Palaung, là-haut sur la montagne

En avril 2017, au guidon d’une petite moto louée à Hsipaw (Myanmar, nord de l’Etat Shan), j’ai remonté la rivière Myitnge, j’ai suivi la route qui gravit les montagnes et je suis arrivé là-haut, à Namhsan.

La différence des paysages entre les vallées rizicoles peuplées par les Shans et les panoramas qu’offrent les collines est énorme. Namhsan est un gros bourg, allongé le long des crêtes, de partout on a une vue plongeante sur les deux versants. Sur un tel relief, il n’est pas possible de cultiver le riz, les habitants sont experts dans la culture du thé.

Namhsan, 24/10/2017

Là-haut, sur les montagnes, j’y ai croisé des gens très gentils, souriants, et plutôt timides. Arrivé à un barrage gardé par la milice Palaung en uniforme, je n’ai pas pu continuer plus loin. Je les ai salué poliment et ai fait demi-tour La région est soumise régulièrement à des restrictions et les non-résidents ne peuvent pas y circuler librement à cause des mouvements militaires et des tirs qu’échangent la « Tatmadaw » (armée du Myanmar) et la « Palaung State Liberation Army ».

On dit que plus loin, au-delà de ce barrage que je n’ai pas pu franchir, on cultive le pavot.

Namhsan, 24/10/2017

La première fois que j’ai entendu parler des Palaungs, je me suis demandé si il n’y avait pas eu une faute de frappe : je n’ai pas compris ce que les « Karens au long cou » faisaient dans les montagnes des Etats Shans. Alors autant le dire une fois pour toute : les Palaung ne sont pas des Padaung ! (dont les femmes portent ces étranges colliers qui donnent l’illusion d’allonger leur cou).

En octobre dernier, j’ai eu la chance de rencontrer la Princesse Shan Hpong, épouse du prétendant au titre de Prince de l’Etat Shan de Hsipaw. En me parlant de Namhsan, la Princesse a évoqué un Etat Shan voisin. Pour elle, la seule distinction avec les Palaungs est la langue, elle m’a avoué ne pas comprendre leur idiome. « Mais ils apprenaient le shan à l’école et on pouvait bien communiquer».

En effet, la langue palaung est de racine môn-khmer contrairement au shan qui est taï-kadaï.

Vous avez dit Môn-khmer ?

Les populations « originelles » de l’Asie du Sud-Est ont en commun une base linguistique que l’on appelle le groupe Môn-khmer[1].

Les premiers habitants de l’actuel Myanmar étaient les Môns. Dans cette époque lointaine, ils étaient les seuls habitants, ils cultivaient la terre quelques saisons puis s’en allaient défricher et s’installer plus loin, ils étaient nomades. La terre était riche, il y avait suffisamment de place.

Issus de grandes migrations, les Birmans, les Shans et d’autres groupes se sont installés dans la région.

Ces nouveaux, venus d’Asie centrale, sont les groupes que l’on appelle les « Tibéto-birmans » et les « Taï Kadaï ». Lentement, ils se sont imposés, et ont chassés les peuples indigènes nomades vers le sud.

Namhsan, 24/10/2017

Les Môns ont longtemps été les concurrents des Birmans avec qui ils ont eu de nombreux conflits qui ont eu pour conséquence de faire se replier les Môns toujours plus au sud, jusqu’à nos jours où l’Etat Môn n’est qu’une petite bande de terre dans l’embouchure du fleuve Salaween.

Les Môns ont réussi à rester unis et à se défendre tant bien que mal au cours des siècles contre les Birmans. Mais de plus petits groupes se sont retrouvés isolés dans les collines. Parmi ces groupes se trouvent les Palaungs. Isolés des autres Môn, les Palaungs ont forgé leur propre identité. On peut dire que les Palaungs représentent la branche nord des Môns.

