La religion est un tout, indissociable
Je devais avoir 16 ans, le monde était plongé dans la guerre du Golf. Pour une raison inexpliquée, j’étais fasciné par la culture arabe et je ne comprenais pas que la religion puisse être mêlée à la guerre. J’étais alors catéchumène, et j’ai demandé au pasteur si il pensait qu’à l’avenir on pourrait unir les religions afin d’éviter de nouvelles guerres fratricides. Il n’a pas aimé ma question. Il s’est relevé et d’un ton sévère m’a répondu qu’on n’allait pas à l’église faire son marché ; qu’on ne pouvait pas choisir deux produits de marques différentes. « La religion est un tout indissociable. Et les religions ne sont pas compatibles » m’avait-il assuré. Pas question de faire du tourisme religieux!
Bien des années plus tard, après avoir tourné plus d’une fois autour du monde, après avoir visité des centaines de temples et lieux de cultes de toutes les religions, je me suis retrouvé à Penang en Malaisie, une ville où se côtoient plusieurs religions.
La Malaisie est un pays musulman, mais deux tiers de sa population sont d’ethnies et de confessions différentes. Les Malais-chinois sont majoritairement taoïstes, les Malais-indiens sont hindouistes, et on compte aussi des bouddhistes et même des chrétiens.
L’île de Penang a la particularité d’avoir un complet mélange de toutes ces populations. On y trouve donc des lieux de culte de toutes les religions. Un jour, je suis parti dans une promenade qui devait me faire traverser l’islam, l’hindouisme, le taoïsme, le christianisme et le bouddhisme.

Prières à vendre
Mon premier arrêt dans un sanctuaire hindouiste n’a pas été très heureux. L’officiant était payé à la commission et seuls les pèlerins qui présentaient des billets de banque l’intéressait. Il récitait alors un mantra, aspergeait d’eau lustrale et sur demande dessinait un troisième œil avec de la terre colorée sur le front du pélerin avant d’empocher son aumône et passer au suivant. On m’a demandé de me mettre de côté avant qu’on me pousse véritablement vers la sortie.
Nous sommes frères
Ma seconde étape m’a emmené devant une mosquée. D’un pas décidé je me suis approché de l’espace des prières. J’ai observé les paroissiens faire leurs ablutions avant d’aller se prosterner sur des tapis dans la direction de la Mecque. Un homme m’a approché et m’a souhaité la bienvenue, puis comme il m’a demandé ma confession j’ai répondu que j’étais chrétien.
« Alors nous sommes frères » m’a-t-il répondu. Et me tirant par l’épaule il m’a amené devant un poster sur lequel était dessiné l’arbre généalogique d’Abraham. Il m’a montré que Jésus et Mahomet étaient certes sur deux branches proches. Puis il m’a invité à prendre le thé dans la bibliothèque. Un deuxième homme, qui s’est dit être imam s’est associé à notre conversation. Leur discour était très instructif, et bien huilé. Ils cherchaient nos points théologiquement compatibles. A la fin de la discussion j’aurais pû me croire musulman. J’aurais d’ailleurs aimé aller prier avec eux s’il n’y avait pas eu une close tout en bas du contrat me demandant de renier ma précédente confession. Voilà qui n’était pas acceptable. Décidément, ces imams n’avaient rien à envier à mon pasteur.
Nous nous sommes quittés bons amis et je suis reparti dans ma promenade interreligieuse.
Drive-in taoiste
Pour ma troisième étape, je suis allé dans un sanctuaire taoïste. Lieu où la couleur rouge domine toutes les autres, où les bâtons d’encens brûlent 24/7 et font un mètre de haut et où les divinités sont tellement impressionnantes qu’on n’a pas envie de les fâcher. J’ai observé le passage rapide des fidèles venus brûler des papiers colorés, se prosterner dans les quatre directions et repartir à leurs affaires.
Lieux paisibles
Le lendemain, je suis entré dans une église catholique, pour la première fois je n’ai pas eu à me déchausser devant l’entrée, mais je l’ai fait automatiquement. J’ai regardé la statue de Marie et me suis assis un moment dans le silence aux pieds du Christ souffrant sur sa croix, et j’ai partagé cette souffrance en regardant les gouttes de sang rouge qui coulait sur son front.
Puis, je suis entré dans un monastère bouddhiste où il n’y avait personne, mais juste un chat. Je suis allé m’asseoir devant la statue principale du Bouddha, dans sa position assise, prenant la terre à témoin.
J’ai médité un moment en regardant le sourire paisible du Bouddha qui me semblait plus agréable à l’oeil que le martyre du Christ cloué à la croix. Et je me suis souvenu des paroles du pasteur: la religion est un tout, on ne peut pas remplacer le visage souffrant de Jésus par la béatitude de Bouddha, quelle tragédie!
à suivre : Promenade Inter-religieuse II à Chiang Mai.
le texte et toutes les photos © Frédéric Alix, entre 2009 et 2022.