination, les Yonok sont un peuple généreux et respectueux envers les esprits de la nature.

Chamari, consciente de la responsabilité qui pèse sur ses épaules, envoye ses serviteurs offrir des cadeaux précieux en or et en nourriture aux habitants des villages de la région de Chiang Dao qu’ils traversent, marquant ainsi leur passage pacifique. Elle partage généreusement sa sagesse et son savoir avec ceux qui en ont besoin, apportant guérison et réconfort dans chaque lieu où ils s’arrêtent.

Le voyage est long et semé d’obstacles, mais la détermination de Chamari et de son peuple ne faiblit jamais. Après avoir passé le lieu appelé Chom Tong, ils traversent des montagnes escarpées et des forêts denses. Ils donnent des noms aux endroits en fonction de leurs expériences et de leurs rencontres. La « Montagne du Cri » rappelle les moments de fatigue et de désespoir où les plus faibles pleurent leur épuisement, tandis que la « Montagne du Refus » rappelle les obstacles que la nature a placé.

Finalement, après un périple éprouvant, ils arrivent au lieu appelé Chiang Ning. Là, la reine ordonne une pause bien méritée et organise des cérémonies d’offrandes pour marquer leur nouvelle installation. Une fois encore, les indigènes accueillent Chamari et son peuple avec respect.

Partie II

Le serpent fait une victime

Dans cette version (imaginative) de l’histoire de la Reine Chamari, je vais vous décrire au plus près de la réalité les événement tragique qui ont bouleversé la paisible installation de la reine Chamari et de son peuple à Chiang Ning.

La nuit tombe lentement sur le campement, le repas est prêt, la reine Chamari, assise à côté de son premier officier, observe avec satisfaction les festivités. Les serviteurs ont préparé un festin abondant pour célébrer leur nouvelle installation. Les rires et les conversations animées remplissent l’air.

Soudain, un cri perçant déchire la quiétude de la soirée. Un des serviteurs vient de s’effondrer, se tordant de douleur. Le chef, alerté par le bruit, se lève brusquement pour voir ce qui se passe. À sa grande horreur, il aperçoit un serpent géant s’approcher dangereusement du campement.

Sans hésitation, les serviteurs se précipitent pour aider un camarade blessé, mais certains sont également mordus par le serpent venimeux dans la confusion qui s’ensuit. Les cris de douleur et de panique résonnent dans toute la clairière.

La reine Chamari, réalisant la gravité de la situation, ordonne à ses guérisseurs de traiter les morsures avec des plantes médicinales. Malheureusement, malgré leurs efforts désespérés, certains serviteurs succombent à leurs blessures.

Li, 06/03/2024

Profondément attristée par cette tragédie, la reine décide de rester à Chiang Ning pour une période de deuil. Le campement est transformé en un lieu de recueillement, et des funérailles sont préparées pour honorer ceux qui ont perdu la vie ce jour-là.

La communauté se prépare à reprendre la route. Le voyage semble bien long, et certains commencent à murmurer leur lassitude.

— Sommes-nous condamnés à errer sans fin ? demande un homme d’une voix amère.
— Et si nous ne trouvions jamais de terre où nous installer ? renchérit une femme inquiète.

Un début de dispute éclate entre ceux qui veulent continuer et ceux qui doutent. Certains redoutent de devoir toujours fuir, d’autres s’inquiètent des terres qu’ils traversent et des peuples qu’ils rencontreront. La tension monte, mais la reine Chamari lève la main pour imposer le silence.

— Écoutez-moi bien, dit-elle d’une voix à la fois calme et assurée. Notre voyage a un sens : nous cherchons un lieu où notre peuple pourra vivre en paix, où nous pourrons bâtir nos foyers sans crainte et où nous vivrons en bonne entente avec les peuples voisins. La peur et la fatigue ne doivent pas nous détourner de cette quête.

Un silence respectueux suit ses paroles. Chacun échange un regard, et peu à peu, les doutes s’apaisent. Tous comprennent que la reine les guidera avec sagesse. La confiance renouvelée, la communauté se met en marche. La reine offre des présents aux esprits de la forêt qui veillent sur nous. Moi, je garde ma confiance en notre reine Chamari.

Partie III

L’Éléphant a une vision

Alors que l’éléphant blanc Phraya Luang Kha mène la marche, il s’arrête soudain devant un arbre, ses yeux écarquillés fixés sur quelque chose d’invisible pour nous. Dans un geste théâtral, il retire sa parure et s’enfuit à grandes enjambées dans une nouvelle direction, il remonte désormais une rivière. Nous le suivons toute la journée, forcés de changer complètement de trajectoire, jusqu’à ce que, la nuit tombée, l’éléphant nous attende sagement au pied d’un arbre, comme s’il ne s’était rien passé.