Namhsan, 24/10/2017

Isolés, là-haut sur la montagne

On l’a vu dans un texte précédent, les Shans se sont installés dans les vallées entre la Chine et l’Inde pour garder les voies de communications sur la route commerciale entre les deux puissances. Ils sont experts de la culture du riz dans les champs inondés. Ils ont besoin de terrains plats. Lorsqu’ils se sont installés, ils ont chassé les populations indigènes dans les collines.

Puisque les Shans gardent les vallées, les différents clans de Palaungs se retrouvent isolés les uns des autres. Ils se spécialisent dans la culture du thé à flanc de coteaux. Palaung et Shan peuvent commercer, ils se rencontrent sur les marchés, discutent et parfois sympathisent. C’est ainsi qu’un groupe Palaung s’est converti à l’organisation politique Shan et a fondé l’Etat de Tawngpeng sur le modèle des principautés Shan.

L’Etat princier de Tawngpeng, dont Namhsan est la Capitale, se situe exclusivement dans les montagnes de la rive droite de la Myitnge. C’est le seul état « Shan » qui n’est pas gouverné par un Shan.

Namhsan, 24/10/2017
La rivière Myitnge traverse les Etats Shans et se jette dans l’Irrawaddy au sud de Mandalay. Les Palaungs vivent dans les montagnes et les Shans dans les vallées.

On ne sait presque rien des Princes qui se sont succédés à la tête de cet Etat. Les légendes se sont confondues à l’histoire. Il ne reste aujourd’hui que des récits d’ogres aux pouvoirs surnaturels, capables de se déplacer d’un endroit à un autre avec une surprenante rapidité. Un texte mentionne la date de 1753 comme fondation de la Principauté, mais selon les Palaungs, cela serait bien antérieur. Dans la vie quotidienne, les Palaungs parlent leur langue. Ils apprennent la langue des Shans pour commercer avec ces derniers.

Namhsan, 24/10/2017
Femme Palaung, nous nous sommes mutuellement observés.

Le Troisième Empire Birman

En 1757, le Roi Birman Alaungpaya soumet à la fois les Môn dans le sud et les Shan dans le nord. Il proclame le Troisième Empire Birman et étend les frontières de la Birmanie à celles que nous connaissons aujourd’hui. Les Princes de tous les Etats Shan doivent lui payer un tribu. Il interdit les langues Môn-khmer dont la langue des Palaung.

C’est aux environs de 1782 que les Palaung deviennent bouddhistes. Le Roi Bodawpaya envoie un moine à Tawngpeng qui enseigne les « commandements moraux ». Bien que suzerain des Birmans, les Palaungs disposent d’une certaine autonomie dans leur Principauté perchée sur les crêtes des montagnes. Toutefois, les guerres avec la Chine voisine les empêchent de commercer avec le grand voisin.

Namhsan, 24/10/2017
La route qui monte à Namhsan est complètement bitumée depuis quelques mois.

En plus du thé, les Palaungs cultivent le pavot (principalement pour leur consommation personnelle) et l’addiction à la drogue n’est pas un problème récent. Leslie Milne en fait mention dans son étude de 1907, et note que parmi les enseignements du premier moine bouddhiste il leur avait été demandé de « ne pas boire des liqueurs enivrantes et consommer des substances intoxicantes ».

Aujourd’hui encore, rares sont ceux qui s’intéressent aux Palaungs. Scott et Hardiman, dans un article paru dans une revue anthropologue britannique en 1900 écrivent ceci : « Cette race est tellement tranquille et paisible qu’elle n’a pas beaucoup été étudiée ».

Namhsan, 24/10/2017
Je suis entré dans une école située dans l’enceinte d’un monastère.

