Perchés sur les plus hautes altitudes des montagnes d’Asie du Sud-Est, le peuple Hmong n’a jamais accepté la domination des civilisations des plaines. Libertaires, anarchistes pour certains, la seule chose qu’ils demandent est qu’on les laisse vivre tranquille!
Les plus anciennes légendes du peuple Hmong décrivent des nuits interminables et glacées. Les ethnologues ont retrouvé leur trace au nord de la Chine, en Mandchourie, certains auteurs pensent qu’ils venaient de Sibérie. Ce peuple qui n’a jamais combattu pour une patrie mais pour sa seule liberté vit aujourd’hui dans les régions montagneuses d’Asie du Sud-Est mais aussi aux Etats-Unis et en France.

En Chine
En Chine, les premières dynasties d’empereurs Han qui ont régné entre 1600 et 257 avant J.C. font mention de rapports difficiles avec des ethnies qui refusent de se soumettre et de s’assimiler à leur culture. Parmi ces ethnies, figurent les Hmong.
Les Chinois Han décrivent les Hmong comme étant des sauvages : «rebelles légendaires, qui auraient résisté à toutes les tentatives d’assimilation et que les premiers rois se seraient efforcés de bannir aux frontières de l’empire. » (Jean Lartéguy)
Jean Lartéguy, dans son ouvrage « La fabuleuse aventure du peuple de l’opium » (Presse de la Cité, 1979) décrit une vaste opération d’acculturation et de destruction de la société traditionnelle Hmong: Exécution des chefs locaux, mise en esclavage de leurs familles. Les armes et les biens précieux sont confisqués, les fêtes et les habits traditionnels interdits. Les jeunes Hmong sont envoyés dans des écoles chinoises où ils apprennent la culture Han, ils ont l’interdiction d’utiliser entre eux leur «dialecte barbare». Enfin, on multiplie les mariages forcés.
Cette oppression n’a fait que de renforcer la détermination des Hmong à rester libres. Ce peuple s’enfuit toujours plus vers le sud. Ils s’installent sur les sommets des montagnes du nord du Vietnam et du Laos, à ces altitudes, ils sont affranchis des civilisations qui dictent leurs règles dans les plaines.
(Cette philosophie de vie est expliquée dans l’excellent livre de James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Seuil, 2013)

On dit que lorsqu’ils sont contraints de migrer, ils enterrent le placenta des nouveaux-nés près du feu de la maison. Selon la légende, l’âme du défunt retourne à son placenta (que les Hmong appellent « l’habit de naissance »).

En Indochine
La présence des premiers Hmong au nord du Vietnam est attestée par des écrits de la fin du XVIIIème siècle.
Les Français qui dominent l’Indochine au XIXème siècle vont leur accorder une certaine autonomie. C’est à cette époque qu’ils commencent à produire de l’opium pour les colons occidentaux. Lors des guerres d’Indochine, beaucoup de Hmong vont combattre avec les Français. Il y avait beaucoup de soldats Hmong dans les derniers régiments battus à Dien Bien Phu.
Mais d’autres groupes Hmong se sont rapidement ralliés aux nationalistes de Ho Chi Minh. Ces groupes vivent toujours au Vietnam aujourd’hui alors que les pro-français ont migré au Laos.