Nous installons notre camp pour la nuit, puis la Reine Chamari mène la cérémonie pour les esprits de la forêt. C’est alors que certains d’entre nous jureraient avoir vu un ange, sa silhouette lumineuse se découpant dans l’obscurité, ses yeux pleins de bonté brillants d’une lueur surnaturelle. Un halo de lumière semble renforcer le sentiment de mystère et de magie.

Li, 06/03/2024

L’installation

Au matin alors que nous nous réveillons, le paysage s’offre à nous dans toute sa splendeur, les reflets scintillants de la rivière nous invitent à la méditation. Nous découvrons la clairière parfaite en surplomb de la rivière, pour établir notre nouvelle ville.

L’éléphant s’est déplacé devant une termitière géante. Un serpent Naga est couché dans une sorte de nid au sommet de ce monticule de terre. Est-il le gardien de la région ? L’éléphant semble converser avec le Naga. Ce lieu semble propice et plein de bons auspices. Tout le monde observe l’éléphant rendant hommage à la divinité. Nous savons à ce moment-là que nous allons rester ici.

Li, 96/03/2024

La nuit suivante, la princesse Chamari entend le chant du Naga et voit des lucioles flotter autour de l’arbre, dansant mystérieusement. Cela est interprété comme un signe de bénédiction et de protection pour leur nouvelle ville.

Le matin, Chamari ordonne à ses serviteurs de nettoyer l’endroit autour de la termitière sacrée, qui devient l’axe central de la ville. Après avoir défini les limites de la ville, les habitants travaillent ensemble pour nettoyer les environs et préparer le terrain pour la construction de nos maisons.

Une cérémonie est organisée pour inaugurer la nouvelle ville, avec des offrandes aux esprits du lieu et aux anges qui flottent dans les airs.

Une fois les murs de la ville construits, Chamari et son peuple travaillent ensemble pour protéger les arbres et les plantes, plantant de nouveaux arbres tout autour pour former une haie dense, rendant la ville invisible de loin.

Chamari nomme le temple « Wat Phra That Duang Deaw » et la ville prend le nom de « la ville de Li ». Aujourd’hui, la ville est toujours connue sous le nom de « la ville de Li », en souvenir de la reine Chamari et de ses accomplissements.

Partie IV

Li, 06/03/2024

L’âge d’or

Dans cet épisode, la Ville de Li connaît son âge d’or, se développant artistiquement et commercialement tout en maintenant un équilibre entre la nature et les arts, conforme à la vision de la reine Chamari.

La principale source de revenus de la ville reste l’agriculture, en particulier la culture du riz, et le commerce prospère également, en particulier avec la ville voisine. Les marchandises sont transportées par les rivières. Ces échanges contribuent à la renommée et à la richesse de la Ville de Li.

Une nuit, la Reine fait un rêve dans lequel elle voit cinq boules de lumière flotter au-dessus de la rivière. Cela est interprété comme un signe divin, et un temple est construit à cet endroit, nommé « Wat Phra That 5 Duang », avec 5 chedis dorés selon les souhaits de Chamari.

Le temple devient un centre spirituel et culturel important pour la Ville de Li. Les habitants commencent à pratiquer la charité et à faire des offrandes au Bouddha, contribuant à la prospérité et au bonheur de la ville. Chamari ordonne également la construction de plusieurs autres temples qui deviennent des lieux de culte pour chaque communauté. 

Li, 26/03/2024
Wat Phra That 5 Duang

Découvrant que la ville était construite et que le peuple était heureux, l’éléphant blanc qui avait supervisé personnellement la construction de tous les temples est mort. Chamari lui organise des funérailles royales, ses restes reposent à côté du Wat Phra That Duang Deaw.

La mort de la Reine

Peu de temps après la mort de l’éléphant, la vie de la communauté est endeuillée par la mort de la reine Chamari. Elle avait soixante ans. Les habitants de la Ville de Li sont profondément tristes, ils honorent sa mémoire en organisant une gigantesque cérémonie funéraire. Une fois les funérailles terminées, la vie continue comme avant, selon le souhait de la Reine Chamari. 

Elle n’avait jamais voulu se marier, entièrement dévolue à son peuple qu’elle considérait comme ses enfants. Elle n’a laissé aucune descendance. Elle n’avait pas nommé de successeur, elle voulait que, le moment venu, nous soyons libre de faire le choix qu’il nous semblerait être le meilleur.