Les Wahs

Les Wahs, qui ont combattu pour le Parti communiste birman, qui sont connus comme cultivateurs et commerçant de pavot et autres drogues et plus récemment qui opèrent des casinos sur les territoires frontaliers avec la Chine, sont aussi un groupe môn-khmer. Leur langue est très proche de celle des Palaung et leur territoire est pratiquement voisin. Leslie Milne, anthropologue britannique, écrit en 1907 dans son étude sur les Palaung :

« Les Wahs sont aujourd’hui la seule race barbare dans la province de Birmanie. En apparence, ils diffèrent largement des Palaungs. Ils sont une race plus grande et à la peau plus sombre, pour autant que je puisse juger de leur teint à travers la poussière qui les recouvrent. En outre, ils présentent un contraste marqué avec les Palaungs, qui, par suite peut-être de nombreuses années de végétarisme, sont maintenant beaucoup plus petits et plus tranquille que les Wahs, dont beaucoup sont encore des chasseurs de têtes. Le langage de ces deux races est étroitement apparenté, et ils sont classés ensemble dans les statistiques britanniques. Les Palaungs et les Wahs reconnaissent qu’ils descendent du même groupe. Mais il est tout à fait possible que ces races soient différentes, malgré la similitude des langues; ceci pourrait être expliqué si une tribu avait été soumise à l’autre dans les temps passés, et ainsi avait appris la langue du conquérant. »

Namhsan, 24/10/2017

Réfugiés, encore une fois

Dans les années 1980, certains groupes de Palaungs, fuyant les guerres civiles du Myanmar, ont trouvé refuge dans le Nord de la Thaïlande, dans la région de Doi Angkhang, une région qui topographiquement ressemble à celle de l’Etat de Tawngpeng. Durant une visite royale à Angkhang dans un village Lisu, un Palaung a réussi à obtenir de rencontrer le Roi Rama IX. Il lui a parlé de la situation difficile que son peuple avait à faire face au Myanmar et a demandé la permission de pouvoir rester en Thaïlande dans le village de No Lae. Le Roi a accordé sa permission et le Département des Forêts leur a donné l’autorisation d’occuper 250 rai de terre dans leur nouveau village. Ils ont commencé à planter du maïs, du riz et du taro dans le cadre du « Projet royal » qui chapeaute toute l’agriculture des peuples minoritaires du Nord de la Thaïlande.

Des troubles ont secoué la communauté émigrée quand le parrain de la drogue Khun Sa a voulu forcer les Palaungs à travailler pour lui. Les problèmes se sont intensifiés quand les Wahs, cette ethnie cousine, sont également intervenus pour chercher à contrôler les trafics de drogue de la région. Un soir, un groupe de Wah est arrivé au village de No Lae et a voulu savoir où se cachait l’armée de Khun Sa. Les paisibles Palaungs ont dit ce qu’ils savaient à leurs cousins Wahs qui sont immédiatement allé attaquer. Peu de temps plus tard, la Tatmadaw birmane a attaqué les Wahs et les Palaungs se sont trouvés pris au milieu d’un conflits qu’ils n’avaient pas voulu. L’établissement d’un camp militaire thaïlandais à proximité du village a pacifié la région. En 1998, No Lae hébergeait 110 familles pour une population totale de 486 personnes.

Selon des projections de statistiques, il y aurait 600’000 Palaungs vivant aujourd’hui au Myanmar, 12’000 en Chine et quelques milliers dans les Provinces de Chiang Maï et Chiang Raï en Thaïlande.

Hsipaw, 14/04/2017
Pendant la fête de l’eau de cette année (Thingyian) les Palaungs s’amusent avec les Shans.

 Toutes les photos sont ©fredalix et ont été prises en avril et octobre 2017 dans la région de Namhsan, Shan State, Myanmar.


Bibliographie utilisée pour cette rédaction :

  • Palaung, in Northern Thailand, Michael C. Howard & Wattana Wattanapon, Silkworm Book, Chiang Mai, 2001
  • The Home of an Eastern Clan, Leslie Milne, réédition White Lotus Press, Bangkok, 2004

[1] Une nouvelle classification a étendu le groupe Mon-khmer et l’a renommé « langues austroasiatiques ».

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1 réflexion sur « Palaung, là-haut sur la montagne »

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