Au Laos, la CIA américaine forme des milices Hmong pour combattre les nationalistes communistes dans ce qui s’appelle aujourd’hui « La guerre secrète ». La région de Saisomboon (peuplée par les Hmong du Laos) abrite la base de l’armée américaine la plus importante pendant la guerre du Vietnam. On dit que cet aéroport au coeur de la forêt voit atterrir et décoller plus d’avion que n’importe quel autre aéroport au monde.
En 1975, le groupe nationaliste du Pathet Lao triomphe (avec l’aide des Vietnamien de Ho Chi Minh), les américains vaincus se retirent. Les Hmong se retrouvent abandonnés de tous, certains vont réussir à émigrer aux Etats-Unis. Ceux qui ne peuvent fuir se rendent, sont emprisonnés ou exécutés. Le peuple Hmong, retranché sur ses altitudes est acculé dans la province reculée de Saisomboon.
Le Laos ne s’est ouvert au tourisme que dans les dernières années du XXème siècle. Mais la province de Saisomboon est restée interdite d’accès jusqu’en 2012. Aujourd’hui encore, des militaires Lao surveillent que les très rares touristes ne se « perdent » pas dans les villages Hmong. Le gouvernement voit aujourd’hui encore en cette ethnie comme des ennemis du communisme national.
Dans le nord de la Thaïlande, communistes par esprit de révolte

Au milieu du XXème siècle, beaucoup de Hmong traversent la frontière et se retrouvent dans le nord de la Thaïlande. Ici comme ailleurs, ils refusent l’assimilation et se rebellent contre le pouvoir. Mais contrairement au Laos où ils ont combattu le communisme dominant, en Thaïlande, ils se rapprochent des activistes communistes pour s’affirmer face à l’autorité de Bangkok.
Selon l’historien Ian Baird que j’ai eu le plaisir d’écouter dans une conférence donnée au « Informal Northern Thai Group » à Chiangmai (11 octobre 2016), les Hmong se sont retrouvés accusés de sympathie envers le Parti Communiste Thaïlandais sur un hasard de circonstances. Leurs revendications n’étaient pas politiques mais résultait d’une rébellion face aux inégalités, et d’un refus de payer des taxes. En Thaïlande, les Hmong se sont retrouvés dans le camp des communistes parce que les ennemis des mes ennemis sont mes amis.
Population actuelle
On les appelle les Hmong en Thaïlande, Méo au Vietnam ou Miao en Chine. Au Laos, ils ont été intégré dans la catégorie officielle des Lao Sung (ce que je traduis par « Lao de là-haut »). Le Vietnam les reconnait désormais dans le classement des 53 populations sous le nom de Miêu.

Les Hmong seraient aujourd’hui 3 millions en Chine. Environ 800’000 au Vietnam et 300’000 au Laos. 120’000 en Thaïlande. 260’000 auraient trouvés refuge au USA et 17’000 en France (dont 2000 en Guyane française) .
Ce peuple qui n’a jamais eu de patrie a toujours combattu pour son indépendance sans chercher à se créer une nation. Certains observateurs et missionnaires du XIXème siècle décrivent les Hmong comme étant anarchistes et « épris de liberté jusqu’à la folie » (pour reprendre les termes du Père Savina, missionnaire Français dans le Haut-Tonkin).


La fête du Nouvel-An
Le Nouvel An Hmong est une fête qui s’étale sur une semaine aux environs de la pleine lune de décembre. Il s’agit de célébrer la fin des récoltes du maïs et du riz des montagnes, et de s’accorder un repos avant la prochaine saison. Chaque village décide du moment de la fête en fonction de l’achèvement des travaux agricoles.
On prie pour chasser les mauvais esprits et pour que les bons restent l’année à venir. On rempli les jarres d’alcool de riz (le lao-lao), on tue cochons et buffles pour le plus grand buffet de l’année.
Une fête réunit plusieurs villages, c’est l’occasion de se retrouver entre amis. Les chefs des différents clans discutent ensemble de la politique à suivre pour l’année à venir. C’est aussi le moment où l’on peut rencontrer de nouvelles personnes des autres villages.

Le jeu de la balle est un rituel réservé aux jeunes célibataires. Sous l’apparence de se lancer inlassablement une balle, ce jeu très codifié permet aux jeunes d’apprendre à se connaitre, de se séduire et peut mener à un mariage qui sera célébré dans les six mois!
On m’a expliqué les règles de ce jeu (du moins j’ai cru comprendre): les filles peuvent lancer la balle à une autre fille, ou a un garçon qui lui plait, mais les garçons ne peuvent pas se lancer la balle entre eux. Il est aussi tabou de se lancer la balle entre membres du même village. Si un joueur laisse tomber ou rate la balle, il ou elle devra donner un de ses ornements au joueur opposé. Pour récupérer cet ornement, il devra aller lui chanter une chanson d’amour.






