Au Moyen-Âge, avant d’attaquer un ennemi, les espions étaient chargés de compter le nombre d’éléphants de l’adversaire. Jamais un souverain ne se serait lancé dans une bataille si il n’avait pas l’assurance d’avoir dans son armée le plus grand nombre d’éléphants.

Du temps où le Plateau de Khorat était encore recouvert de forêts, la région était connue pour être l’habitat à de nombreux éléphants. Les Kyu, habitants indigènes de Surin étaient réputés pour être de fiers chasseurs et d’excellents dresseurs d’éléphants.
Après avoir été sous le contrôle du Royaume khmer d’Angkor (situé un peu plus au sud), la région de Surin, reservoir d’éléphants et de cornacs réputés est tombée sous le contrôle du Royaume siamois d’Ayuthaya (situé plus à l’ouest).
Les chasses aux éléphants étaient porteurs de rituels sacrés, les monarques aimaient y assister. Ces grandes chasses royales rappellent celles qui avaient lieu en Europe.

L’Abbé François Timoléon de Choisi, envoyé de Louis XIV au Siam aurait (selon ses notes de voyage) assisté à une chasse d’éléphants commandée par le Roi du Siam dans la région de Surin en 1685. Il s’agissait toutefois plus d’un spectacle plus proche du rodéo que d’une véritable chasse qui a été présentée aux dignes représentants français. On aurait du mal à imaginer l’abbé de Choisi, connu pour son goût pour le travestissement, dans une véritable chasse à l’éléphant dans les forêts d’Issan.
Les chasses royales se sont progressivement transformées au fil des années en des rassemblements d’éléphants devant des gradins, l’occasion pour la royauté de présenter sa puissance éléphantesque devant une audience internationale.

(Ici l’éléphant a été peint en blanc pour les besoins du spectacle).
Plus récemment, en 1891, le Roi Chulalongkorn (Rama V) a invité le futur Tsar Nicolas II de Russie à un spectacle de démonstrations du savoir-faire des Kyu à Surin.
En 1903, l’écrivaine américaine Eliza Ruhama Scidmore a rédigé un grand article sous forme de reportage qu’elle a titré « La plus grande Chasse au monde ». Dans son récit, elle raconte que le monarque du Siam et son entourage sont venus séjourner au palais d’été pour le rassemblement qu’ils parrainaient. Les dignitaires sont venus en bateau ou en train, et la plupart des habitants sont arrivés par voie fluviale. Elle décrit le laborieux travail des chasseurs d’éléphants qui ont rassemblés plus de 250 pachydermes. Selon son récit, plusieurs mahouts ont été blessés et piétinés involontairement lors de la rafle, mais ceux-ci ont reçu des soins immédiats.
En 1962, la dernière représentation directement patronnée par le Roi s’est tenue en l’honneur de la visite de Frederick IX du Danemark.

Dès la fin des années 1960, les rassemblements d’éléphants de Surin sont devenus des événements annuels organisés par les collectivités locales dans un but purement touristique. A cette époque le Cambodge voisin était plongé dans la guerre, la déforestation des plateaux d’Issan avait considérablement réduit l’habitat naturel des éléphants et la modernité avait congédié les animaux travailleurs pour les remplacer par des machines. Ce festival a permis de re-donner du travail aux éléphants et à leurs mahouts.

Buffet éléphantesque
Le festival moderne ne se déroule plus dans le village de Taklang mais dans la petite ville de Surin. Le premier jour est donc consacré au voyage des pachydermes vers la capitale provinciale, une fête de bienvenue est organisée : tout au long de la rue principale, un buffet géant destiné aux éléphants attend les stars du festival. Ce banquet est disposé sur des tables de 400 mètres de long recouvertes d’une soie de l’artisanat local. Le 14 novembre 2003, le Guinness Book a enregistré « le record du monde du plus grand buffet pour éléphants », 269 éléphants ont dégusté 50 tonnes de fruits et de légumes!
Les deux jours suivants, deux représentations d’un spectacle géant sont données dans le stade de la ville. En plus de la parade elle-même qui est impressionnante : jamais je ne m’étais trouvé devant le tableau vivant d’autant d’éléphants, le spectacle présente le savoir-faire des mahouts ainsi que des danses traditionnelles de la région. L’apothéose du spectacle est une reconstitution grandeur nature d’une bataille entre les armées siamoises (en rouge) et birmane (en bleu). La bataille se termine par la victoire du Siam.





Déshonorés !

Si j’ai été ému au moment de la parade des éléphants au centre du stade, j’ai eu un moment d’affliction et de profonde tristesse lorsque le spectacle a présenté des éléphants vêtus d’habits ridicules et forcés à devoir faire des clowneries pour amuser le public.
Comment peut-on réduire un si noble animal, dont l’intelligence supérieure n’est plus à prouver, à une mise en scène aussi débile? Et je ne vais pas épiloguer sur le match de football et autres démonstrations d’anthropomorphisme dignes de l’imagination ridicule d’un Walt Disney.
Apprivoiser et dompter ne suffisent pas, les humains doivent déshonorer les éléphants, j’en ressens une tristesse énorme, ce déshonneur se répand sur nous tous.









Animal sacré
Autrefois symbole de la puissance des armées, l’éléphant est aujourd’hui encore un animal national en Thaïlande. Il figurait sur le drapeau du Siam (avant que le pays ne devienne Thaïlande), à l’instar du Laos qui s’appelait autrefois « le Royaume du million d’Elephants ». Depuis quelques années, un festival d’éléphants est organisé à Hongsa dans le nord-ouest du Laos.
Au Myanmar, l’éléphant sauvage a pratiquement disparu mais l’animal garde une importance symbolique. Lors de festivités religieuses, la présence d’un éléphant est un signe fort. D’ailleurs le symbole de l’éléphant est tellement fort que la petite ville birmane de Kyaukse (sud de Mandalay) organise toutes les années un festival de la danse de l’éléphant. Mais si vous cherchez à y voir des animaux vous serez déçus puisque ces éléphants sont faits de bambous et de papier mâchés, les birmans prennent place à l’intérieur de cette sorte de marionnette géante et accomplissent des danses aux sons des hauts-parleurs.

Le festival des Elephants de Surin « Round Up » rassemblement de 200 à 400 éléphants, a lieu entre du vendredi au dimanche à la troisième semaine du mois de novembre. Le vendredi matin est consacré à la parade dans la ville et au buffet. Les représentations ont lieu le samedi et le dimanche. Il est prudent de reserver longtemps à l’avance.
toutes les photos ©Frederic Alix, Surin le 21 novembre 2015
Dans le présent texte je n’entre (volontairement) pas dans le débat de l’utilisation abusive (ou non) des éléphants dans l’industrie touristique. Sur ce sujet je vous conseille l’excellent article de mon amie Debbie : Hope against Hope
Article très intéressant, Fred. Je vois que le festival a lieu en ce moment, a Surin. Je ne sais pas si le spectacle me plairait mais Je suppose que, un de ces jours, je devrais aller le voir… Le 18 novembre 2019