Schwebo, en attendant le train

(Myanmar) Schwebo, le 3 janvier 2012

Kyaw Suu m’attend devant l’hôtel. Je monte sur sa moto, mon sac sur le dos, l’équilibre est bon, on ne tombera pas. Il me demande si j’ai déjà mangé. Au passage, je lui montre le restaurant où je viens de passer une heure. Il est étonné, il me dit que ce restaurant n’a pas une bonne réputation. Je lui dis que j’ai bien mangé. Dix minutes plus tard, sous un soleil tapant, on arrive devant la gare de Schwebo. Je veux payer Kyaw Suu pour la course, il me dit qu’il faut d’abord que j’achète mon billet de train, et il m’attend.

Shwebo, 03/01/2012
(photo :Gare de Schwebo, on attend le train pour Myitkyina)

J’entre dans le bureau des fonctionnaires du rail, ils me reconnaissent et me sourient. L’un d’eux est encore en train de manger et me demande si je veux manger avec lui. Je le remercie. Je rappelle que je veux toujours aller à Myitkyina par le train de 17 heures. Les énormes registres sont toujours sur le bureau, la poussière n’a pas bougé non plus. Le premier se saisit d’une règle métrique et trace une nouvelle colonne qu’il intitule «touriste». Il me demande mon passeport. Il l’ouvre à l’envers et essaie de déchiffrer. Il note mon nom, le numéro de mon visa et ma nationalité sur un papier. Il décroche le téléphone et compose un numéro. Occupé. Il raccroche et immédiatement appuie sur la touche « rappel ». Ca sonne. Il décroche et parle. Discussion à laquelle je ne comprends pas un mot. Le second fonctionnaire, la bouche pleine, donne son avis. Il griffonne quelques informations sur un papier et raccroche. Il a appelé la gare de Mandalay. Le train vient de partir et sera à Schwebo à 17 heures. La « Upper Class » est complète, il me propose la « Lower Class » qui ne coûte que 17 dollars. Je suis d’accord et je sors un billet de 20 dollars. Le fonctionnaire regarde mon billet, ouvre un tiroir de son bureau, il cherche, il n’a pas le change. Je ne réagis pas. Le premier fonctionnaire a fini de manger et me demande si je ne préfère pas la « Upper Class ». Je lui réponds que oui. Il y a deux minutes c’était complet, je ne comprends rien mais je ne cherche pas à comprendre. A son tour il se saisit du téléphone et parle un moment avec la gare de Mandalay. Il note des chiffres sur un bout de papier. Il me dit que c’est bon. Je sors deux autres dollars et tout le monde est content. Le second fonctionnaire écrit mon billet. Départ 17 heures, il est bien que je sois là à 16h30. Je demande si je peux laisser mon bagage dans leur bureau.

Je sors et retrouve Kyaw Suu, inquiet. Il veut voir mon billet. Il le lit scrupuleusement et me dit que tout est correct. Je lui donne 1000 kyats. Il me souhaite un bon voyage pour Myitkyina. Il monte sur sa moto, démarre, me fait un dernier signe d’adieu et disparait dans un nuage de poussière.

Il est 14h30, j’ai deux heures devant moi. Je regarde la place devant la gare. Seules les mouches semblent bouger dans le paysage endormi. Je décide d’aller me promener. Un chauffeur de moto me demande si il peut m’emmener à un monastère un peu plus loin. Je le remercie mais si il m’y emmène, une fois que j’y serai, j’y ferai quoi ? non, je préfère y aller à pieds.

Shwebo, 03/01/2012

Je marche sous le soleil assommant. Je sors ma serviette jaune canari de mon petit sac et la mets sur la tête. Je suis un bédouin en plein désert birman. Autour de moi, des champs secs, la terre est gercée quand elle n’est pas recouverte de sable. Quelques palmiers à sucre offrent au paysage une touche qui me fait penser au Cambodge. J’avance sur mon chemin de terre avec comme des œillères, un pas devant l’autre. Je me demande pourquoi j’ai voulu défier l’inertie de la place devant la gare et pourquoi je m’embarque toujours sur des chemins qui ne mènent à rien. Pas d’ombre. Mes bras sont déjà rougis et me brûlent. Je vais faire demi tour. Je suis dépassé par deux jolis garçons qui rigolent en me dépassant. Ils conduisent des chèvres. Le premier a le visage recouvert de tanaka et porte un chapeau « panama ». Le second tient un bâton et surveille ses chèvres. Je ne sens plus la lourdeur du soleil, je renonce à rentrer, je suis les garçons comme une chèvre. Au loin, je vois un temple. Les garçons s’arrêtent devant une petite maison. Trois jeunes nonnes, vêtues de rose, sont assise par terre. On me propose d’entrer dans la maison. Je suis gêné et  j’annonce que je vais aller visiter le temple. Tout le monde me sourit et me laisse partir.

