Dans le nord de la Thaïlande (la région qui s’appelait autrefois Royaume du Lanna), tout le monde a le souvenirs d’avoir joué dans son enfance avec un « Kwaang » (scarabée rhinocéros). Certains ont encore les stigmates sur les mains d’avoir été pincé par l’insecte gladiateur. Et il y en a qui n’ont jamais quitté le jeu, et sont devenus à l’âge adulte des spécialistes du combat de ces insectes à corne.

Scarabée populaire
Si l’éléphant est sans conteste l’animal symbole des pays d’Asie du Sud-Est, il appartient aux puissants ou du moins à ceux qui y consacrent leur vie (les mahouts). Le Kwaang est tout le contraire : un insecte populaire. L’attraper est un jeu d’enfant (au sens premier) et on peut en acheter pour quelques bath. On peut dire qu’il symbolise le mieux le rapport entre l’humain et la nature, c’est en tout cas ce que les passionnés de Kwaang vous diront.
Au Lanna, entre les mois de septembre et décembre, on organise dans les villages des combats de Kwaang, c’est une passion qui réunit les générations, chacun espérant avoir trouvé le « Roi des Kwaang ».
Le scarabée rhinocéros, (ou Dynastinae en latin), a une taille qui varie entre 4 et 10 centimètres, les plus gros peuvent atteindre 15 centimètres. Ils tiennent leur surnom du fait qu’ils ont une corne unique qui leur sert de pince.

A la chasse aux Kwaang
A la fin de la saison des pluies, on part à la chasse aux Kwaang dans les régions sauvages. On utilise une femelle pour attirer les mâles. J’ai assisté à une battue il y a quelques années dans la région de Pai, mais j’ai eu de la peine à suivre les chasseurs dans leur course. Une fois attrapé, le Kwaang est attaché avec une ficelle de laine à un tronc de canasucre, sa nourriture favorite.


Beaucoup d’amateurs de Kwaang se plaignent qu’il est de plus en plus difficile d’attraper des rhinocéros volants. La faute à la réduction de leur habitat naturel et à l’utilisation abondante des engrais chimiques dans les champs. Certains passionnés ont crée des « fermes » de Kwaang, espérant réussir à faire de l’élevage en croisant les champions. Un amateur m’a dit que rien ne vaut un scarabée né dans la forêt.
Entrainement au combat
Un Kwaang sauvage n’est pas naturellement doué pour les combats. Un entrainement est nécessaire. C’est d’ailleurs là que naît la relation entre l’humain et le scarabée. Ils doivent être nourris avec de la canasucre et entrainés dans des combats entre différentes espèces. Mais n’allez pas imaginer que les gladiateurs rhinocéros reçoivent un entrainement militaire intensif, les spécialistes savent que c’est dans la relation entre l’humain et l’insecte que se révélera un scarabées champion. Dans les récits que j’ai entendu, on m’a plus parlé de mysticisme, de rapport avec la nature, que de tactique guerrière, et là, je dois vous avouer que bien que très intéressé, je me sens un peu dépassé.

Combat sur le ring en bois
Le combat se déroule sur une bûche de bois perforée de deux trous. On place les femelles dans ces orifices, elles vont produire les phéromones qui encourageront les mâles et leur donneront une raison de se battre. Les humains qui dirigent les combats suivent une série de règles orales.
Les joueurs humains communiquent avec leur insecte au-travers d’un stylet crocheté. Cette sorte de grosse vis produit des vibrations sur la bûche qui semble parler aux scarabées rhinocéros.
Il est permis au joueur de toucher son scarabée avant le début du combat, on lui fait faire trois tours sur lui-même en guise d’échauffement, puis une fois le match commencé, les humains libèrent les insectes et ne peuvent entrer en contact avec eux qu’au travers des vibrations sur la bûche.
On a le droit de faire pivoter le tronc mais on ne peut plus toucher les animaux. Un match se termine lorsqu’un Kwaang abandonne le combat de lui-même et refuse clairement de se battre trois fois de suite. Malgré l’impressionnante pince, le seul sang qui peut couler est celui de l’humain, les insectes savent arrêter avant de s’entre-tuer.
Ces combats sont l’occasion de paris et les organisateurs savent qu’ils enfreignent les lois sur les jeux de hasard en créant temporairement ce que certains appellent des « Casino Kwaang » qui attirent un large public.



En vous promenant dans les campagnes et par les villages entre les mois de septembre et décembre, si vous êtes attentifs, vous verrez certainement des Kwaang attachés à des bois de canasucre, et peut-être tomberez-vous par hasard sur des combats. Le meilleur endroit où trouver des Kwaang est le marché au bétail de San Patong (un énorme marché qui se tient le samedi matin, où l’on trouve des orchidées comme des vaches et des buffles en passant par l’outillage agricole). Vous y verrez les spécialistes observer ces insectes unicornes d’un oeil expert, mais aussi des enfants qui n’ont pas encore appris à cacher leur joie derrière le masque de l’expertise.




Combats d’animaux
Cette relation entre l’humain et l’animal rappelle les combats de coqs qui ont lieu un peu partout dans le monde, mais aussi les combats de poissons, de criquets et bien sûr de vaches (par exemple les combats de Reine du Valais Suisse). – les corridas n’entrent pas dans cette catégorie puisqu’il s’agit de combats qui opposent l’humain à l’animal !
Combats de coqs
Les combats de coqs sont interdits dans beaucoup de pays, mais en sortant des sentiers, on tombe souvent sur l’un d’eux.






Combats de chants
Un autre type de compétition est le combat de chants d’oiseaux. Il s’agit d’une tradition d’origine chinoise qui s’est répandue avec sa diaspora. Les oiseaux ne se combattent pas avec la force des pattes mais par leur voix. Un jury détermine l’oiseau vainqueur en suivant des règles pointues – que je ne connais pas.



Revenons aux Kwaang
Au marché de San Patong, le prix pour un Kwaang commence à 1 euro. Un insecte qui a été entrainé et qui a gagné quelques combats voit sa valeur peut s’envoler jusqu’à un millier d’euros.




Bibliographie :
Le scarabée conducteur – Le jeu de Kwaang, entre vibration et coopération, Stéphane Rennesson, Emmanuel Grimaud et Nicolas Césard, Terrain numéro 58, mars 2012
Beetle fighting and Northern Thai cosmology, A Talk by Stéphane Renesson, Informal Northern Thailand Group, numéro 422, Chiang Mai.
Photos :
Photos © Frédéric Alix, à Pai en août 2008, Chiangmai, quartier de Jed Yod en septembre 2008, Marché au bétail de San Patong, octobre 2019. Photos additionnelles au Laos, Chine et Myanmar.
Tres interessant ton article sur un phenomene que nous ne connaissons pas ici au Canada. Je peux te dire que je n’aimerais pas trop voir une de ces bestioles dans ma chambre a coucher ou dans ma cuisine.