Nous venons d’un pays qui n’existe pas

Cambodge, février 2004

Après une semaine de repos à Bangkok, nous reprenons la route vers le Cambodge. Le train est parti avant l’aube ce matin de la gare centrale de Hua Lampong.

A midi, nous avons traversé la frontière à pieds, et notamment le « no mens land », cette bande de terre large d’une centaine de mètres qui sépare le poste frontière thaïlandais du poste frontière cambodgien. 

Aranyaphratet, juillet 2005
(photo: Poipet, le no-mens-land, le 13 juillet 2005)

Le jeune voyageur que je suis (que j’étais au moment où j’ai écrit ce texte) se mets à réfléchir sur le symbole du passage de frontières. Quitter la Thaïlande pour entrer au Cambodge. Recevoir un tampon de sortie d’un côté et un tampon d’entrée de l’autre. Une centaine de pas qui sépare deux cultures différentes, deux langues et même deux écritures. Une histoire commune faite de guerres et de paix, d’influences et de rejets.

Une ligne tracée sur une carte de géographie marque la frontière entre deux mondes.

Les différences sont immédiatement visibles, le calme thaïlandais laisse la place à une agitation complète. Des rabatteurs tentent de nous presser pour nous faire embarquer sur des pickups remplis de légumes. Pendant un moment, j’ai l’impression qu’on est retourné en Inde. Je propose à Bruno de s’arrêter et de manger un riz pendant que l’on observe la situation.

Nous voulons rejoindre Siem Reap, gros village qui sert de base aux visiteurs de la Cité antique d’Angkor. Après plusieurs histoires (que je raconterai probablement dans un prochain post) nous montons dans une vielle voiture aux suspensions défoncées qui nous servira de taxi collectif. Nous partageons les frais de ce transport privé avec un couple de touristes que l’on vient de rencontrer. Bruno et moi sommes assis à l’arrière avec la femme du couple inconnu. Il nous faudra près de cinq heures pour parcourir les 150 kilomètres.

Le chauffeur cambodgien parle un peu l’anglais, il se tourne vers l’homme assis à côté de lui et lui pose la question rituelle « where do you come from? »

-On vient d’un pays qui n’existe pas.

Silence dans la voiture. Le chauffeur n’est pas sûr d’avoir bien formulé sa question. Je suis curieux d’en savoir plus, j’attends la suite.

– On a le passeport espagnol, mais on est Catalan. Notre langue et notre culture sont catalanes, mais notre pays n’existe pas.

Le chauffeur qui s’attendait à une discussion simple ne sait que répondre. Il se tourne vers moi.

-Et vous ?

-On est Suisse. Mais Bruno parle allemand et moi je parle français.

-Mais entre vous, vous parlez le suisse ?

-Le suisse n’est pas une langue, c’est une nationalité. On peut dire qu’on vient d’un pays dont la langue et la culture commune n’existe pas.

A partir de ce moment, le chauffeur cambodgien décide de rester silencieux jusqu’à la fin du trajet.

Sisophon, juillet 2005
(photo : Sisophon, en route pour Siem Reap, le chauffeur fait le plein d’essence dans une station service, le 13 juillet 2005)

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1 réflexion sur « Nous venons d’un pays qui n’existe pas »

  1. Quelle texte interessant et parfois rigolo. Je suis ravie de le lire.

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