Le monastère est comme une oasis au milieu du désert. De grands arbres rafraichissent l’air dès qu’on approche. J’enlève mes tongs, et j’avance. Un moine, ni jeune, ni vieux semble m’attendre. Il me salue. Comme si on avait rendez-vous, je me dirige vers lui. Je monte les quatre marches. Il me fait entrer dans sa maison. On s’assied sur la natte au centre de la pièce. Il rempli un verre de Max Orange et le dépose devant moi. On se regarde, on est à l’aise comme si on se connaissait depuis toujours. Je lui demande combien de moines vivent ici. Il vit seul dans ce monastère. Il me montre deux photos, un moine et une nonne. Ce sont ses parents. Il me dit qu’il a 37 ans. Sur un veux papier il écrit 1975, c’est son année de naissance. Je suis né la même année. Il est aussi né en novembre, quelques jours avant moi. On se sourit.

Dans sa chambre, je regarde tous les objets. Il n’y a pas grand chose mais les objets hétéroclites me font penser que tous ont une histoire. J’ai envie de lui demander d’où lui vient le haut morbier qui fait un tic-tac bien sonore. Il ressemble au morbier qu’avaient mes parents devant ma chambre d’enfant. Hélas, le peu de vocabulaire commun nous empêche d’échanger plus. Il se passe un temps que je ne saurais pas compter. Je bois le Max Orange tiède. Il ne me quitte pas du regard. Sur son visage je ne lis ni interrogation ni émotion spéciale. Je me sens calme, je pourrais rester ici. J’ai un train a prendre. J’explique que je pars pour Myitkyina aujourd’hui. Je lis une inquiétude sur son visage. Je me lève, on sort de sa maison. Je veux lui dire au-revoir. Il tient à me raccompagner. On sort du monastère-oasis, je remets mes tongs aux pieds. Il marche à côté de moi. On ne se parle pas. Arrivé à la croisée des chemins, il me dit au-revoir et me souhaite bonne chance. L’inquiétude est toujours sur son visage. Je reprends la chemin de la gare. Je me retourne encore une fois, il n’a pas bougé, il me regarde partir. Je le prends en photo, il me fait un signe d’adieu.

Shwebo, 03/01/2012

J’arrive à la gare, récupère mon sac. Des dizaines de personnes sont assises sur le quai. Un des fonctionnaires m’indique une salle d’attente réservée aux Upper Class. Il me montre les toilettes. Pour y entrer il enlève ses chaussures. Les toilettes sont sales, mais ce sont de vraies toilettes. Un monsieur ventru est assis sur un fauteuil en Skaï. Je sors acheter des bouteilles d’eau.

Le train arrive à 17h45, les fonctionnaires m’accompagnent à ma place. C’est effectivement un wagon « Upper Class ». Mon siège est incliné en arrière et pas moyen de le redresser. Le monsieur ventru de la salle d’attente est mon voisin. Un des fonctionnaires est du voyage, mais il se dirige vers le wagon « Lower Class », je comprends qu’il m’a vendu son billet.

Des vendeurs crient sous les fenêtres, plateaux sur la tête. Toutes les odeurs sont mélangées dans la chaleur de la fin du jour. Enfin, le train bouge. Tatam Tatam.., d’abord lent, puis un peu moins lentement, le paysage monotone défile. Je mets mes écouteurs sur les oreilles, j’écoute des podcasts. Mon voisin ne me laisse pas loisir de déborder de mon siège. J’ai les jambes repliées sur moi et je sens les premières courbatures. La nuit tombe, la température chute. Je sors ma chemise à manches longues et mon longgi. Je mets le longgi sur la tête et j’essaie de m’endormir. Selon l’horaire, on arrivera à Myitkyina dans 16 heures.

Je repense au moine. J’aimerais bien le revoir.

photos : ©fredalix – prises le jour du récit

Catégories Myanmar - Birmanie

1 réflexion sur « Schwebo, en attendant le train »

  1. Tes histoires sont toujours bien racontées et elles sont si intéressantes. J’ai du plaisir à les lire…

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