Sous le règne de Chamari, la Ville de Li a prospéré et s’est développée, établissant des relations commerciales avec d’autres capitales et étendant sa renommée dans les régions voisines. Son héritage artistique, commercial et spirituel continue d’être célébré et perpétué par les habitants de la Ville de Li.

Partie V

L’attaque violente

Je suis une grand-mère de famille, j’habite le Royaume de Li, et je vais vous raconter l’histoire de l’attaque brutale de notre ville par l’armée de Sukhothai.

Tout a commencé lorsque le chef du clan de notre ville voisine a reçu un émissaire du roi de Sukhothai, un homme qui ne croit qu’à la puissance de l’argent. Il l’a convaincu d’envoyer une armée pour envahir notre Ville de Li. Ils ont voyagé le long de la rivière pour nous attaquer. Cependant, nous avons résisté et ils ont été repoussés. Nous avons renforcé nos défenses en construisant une palissade en bambou autour de la ville et en préparant des pièges pour les attaquants.

Malgré cela, le roi de Sukhothai n’a pas abandonné ses mauvais desseins et a tenté de payer nos gardes pour qu’ils ouvrent les portes de la ville. Peine perdue, ils ne se sont pas laissé corrompre.

Après avoir échoué avec leurs projets pervers, l’armée de Sukhothai a planifié une nouvelle attaque.

Ce que nous n’avions pas prévu, c’est que les soldats de Sukhothai se sont fait passer pour des villageois. Nous leur avons ouvert les portes, innocemment, nous avons permis à l’armée ennemie d’envahir notre ville. Nous avons tenté de nous défendre, mais nos efforts ont été vains.

Les troupes sont entrées dans notre ville, ivres de vin, et ont commencé à piller et à détruire. Ils ont mis le feu aux maisons et aux bâtiments, causant la ruine de notre belle ville. Malgré notre courage et notre détermination à nous défendre, nous avons été vaincus. Le roi, cruel et impitoyable, a ordonné la destruction des temples et des sanctuaires. Beaucoup de femmes et d’enfants ont été capturés et traités avec une cruauté que vous ne pouvez pas imaginer.

Li, 06/03/2024

C’est ainsi que le petit Royaume de Li a été attaquée et vaincue par l’armée de Sukhothai. Ceux qui ont survécu se souviendrons toujours de cette tragédie.

Li, 06/03/2024

L’horreur s’est produite mais n’est pas une fin en soi. 

C’est avec une profonde tristesse que je vous ai raconté l’horreur de la mise à mort de notre petit royaume de Li par l’armée de Sukhothai.

Après le départ de l’ennemi, il n’est resté que des cadavres d’humains et d’éléphants gisant sur le champ de bataille. Les envahisseurs sont retournés pour voir s’ils pouvaient reconstruire la ville, mais ils ont conclu que ce n’était pas possible, car il ne restait que des os, et des animaux féroces, la jungle avait repris ses droits sur le paysage.

C’est ainsi que notre belle ville de Li a été détruite, laissant derrière elle un paysage de désolation et de tristesse. Mais notre histoire ne s’arrête pas ici, nous avons appris par le passé qu’il suffit de fermer l’œil qui regarde le monde physique et d’ouvrir celui qui regarde la beauté sacrée du monde spirituel pour continuer notre chemin sans régresser.

Je vous ai dit que nos attaquants sans pitiés venaient de la ville de Sukhothai. Vous savez, c’était il y a très longtemps, il se peut que j’ai un peu mélangé les noms des villes. Pardonnez-moi si je me suis trompé.

Les quelques personnes qui ont survécu à cette tragédie ont transmis la légende de la Reine Chamari à travers les âges et la ville de Li a été reconstruite. Elle existe à nouveau aujourd’hui. Je vous invite à venir la visiter, elle se trouve au même endroit, légèrement au-dessus de la rivière Li, sur le versant des montagnes de ce qui est aujourd’hui le sud de la province de Lamphun.

Li, 06/03/2024

Le texte et les photos © Frédéric Alix, 2024 – les peintures ont été photographiées au temple Wat Duang Diaw, Li, province de Lamphun.

Bibliographie

Disch, H. (2012). A New Vision: Chamari, Chamadewi, and Female Sovereignty in Northern ThailandStudies in Asia. 4(2), 1-60.

Disch, H. (2014). The Chronicle of Phra Nang Chamaridewi of Amphoe Li Journal of the Siam Society, Vol. 102, 2014.

Promsen, P. (2023). Constructing the Local History of Queen Chamari in LiThailand Through Folklore. 2023.

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