RECIT DE VOYAGE EN INDE
samedi 6 décembre 2003

Il est 22h, nous arrivons devant la gare de Jaipur. Un petit passage étroit nous permet de traverser le hall encombré de sans-logis dormant sur des bouts de tissus. Nous rejoignons le quai.
Des feuilles A4 sont accrochées contre un mur, elles nous apprennent où sont nos emplacements dans le train. Nous attendons assis sur un muret. Attente rythmée par les annonces répétitives de La Voix de la Gare. Au-delà des quais, c’est la nuit noire et brûlante. Derrière nous, sous un escalier, dorment trois hommes. Des trains passent sans s’arrêter. Je crois entendre que le train a plus d’une heure de retard. Je reste attentif à tout ce qui se passe.
Je pensais que le train de nuit serait une expérience, je ne me suis pas trompé. Sur la droite, des couchettes superposées le long du mur. Sur la gauche, des cabines ouvertes avec trois hauteurs de couchettes. Des barreaux aux petites fenêtres, la majorité des stores baissés. Nous trouvons rapidement nos emplacements. Bruno s’installe en bas et s’endort immédiatement.
Un enfant crie, il est seul sur la couchette inférieure, son papa s’est levé il y a quelques instants faire un tour dans le train endormi. La mère est installée sur l’emplacement du milieu. Elle prononce quelques paroles, l’enfant se tait, pas un bruit ne s’ajoute à cela. Sur la couchette supérieure, on ne distingue rien de ce qui semble dormir sous une ou plusieurs couvertures.
En face, je suis assis en tailleur, recourbé sur moi-même sur l’emplacement du milieu. J’ai posé mon gros sac à côté de moi, j’observe. En-dessous, j’entends les premiers ronflements du Bruno endormi à poings fermés. Au-dessus de moi, pas un bruit, pas un mouvement. Par terre, entre les deux rangées se faisant face, un homme a installé une couverture. Il dort également. Ou alors il est mort.
Je fini par m’installer. Je me tape la tête contre la planche du dessus. Dans mon demi mètre cube d’espace, je sors mon sac de couchage et mon iPod. Une envie incongrue me pousse à écouter des chansons de Barbara. Je place mon énorme sac-à-dos sous ma tête. Il me servira d’oreiller géant. On ne pourra pas me le voler. J’ai accroché le petit sac qui contient mes valeurs sur mon ventre, à l’intérieur de mon sac de couchage. Je ne dormirai pas beaucoup. Je ne suis pas vraiment rassuré à l’idée de perde connaissance dans cet environnement inconnu. Une à une, les chansons de Barbara se mêlent au rythme lent du train, sa voix grince, je suis ému.
6h du matin, le train fait une nouvelle halte, j’ouvre un oeil, nous serions à Jodhpur. En quelques minutes, le train se vide. La petite famille qui occupait les deux couches inférieures en face de moi sort. L’homme qui dormait par terre a déjà disparu. Une heure plus tard, je ne tiens plus en place. Le train a commencé à se métamorphoser. Dans sa mue, les banquettes superposées se sont levées, les passagers se sont assis sur la couche inférieure. Les stores se sont levés. Bruno dort toujours. Je m’installe sur la banquette en face. Je lève un store. Par le hublot, je découvre que nous sommes déjà dans le désert. Des arbustes subsistent par-ci par-là. La chaleur augmente. La poussière sableuse entre par la fenêtre. Encore plusieurs heures avant l’arrivée à Jaisalmer.
Les deux couchettes supérieures sont encore occupées. D’un bond, un jeune homme saute de par-dessus ma tête et retombe les deux pieds sur le sol. Il s’étire, marche en faisant du surplace. Il est habillé d’un training et de flipflops. Il emporte une trousse avec lui et disparait. Dix minutes plus tard, il revient. Il est habillé, peigné et sent le propre. Je ne sais pas quel est le secret de son organisation. En inspectant le trou malodorant servant de toilettes et le jet d’eau accroché au-dessus d’une bassine, je n’arrive pas à imaginer qu’il se soit nettoyé et changé en ce lieu.
De dessous les couvertures, est sorti un jeune tout habillé de militaire : des souliers à la tête.
Un homme vient s’asseoir à côté de moi, il vient me faire la propagande pour un hôtel à Jaisalmer. Je l’écoute poliment sans rien dire, prends son prospectus et le remercie.
De plus en plus de sable entre par le hublot, il fait maintenant chaud. Dehors, la végétation se fait de plus en plus rare, nous sommes dans le désert.


C’est trop loin! m’avait dit Bruno quand je lui ai parlé de Jaisalmer. Une ville-forteresse perdue dans le désert du Thar, dernière cité avant le Pakistan. En regardant la carte, j’étais déjà fasciné.
Il est trois heures de l’après-midi quand le train s’arrête à la gare terminus de Jaisalmer. Nos sacs sont recouverts de poussière. Nous sortons sur le quai. J’observe un groupe de rickshaws qui harponne les passagers. Une jeep vert militaire est parquée devant la gare. L’homme qui m’avait fait la réclame pour son guesthouse me dit qu’on peut monter dans la jeep si on veut aller à son guesthouse. Il ajoute qu’il y a une belle vue sur le fort. Je suis trop fatigué pour prendre une décision. On monte dans la jeep.
à suivre une prochaine fois…
toutes les photos ©Fred Alix, décembre 2003 au Rajasthan, Inde