Vendredi 10 mars 2006
J’ai très peu dormi. Nerveux. J’ai arrangé mon bagage comme si je le fermais pour la première fois, comme si je n’avais plus voyagé depuis des semaines. Aujourd’hui, je quitte la Chine et j’entre en Birmanie, le voyage rêvé va devenir réalité.
Depuis décembre, je sonde chacunes de frontières terrestres pour voir si il ne serait pas possible de rentrer. D’abord Payatonzu au col des Trois Pagodes, Myawadi où j’ai pu passer une journée, puis le poste frontière de Pratchuap Khiri Khan que je n’ai pas pû approcher de près, et enfin Tachilek où je suis entré pour deux semaines dans un rayon limité, avant de me retrouver ici à Muuse, avec une autorisation spéciale.
Je quitte le petit hôtel. Dans la rue, les taxis collectifs ont des couleurs différentes en fonction de leur destination. Je vais à la frontière du milieu (il y en a trois, on m’a donné rendez-vous à celle du milieu). Avant-hier j’ai marché ces huit kilomètres.
Je suis trop tôt et attends… comment dois-je l’appeler? le jeune homme en longgi? mon passeur? mon guide? mon escorte? Le voilà! Il arrive d’un pas nonchalant et souriant. Il m’annonce que nous serons deux. Mes yeux louchent sur sa fiche, le second voyageur est un allemand de soixante ans. Il s’appelle Ulrich. Un douanier chinois semble intéressé par mon cas. Il me guide dans les démarches en me posant mille questions. Il utilise le ton de l’interrogatoire, mais j’ai le sentiment que c’est à sa curiosité personnelle que ces questions sont destinées. Il veut fouiller mon sac. Horreur: il sort un sachet en plastique qui contient des herbes séchées à l’apparence suspectes. Il me regarde embarassé.
– C’est du thé, lui dis-je.
Et c’est vraiment du thé! Quand la fille du magasin me l’avait emballé de cette façon, je m’étais dit que ce n’était pas très judicieux : on jurerait que je transporte du canabis. Heureux d’entendre ma réponse, il remet rapidement le sachet de thé dans mon sac pour que ses collègues ne le voit pas. Il tamponne mon passeport du sceau de « sortie » avec la date du jour. J’ai quitté la Chine.
Ulrich apparaît. Il circule à vélo. Il a quitté Bangkok il y a deux mois, traversé le Cambodge puis le Vietnam du sud au nord avant d’arriver en Chine il y a trois semaines et demi.
Je peux passer la grande porte symbolique, je mets les pieds au Myanmar.

De l’autre côté, les formalités birmanes sembles plus compliquées. Tout se passe dans une petite cabane en bois devant une table sur laquelle se trouve une multitude de tampons encreurs. C’est le passeur qui s’occupe de tout et comme l’espace dans la maisonnette est restreint, on nous demande, à Ulrich et à moi, de sortir attendre dehors. Les rues de la ville sont en terre battue. Les voitures ont le capot qui fume, elles sont remplies d’autant de marchandises que de passagers. J’observe un marché coloré sous une couche de poussière. J’aimerais aller voir de plus près et prendre des photos, mais les gardes n’aimeraient certainement pas me voir filer à l’anglaise pour aller jouer le petit reporter.
Le passeur a récupéré nos passeports, son visage est tendu. Il nous fait monter dans une voiture et nous rejoignons “l’office”. Il s’agit de la maison de la famille des gens qui possèdent l’agence.
Assis sur le canapé du salon, j’observe en face de moi un écran plat tout neuf. Ulrich et moi attendons en discutant. La patronne de l’agence nous donne à remplir plusieurs formulaires. Je dois signer des papiers promettant que je ne vais pas chercher à pénétrer dans des zones interdites, ni à sortir du pays par voie terrestre. Je dois m’engager à ne pas me mèler à la vie politique et publique du pays, ne poser aucune questions sur le gouvernement et les autorités, et éviter toute discussion qui pourrait « compromettre la sécurité et la stabilité du pays ». Je dois affirmer que le but unique de mon voyage est le tourisme, que je ne suis pas journalistes. Je signe.
Un autre papier me dérange un peu, je dois déclarer les objets de valeur que je transporte. Je rechigne à y inscrire mon ordinateur portable. Je ne veux pas attirer l’attention sur cet objet (de valeur) qui pourrait être une source de convoitise mais surtout le signe que je puisse être un journaliste. Je l’inscris quand même. Une ommission serait certainement plus grave en cas de fouille.
La dame de l’agence a déjà empoché nos 1400 ¥uans pour le passage. (c’est plus cher que le prix d’un vol Kunming – Mandalay en aller simple). Elle propose maintenant de faire du change. Son taux est très mauvais! je le lui dit, elle n’aime pas. Ulrich a sorti ses billets. Je commets l’erreur de dire que le taux annoncé par le jeune était plus alléchant. Elle me dit d’attendre. Ulrich range ses billets. Quand le jeune revient, il chantonne un discours différent. Il semble ne pas pouvoir me parler en la présence de la femme. Je ronchonne un peu pour la forme, espérant qu’il y aura une solution préférentielle plus tard. La femme semble contrariée.
Il faut attendre que tous les papiers soient remplis, tamponnés et photocopiés. J’admire le professionnalisme du jeune et sa rigueur dans ce travail de paperasseries sans fin.
