Dans le Bouddhisme Théravada (de tradition originelle), on fête la nouvelle année à la pleine lune du mois d’avril. Cette fête, qui se veut être un grand nettoyage de printemps, est célébrée avec beaucoup d’eau.

A quel moment commence l’année? Au premier janvier comme l’a voulu Jules César en – 46; date qui n’a officiellement été reconnue en France qu’en 1564? Ou au solstice de printemps comme dans la tradition agricole qui remonte aux Babyloniens?
Le Nouvel-An Bouddhiste
En Thaïlande et au Laos, la fête du Nouvel-An s’appelle Songkran. Au Myanmar on l’appelle Thingyian. Au Cambodge elle prend le nom de Chaul Chnam. Mais il ne faut pas se tromper, il s’agit bien d’une fête religieuse. Par exemple, les Chin et les Kachin du Myanmar, qui sont chrétiens, ne participent pas aux festivités. Si des communautés non bouddhistes célèbrent la fête de l’eau, c’est pour montrer leur allégeance à l’état bouddhiste – mais aussi parce que cette fête est amusante.
Le Vietnam ne célèbre pas le Nouvel-An en même temps, parce que, comme les Chinois, ils ne suivent pas la même tradition bouddhiste.
En Chine, dans le sud du Yunnan, la région du Sip-Song-Pan-Na (Jinghong, anciennement appelé Chiang Rung), on fête le Nouvel-An de la même manière qu’à Chiang Mai puisque cette région faisait partie autrefois du Royaume du Lanna (dont Chiang Mai était la Capitale). Mais depuis Mao, les références religieuses ont été effacées, on n’a gardé que les batailles d’eau.

Pour des raisons pratiques, la Thaïlande a décidé de de fixer Songkran du 13 au 16 avril du calendrier solaire. Au Cambodge, les dates de Chaul Chnam varient en fonction du calendrier lunaire.
L’an 2019 de l’ère chrétienne correspond à l’année 2562 de l’ère bouddhiste, les Thaïs et les Laos changent d’année au premier janvier depuis longtemps. Mais au Cambodge, c’est Chaul Chnam a la mi-avril qui marque le passage dans la nouvelle année comptable.
Les traditions ne sont pas gravées dans la pierre, elles évoluent avec le temps et varient d’une région à l’autre. Dans les paragraphes suivants je vous parle précisemment de la tradition issue du Lanna (royaume dont Chiang Mai était la Capitale). Le programme est très similaire dans toute la Thaïlande, au Laos, au Cambodge et même au Myanmar.

Au premier jour : nettoyages
Le premier jour du festival est le dernier jour de l’année écoulée – comme un 31 décembre. Ce jour est dédié aux nettoyages. Une fois la maison propre et bien rangée, on met ses beaux habits pour aller à la procession des statues de Bouddha en ville. Parce que dans les monastères aussi, on fait les nettoyages. Et pour que tout le monde puisse en profiter, les statues sacrées sont sorties des temples et placées sur de grands chars décorés que l’on promène dans les rues dans une immense parade. Au passage, les gens arrosent les statues avec de l’eau parfumée au jasmin. Les moines en profitent pour bénir la foule en l’aspergeant à leur tour. Cette parade sacrée est extrêmement festive avec de la musique, des danses et beaucoup beaucoup d’eau!
La grande parade des statues de Bouddha qui regroupe toutes les paroisses de la ville date des années 1960, avant ça, les monastères sortaient simplement les statues devant les temples.






Au deuxième jour : préparations
Le deuxième jour correspond à un jour intermédiaire entre l’année écoulée et l’année à venir.
C’est une journée de préparations. On cuisine de bons plats qui seront donnés au temple le lendemain.
C’est le jour où traditionnellement on s’en va à la rivière pour récolter du sable (de nos jours, rares sont ceux qui vont réellement récolter du sable puisqu’on peut en acheter dans les échoppes). Il est destiné aux temples. Il s’agit de ramener symboliquement le sable que l’on a pris pendant l’année écoulée. En effet, à chacune de ses visites au temple, on repart avec du sable sous ses chaussures, il faut une fois par année en ramener et ainsi remercier le monastère.
Au bord de la rivière, les jeux dégénèraient rapidement en des batailles d’eau. Mais depuis que la Mae Nam Ping a été endiguée, il n’est plus possible d’aller faire des batailles d’eau dans la rivière.




Autre préparation pour ce deuxième jour: on confectionne un bois de soutien destiné à l’arbre sacré du monastère. Bien sûr, aujourd’hui ces bois sont en vente dans les échoppes et tout comme la récolte du sable, rares sont ceux qui le confectionnent réellement.


Au troisième jour : aller au temple
Le troisième jour du festival est le premier jour de la nouvelle année (enfin!) C’est aujourd’hui que débute traditionnellement le festival de l’eau, même si les deux premiers jours ont déjà été copieusement arrosés.
C’est très tôt le matin que l’on se rend au temple pour y apporter les offrandes de nourriture, le sable et les bois de soutiens confectionnés la veille. (en réalité, beaucoup n’ont pas attendus et sont déjà venus au deuxième jour). En chemin pour le temple, on arrose tout sur son passage. De nos jours, c’est devenu l’apogée du festival de l’eau et il est impossible de vouloir rester sec si on met un pieds à l’extérieur.










Au quatrième jour : on rend hommage aux ainés et aux ancêtres.
Alors que tout a été bien nettoyé, que les offrandes ont été apportées au temple, que l’on est purifié et renforcé de nouveaux mérites : on commence la journée par rendre hommage aux ainés en allant leur verser de l’eau sur les poignets. C’est peut-être le seul moment où l’on asperge avec respect. En retour, les ainés souhaitent aux plus jeunes une longue vie et la prospérité.
Puis, la famille réunie se rend une nouvelle fois au temple pour une ultime cérémonie dédiée aux ancêtres disparus. Ce deuxième jour de la nouvelle année est une célébration de la continuité de la vie, on relie les générations passées aux générations présentes et on prie pour l’avenir. C’est aussi la fin du festival, en ce dernier jour, les batailles d’eau ont pris fin.
note: dans le bouddhisme chinois, le Qing Ming, culte des ancêtres, se fête (une semaine plus tôt) au début du mois d’avril, c’est l’équivalent de la Toussaint catholique.












Vous savez que j’aime faire des parallèles entre les cultures. La fête de Pâques qui symbolise la résurrection et la renaissance est elle aussi célébrée au printemps. Comme le nouvel an bouddhiste, Pâques s’étale sur plusieurs jours: la mort de Jésus le vendredi saint (fin d’un cycle), un jour intermédiaire le samedi, et la résurrection le dimanche (début d’un nouveau cycle). La Pâques chrétienne étant un héritage de la Pâque juive, elle-même héritée des Babyloniens, il y a fort à parier que l’origine de toutes ces célébrations soit la même.



Le texte et toutes les photos © Frederic Alix. Photos prises entre 2007 et 2019 en Thaïlande, Myanmar et Laos



