Précédemment : avec l’aide d’un passeur officiel, j’ai pu entrer au Myanmar en provenance de Chine. Le passeur a veillé à ce que je ne voie pas des champs d’opium. Il m’a laissé à Lashio et s’est assuré que j’étais installé dans un hôtel qui accepte les étrangers.
Lashio, le 11 mars 2006 : Destination Hsipaw
A peine réveillé que je suis déjà debout. Un passage rapide dans la salle de bains commune à l’étage, et je suis habillé, prêt au départ. Hier soir, la fatigue m’a condamné à une humeur morose, ce matin je me sens prêt à visiter Lashio dans la bonne humeur. Mais pour commencer il me faudrait un café.
Première impression: les routes sont humides, pourtant il ne pleut pas. Le marché est installé sur les bords d’une rue étroite et caillouteuse qui escalade une colline. Mon regard balaie de gauche à droite entre les étalages de légumes colorés, d’herbes diverses et de plantes étranges, posés sur de grandes bâches en plastique bleu salis. Je recherche un vendeur de café qui proposerait aussi des samosas. Je n’en trouve pas.
Une majorité de femmes visite ce marché. Toutes sont habillées d’un longgy coloré et portent des sacs à commission en plastique tressé de plusieurs couleurs. Mes tongs sont recouvertes de poussières. Depuis plusieurs mois que je les ai au pieds à travers la Thaïlande, le Laos et la Chine, la semelle est de plus en plus mince. Je sens tous les cailloux sous mes pieds. Mon sacs sur le dos commence déjà à me faire mal. L’humidité de l’air me fait transpirer, j’ai besoin de mon café.
Ce n’est pas une impression, tous les regards sont sur moi. Les marchands se demandent si cet étranger ne s’est pas perdu. J’aimerais prendre des photos, mais je ne sais pas où m’arrêter. Il y a tellement de monde que je gênerais la foule si je m’arrêtais pour sortir mon appareil de mon sac. Il me faut absolument trouver un vendeur de café pour m’asseoir et observer. Mais rien, pas de café ni de samosas. Je suis arrivé au bout du marché, je redescends. Les cailloux glissent, je dois marcher prudemment et me concentrer sur la marche plutôt que sur le marché. Ma visite matinale est un échec, je n’ai pas bu mon café et je n’ai pas pris une seule photo.
Je m’en vais à la gare routière, il y a plusieurs stands de nourriture. Je repère un vendeur de café en sachets. Sur le terrain vague, quelques petits bus. J’annonce Hsipaw à quelqu’un. Il me pointe un garçon assis derrière un bureau en bois, sous un toit de taule ondulée. Je m’approche du garçon et lui demande « Hsipaw? ». Le garçon est une fille. Elle me montre une ardoise sur laquelle est inscrit « 11:00 ». Je lui achète un billet. Je retourne au petit hôtel, j’emporte mon gros sac à dos. Je passe devant la chambre de Ulrich, j’entends du bruit, il est levé, je frappe à la porte, il apparait, surpris, je lui dis au-revoir et lui souhaite bonne chance pour la suite de son voyage, il me dit au-revoir et referme sa porte toujours surpris. Je dépose la clé devant la fille de la réception. Sans me regarder, elle prend la clé, la range sous son comptoir, et retourne à sa somnolence. Je sors. A la gare routière, je présente mon gros sac à la fille du billet. J’explique que je vais revenir à 11h. Elle me montre un coin abrité et sec où je peux poser mon sac. J’ai une bonne heure pour me promener encore.


Je passe devant l’église chrétienne, je prends en photo des petites nones qui marchent le long de la route. Je ne sais pas que voir de plus, je retourne à la gare. Je m’assieds sur un banc devant un stand de nourriture et demande un café. Le garçon me fait un généreux sourire, ouvre un sachet de café « trois en un », le verse dans un gros verre, prend la bouilloire de dessus son feu, rempli mon verre, puis s’en va préparer une soupe pour un autre client qui est venu s’asseoir de l’autre côté. Les nouilles ressemblent à de très longs spaghettis encore tout enfarinés. Je n’ai pas vraiment faim, mais je demande une soupe aussi. Je choisi de gros raviolis frais. D’un oeil, je regarde le petit bureau d’où partira le bus pour Hsipaw, il y a quelques personnes qui attendent à l’endroit où j’ai déposé mon sac.
Il est onze heures moins vingt, un bus s’arrête, je paie mon café et ma soupe, je me dépêche de rejoindre le départ. La fille me fait « non » de la main. De toutes les personnes qui attendent, personne n’a bougé. Mon sac est toujours là où je l’ai laissé. Je m’assieds. Je regarde.

Un téléphone rouge en plastique avec un long fil est installé sur le bureau de la fille. Elle parle avec quelqu’un. Ce qu’elle dit fait réagir tout le monde. Je n’ai rien compris. La fille écrit 12:00 sur l’ardoise à la place du 11. On se remet à attendre.
De gros chargements de passagers montent dans plusieurs camions. Ils s’entassent, se tenant debout, serrés dans la benne, et les camions partent en crachant une joyeuse fumée noire.

J’ai sorti mon appareil photo et je m’amuse à prendre des portraits des personnes qui attendent avec moi.
Il est midi, on attend toujours. Un vieux monsieur s’est endormi sur une chaise longue. Un garçon s’arrache les poils du nez en se regardant dans un minuscule miroir rose. A côté de moi, un jeune homme prend des notes. Je regarde son carnet et admire la belle écriture en coquillettes. Je ne comprends pas un seul signe, mais à voir sa tête sérieuse, j’imagine que ce sont des notes importantes.

Un petit camion à deux bancs latéraux se parque devant nous. En Thaïlande, on appelle ça un « songtaew » (deux rangées de bancs). Je ne sais pas quel nom cela à ici. Une agitation se crée. La fille décroche son téléphone. Ce qu’elle dit fait réagir les gens qui attendent. Bientôt, tout le monde est levé. La fille me fait signe de venir. Elle rembourse les tickets. Elle me désigne le petit camion. Je suis les passagers. On démarre, tout le monde est de bonne humeur. Je demande à mon voisin : « Hspipaw? » il me répond que oui. Il est passé 13h. On traverse la ville, de nouveaux passagers embarquent. Je garde ma place près de l’ouverture arrière.
Les nouveaux passagers se sont agrippés à l’arrière. On quitte la ville. Je vois une joyeuse poussière qui s’envole sur notre passage. On s’arrête. Ceux qui sont accrochés se relèvent et je sors regarder ce qui se passe. Un jeune homme verse le contenu d’une jerricane en métal dans le réservoir. On fait le plein. Je prends une photo. Un camion rempli de passagers entassés nous dépasse. Ils ont de la musique et semblent danser dans le rythme des bosses de la route. En nous voyant, ils nous saluent de cris joyeux.

A suivre…
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