Il s’est écoulé trois heures depuis le rendez-vous devant la frontière du milieu. Tout est prêt, nous embarquons dans la voiture avec chauffeur. Le vélo d’Ulrich est attaché sur le toit. Première étape: gare routière, le chauffeur doit aller chercher une autorisation de voyager sur la route qui va nous emmener à Lashio.
Durant les premières minutes du trajet dans le huit-clos de la voiture, le guide nous explique avec calme que nous allons traverser une zone réputée pour ses champs d’opium, ce qui favorise l’économie locale. Ces champs échappent au contrôle gouvernemental de Yangon. Les étrangers ne peuvent voyager librement dans cette région, parce que nous ne devons pas voir ce qui se passe ici. Ceci étant dit, on avance sur une belle route goudronnée, il n’y a que peu de nids-de-poule.
En bordure de route, des fonctionnaires sont assis sous des parassols. Des dizaines de camions et camionnettes attendent une inspection. Le guide nous explique que les fonctionnaires bloquent le passage d’une voiture transportant des produits chinois destinés à la vente. « C’est interdit de faire de l’importation, ils doivent rentrer en Chine » qu’il nous annonce sans trop de conviction, comme si il récitait un discours appris par cœur.
Cette route est l’ancienne « Route de Birmanie » construite par les colons anglais pour commercer avec la Chine.
Les barrières ne sont pas des check-point mais des péages privés. Des compagnies sont chargées d’entretenir le tronçon routier et encaissent des droits de passage.
Nous devons régulièrement ralentir pour distribuer les copies de nos papiers à des hommes en uniforme assis sous des parasols. Certaines fois, il ajoute un billet de banque, d’autres fois, il lance simplement les papiers aux pieds des fonctionnaires.
Le guide nous propose de faire un arrêt pour manger. Il choisi un restaurant en rase campagne qu’il semble connaître. C’est fermé, il est contrarié, on reprend la route. Nous traversons plusieurs villages, je vois de charmants petits restaurant animés, je demande si on peut manger ici, le jeune me dit qu’ici c’est trop dangereux, on ne s’arrête pas. Une demi heure plus tard, la voiture se range devant une sorte de relais routier au milieu de nulle part.
Le guide nous raconte l’histoire horrible de villageois qui, la semaine dernière, ont tué les occupants d’une voiture pour voler le véhicule. Le gouvernement central est intervenu avec l’aide de l’armée. Si ils n’ont pas incendié le village. c’est parce qu’ils ont rapidement trouvé les bandits. Ils sont maintenant en prison. Le village en question serait le village que nous avons traversé un peu plus tôt.
La table se couvre d’une dizaines de plats de légumes, de trois plats de curry et d’un gros bol de riz. Nous mangeons. C’est bon.
Le jeune guide nous offre de changer de l’argent à un taux très favorable. C’est son business personnel qui échappe à sa riche patronne. Nous sortons nos billets chinois. Il éclate de rire en sortant d’énormes liasses de billets birmans de son sac. Il n’en a pas assez et doit emprunter au chauffeur. Je change la moitié de mes ¥uans. Selon le calcul, mon montant se fini par 80, il arrondi à la centaine supérieur. Il trouve très amusant que j’ai les 20 Kyats à lui rendre en retour (un reste de mon séjour à Kengtung en janvier dernier).

Il est dix-sept heure. Nous arrivons à Lashio, petite ville faite de maisons en béton sali, de rues sinueuses, encombrées, qui montent et descendent. La ville est très étendue. Le premier hôtel propose une chambre noire sans fenêtre ni salle de bain. Je demande à en voir une autre. La seconde possède une fenêtre. Ulrich s’en empare. Je demande une identique, on me répond que c’était la dernière. Le personnel n’est ni sympathique ni agréable. Alors qu’Ulrich s’installe, je visite le second hôtel où le personnel est souriant, mais la chambre en sous sol avec salle de bain est vraiment sale et sent le moisi. Elle coûte le même prix : cinq dollars. Seuls ces deux hôtels ont le droit d’accueillir des étrangers.
Retour au premier. Je n’ai pas beaucoup de dollars américains avec moi, je demande à payer en monnaie locale. La fille de la réception me dit sèchement: give me 6500 kyats. C’est beaucoup plus! Le stress ou la fatigue de la journée: j’explose! Elle me dit que si je ne suis pas content j’ai qu’à payer en dollars. Je jette les billets sur son comptoir en la traitant de malpolie.
Le guide est tout affolé. Quand nous avons changé l’argent après le repas, il pense ne pas avoir reçu l’argent de Ulrich. Ulrich affirme avoir payé. Le jeune, pour qui cette somme est une très grosse somme, dit qu’il doit retourner à l’endroit où nous avons mangé, à environ trois heures de route de Lashio. Quelques instants plus tard, alors que le jeune est déjà parti, Ulrich retrouve l’argent dans une de ses poches. Il ne dit rien. Comme je le regarde d’un regard insistant et mauvais, il court après le jeune. Par chance il le rattrape avant qu’il n’ai quitté la ville.
Fâché par ces derniers incidents, je n’arrive pas à me réjouir d’être en Birmanie. Je me mets à arpenter les rues de la ville qui me semblent ternes. Je visite le quartier nord, une sorte de banlieue de maisons individuelles en ciment gris à une étage entourées de jardins d’herbes desséchées. Comme j’ai énormement mangé à midi, je n’ai pas faim. Je m’arrête dans un tea shop et bois un verre de bière pression, puis un café. Vu mon état de fatigue, cela ne m’empêchera pas de m’endormir.
écrit à Lashio, au soir du 10 mars 2006
à suivre, dans le prochain chapitre : Destination Hsipaw
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