Alors que le Myanmar vit une nouvelle période tragique de son histoire, on peut s’étonner que les moines bouddhistes gardent le silence dans la tourmente qui ravage le pays depuis 2 ans.
Guerre du Vietnam
Au Vietnam, dans le conflit qui a suivi le départ des colons français, le pays s’était retrouvé coupé en deux : le sud suivait une idéologie occidentale et le nord était contrôlé par Ho Chi Minh et les révolutionnaires communistes.
Soeur Chan Khong, moniale proche du moine bouddhiste-zen Thich Nhat Hanh, raconte dans ses mémoire qu’elle a pris l’habit religieux parce qu’elle aspirait à devenir une travailleuse sociale, elle voulait agir au plus près de la population.
Elle confesse qu’elle aurait adhéré à l’idéologie communiste si elle n’avait pas rencontré des réfugiés fuyant le nord, encore traumatisés par la dictature communiste qui s’y était installée.
En 1962, le Sud-Vietnam devient officiellement catholique, les fêtes bouddhistes ne sont plus des fêtes officielles, le drapeau bouddhiste est interdit, certains moines sont emprisonnés.
En réaction, les religieux bouddhistes manifestent pacifiquement, certains s’immolent par le feu.
Soeur Chan Khong est elle aussi soupçonnée d’être communiste puisqu’elle nourri les pauvres et les instruits. Thich Nhat Hanh publie des appels à la paix sans prise de parti, il est condamné par les autorités de Saigon.
Quelques années plus tard, alors que le Vietnam est réunifié sous le contrôle des communistes, l’église bouddhiste refuse de se soumettre au directoire gouvernemental et est interdite. Plusieurs moines comme Thich Nhat Hanh et Soeur Chan Khong choisissent la voie de l’exile pour continuer à mener des actions sociales depuis l’extérieur. Ils vont notamment affréter des bateaux pour aller secourir ceux que l’on a tristement appelé les « boat people ».
Au Vietnam, les moines ont protesté, mais cette protestation a été la réaction à une attaque contre leur église. Leurs actions, leur travail social, ont strictement été une aide aux démunis. Aucun moine ne s’est impliqué politiquement ou n’a jamais critiqué un gouvernement, ils ont lancé à plusieurs reprises des appels à la paix sans prise de parti pour un camps ou un autre. Toutefois, ils se sont défendus pacifiquement alors que leur église bouddhiste s’est trouvée menacée.
Révolution de safran au Myanmar
En 2007, au Myanmar, on se souvient de ce qui a pris le nom de Revolution safran, les marches de protestation des moines contre le gouvernement militaire en place depuis des décennies.
L’histoire commence à Pakkoku, lors d’une altercation, un militaire tue un moine. C’est un grand choc dans un pays qui a érigé le Bouddhisme comme un fondement de la nation.
Le lendemain, plusieurs moines retournent leur bol d’offrande lorsqu’ils passent devant les militaires. Par cette action, ils refusent les dons, ils se mettent en grève. Refuser à un laïc de faire une offrande à un moine est la pire action que l’on puisse imaginer. C’est un peu comme si un prêtre fermait son confessionnal et refusait de distribuer des hosties.
Le mouvement s’est répandu dans tout le pays: les moines ont retourné leurs bols. Des laïcs se sont joints à la marche et cette révolution pacifique a obligé les militaires à imaginer une nouvelle politique qui a permis une ouverture démocratique relative (ouverture qui aura duré 8 ans).
Dans cette révolution safran, les moines n’ont pas ouvert la bouche, ils ont marché en silence, leur bol à l’envers. Mais cette action n’est pas née d’un désir politique, cette action a été la réponse au meurtre d’un moine.
Protestations silencieuses et non-violente
Dans mes deux exemples, les moines bouddhistes ont réagit à une attaque contre eux. Dans mes deux exemples, ils sont restés pacifiques et ont agi en silence.
Les religieux bouddhistes ne s’expriment jamais sur les questions politiques. Exception faite du moine ultra-nationaliste Wirathu, qui appelait au meurtre des musulmans dans le seul but de déstabiliser le gouvernement de Aug San Suu Khi. Wirathu était-il vraiment un moine ou n’était il qu’une marionnette que les militaires étaient allé chercher dans une prison?
Alors pourquoi les moines sont-ils silencieux aujourd’hui ? Tout simplement parce qu’ils l’ont toujours été, parce qu’ils veulent mener les âmes vers la paix et non le conflit, et parce que l’église bouddhiste n’est pas menacée par les militaires qui ont repris le contrôle absolu du pays.
Les militaires ont toujours été des sponsors importants pour les temples bouddhistes.
Les chrétiens protestent plus facilement
Au Myanmar, la nouvelle donne politique a libéré les idées nationalistes dans lesquelles le pays doit revenir à son fondement : le bouddhisme. Les chrétiens ne représentent que 6% de la population. La chrétienté est vue comme la religion de l’ancien colonisateur. Ces dernières années, des actes de déstabilisation ont été menés par des bouddhistes intégristes comme la construction d’un stupa juste à côté d’une église chrétienne à Hpa’An. Acte totalement illégal puisque le terrain appartient au responsable de l’église. Quel peut être le but de cette action sinon pousser les chrétiens vers la protestation et ainsi pouvoir les pointer du doigt comme étant de mauvais citoyens ?
C’est parmi les chrétiens que se trouvent le plus de révolutionnaires. Même si les autorités religieuses rappellent qu’il faut rester non-violent, les laïques chrétiens se sentent de plus en plus menacés et sont plus prompts à protester.
Les illustrations sont des photos de tableaux de l’artiste birman Htein Lin que j’avais eu la chance de rencontrer en mars 2008 lors de l’exposition qu’il a donné à Chiang Mai. Htein Lin est aujourd’hui en prison au Myanmar. Sa femme, ancienne ambassadrice du Royaume-Uni, a elle-aussi été emprisonnée puis graciée il y a quelques mois.
sources :
article : Buddhist Pagoda Inside Christian Church Compound Increases Religious Tensions in Hpa-an
Soeur Chan Khong, La force de l’amour, 2008, Albin Michel