Cette fête est organisée dans toutes les communautés Hmong en Asie mais aussi chez les exilés comme dans la communauté Hmong de Guyane française. Il n’est pas rare que des Hmong vivant aux Etats-Unis reviennent au Laos ou au Vietnam à cette occasion.
Le nouvel-an est aussi le moment où l’on raconte les contes et légendes Hmong, on chante les chansons de l’histoire commune, on danse (les Hmong ont leur propre version de la Danse du Bambou!) et on joue des instruments tel le Kaen (sorte de flûte de bambou qui s’est répandue jusque chez les peuples voisins).

Au marché de Sapa
Qui est déjà allé au nord du Vietnam est forcément passé par la petite ville des montagnes de Sapa. Son marché rassemble toutes les ethnies de la région qui viennent y faire leurs achats mais aussi pour y faire des rencontres. Les gens des tribus savent qu’il est important que les mariages ne soient pas consanguin. Si les hommes et les femmes revêtent leurs plus beaux habits ce n’est pas pour le plaisir des touristes mais bien pour tenter de trouver l’âme soeur/frère : d’ailleurs ne chante-t-on pas « ce soir je serai la plus belle pour aller au marché… » ?



Les différents sous-groupes
De par l’histoire de sa longue migration étalée sur trois mille ans ! Les Hmong (qui n’ont jamais cherché à se former une patrie) sont parmi les peuples les plus éparpillés sur terre. Pas étonnant qu’il n’y ait pas une unité vestimentaire ou même linguistique. La langue Hmong ne s’écrit pas, seule la tradition orale permet à l’histoire de traverser le temps au-travers des légendes et des chants.
On distingue les Hmong-noirs, les Hmong-blancs, les Hmong-vert, les Hmong-rayés, les Hmong-fleuris, …
Aujourd’hui, les enfants Hmong sont intégrés dans des écoles gouvernementales et apprennent la langue nationale. La langue Hmong est de moins en moins parlée. En Thaïlande, ils ont intégrés le large groupe des « peuples de collines » et ont reçu des cartes d’identités. Mais peut-on effacer trois millénaires de révolte contre toute forme d’asservissement ?












12la chose et se moque du fait qu’il était un mauvais soldat. » (Claudine Lombard-Salmon, citée par Jean Lartéguy)

Pour confectionner un habit traditionnel Hmong, une femme prend habituellement entre 1 à 2 ans. Les techniques de tissage, teinture, batik, broderie et plissages sont transmises de mère en fille. Les variantes sont infinies. Les costumes sont entièrement faits à la main (exceptée l’utilisation de machines à coudre), il n’y a pas deux costumes qui soient identiques.



texte et toutes les photos © Frederic Alix, Laos, Vietnam, Thaïlande, entre 2007 et 2018

Bibliographie :
James C. Scott, Zomia ou l’art de ne pas être gouverné, Seuil, 2013
F.M. Savina, Histoire des Miao, Hong Kong, 1930
Jean Lartéguy, La fabuleuse Aventure du Peuple de l’Opium, Presse de la Cité, 1979
Victoria Vorreiter, Hmong Songs of Memory, Resonance Press, 2016
Les Hmong du Laos 1945-1975 – Leur engagement dans les guerres d’Indochine aux côtés des Occidentaux : enjeux et réalités, GRALL Tiphanie, Mémoire de fin d’études Séminaire Asiedirigé par M. Corcuff 16 juin 2006
Wow! tu as vraiment bcp de photos des Hmongs. Nous en avions vu en Thailande… Tu as fait une belle recherche sur le sujet. Tu es pas professeur a temps perdu ?? 🙂