RECIT DE VOYAGE – Le 7 août 2014
Epilogue à Dergué
Réveillé à 6h, sans attendre je suis descendu acheter les billets pour le bus de 7h. Pas envie de devoir une nouvelle fois dépendre des véhicules privés collectifs et de leurs chauffeurs lunatiques.
Toutes les places du bus sont occupées. La majorité des passagers dorment, presque tous sont tibétains, quelques uns sont chinois. Assis juste devant nous, je repère un chinois qui est beaucoup mieux habillé que tout le monde. Il dénote dans ce vieux bus bruyant qui roule sur cette route de montagne à des altitudes frisant les 5000 mètres. Il a dû sentir mon regard sur lui parce qu’il se retourne et entame une conversation.
Il vient de Shenzhen, la mégapole chinoise proche de Hong Kong. Il m’explique qu’il est venu à Dergué pour s’occuper des affaires d’un ami à lui. J’apprends que son ami est un moine tibétain installé à Shenzhen depuis quelques années. Il est entièrement dévolu aux « tycoons » chinois, ces hommes d’affaires devenus multimillionnaires en quelques années grâce à l’ouverture à l’économie de marché dans le pays de Mao. Ces chinois se sont enrichis de manière souvent peu reluisante et cherchent à gagner des bons points pour leur karma. C’est là que le moine intervient en servant d’intermédiaire pour faire des donations. L’homme m’explique que les monastères du Tibet, presque tous détruits par la révolution (a)culturelle de Mao, sont aujourd’hui rénovés et embellis grâce à cet argent.
Nous grimpons au col de Dochu-La. Madeleine sort son chapelet tibétain qu’elle fait tourner entre ses doigts, essayant de se concentrer sur autre chose que le vide vertigineux qui plonge à moins d’un mètre des roues du bus. Nous avons dépassé l’altitude de 4900 mètres.
Arrivée à Manigango
Il est midi quand le bus nous dépose sur la route près de Manigango. L’élégant chinois sort lui aussi. Il a beaucoup de peine à avancer sur le chemin de terre avec ses beaux habits et sa valise à roulette. On le perd entre deux flaques d’eau.
Les chambres à l’hôtel principal sont froides, humides et un peu cher. On pourrait aller voir dans le bas de la ville si il y a mieux, mais on choisi la simplicité.
On achète des pâtisseries, on les mange avec un nescafé (fait maison) sur un petit banc devant l’hôtel avec vue sur les camions de chantier qui éventrent les routes pour la pose des canalisations. La petite ville se modernise.
Lac sacré
Le lac de Yihun Latso est à environ 15 kilomètres d’ici. Nous commençons à marcher. Madeleine essaie d’arrêter les camions chinois qui relient Chengdu à Lhassa. Elle a du succès, mais peu comprennent où on veut aller. Finalement, un chauffeur nous fait signe de monter dans la cabine. Il nous dépose à l’embouchure du sentier qui mène au lac.
« Yinhun Latso » en tibétain veut dire « Lac du Glacier ». Nous sommes à 4020 mètres d’altitude. Les montagnes sont énormes, et le glacier tire sa langue jusqu’au lac. Au moment où l’on arrive au bord du lac, un rayon de soleil traverse un nuage et la lumière se répend dans les eaux turquoises, sur l’herbe et sur les rochers. Les fleurs sont magnifiques. Sur des dizaines de gros rochers sont gravés des mantras en tibétain. Ce lac est considéré comme un lieu sacré. Un chemin de pèlerinage en fait le tour complet.
je pèlerine, tu circumambulationnes, il rampe,… nous voyageons, vous marchez
A Dergué, les pèlerins accomplissent des circumambulations autour de la forteresse sacrée qui contient la littérature religieuse (voir le texte précédent). C’est un pèlerinage qui tourne autour d’un lieu chargé de symboles crées par les hommes.
Ici, au Yinhun Latse, on tourne autour d’un lieu géographique naturel. Dans le bouddhisme tibétain, on appelle ce type de pèlerinage un « kora ».
Parmi les lieux géographiques sacrés on récence beaucoup de montagnes dont le Mont Kaliash ou le Mont Zhara Lhaste (j’en parlerai dans un prochain texte). Beaucoup de Tibétains effectuent au moins une fois par année un « kora » autour d’un de ces lieux naturel qui nous rappellent combien nous, les humains sommes petits.
Il existe aussi des pèlerinages liés aux personnes importantes. Certains marchent des jours pour aller se prosterner devant un Lama.
Je pense qu’il faut plusieurs heures pour accomplir le « kora » autour du lac (pour autant qu’on le fasse à la marche et pas en rampant ! Ne riez pas, ça se fait).
Au-loin je vois arriver l’orage, nous n’irons pas plus loin sur le chemin du « kora », mais cela ne m’arrête pas, je veux grimper jusqu’à un Chörten et prendre des dizaines de photos, c’est ma manière laïc de rendre hommage à un endroit.
Le soleil a complètement disparu, on voit les nuages de pluie s’avancer vers nous, on a juste le temps de rejoindre la route. Madeleine se met au milieu de la chaussée, arrête un camion et convainc le routier chinois de nous emmener avec lui. Il nous dépose en haut de Manigango.
Il pleut fort. Les ouvriers du chantier se sont réfugiés à l’intérieur des tubes de canalisation, je cours vers l’hôtel sur les quatre kilomètres qu’il reste.
Épilogue du jour
A l’hôtel il n’y a pas d’eau chaude. Le personnel est de mauvaise humeur. Arrivent des nouveaux voyageurs, des chambres ont été données par erreur et certains restent dans le couloir. Drame, cris, colère, insultes en chinois, je suis assis sur le banc à l’entrée, je ne comprends pas tout ce qui se passe mais je profite du spectacle.
Inutile de vouloir marcher dans les rues détrempées de Manigango, il y a de la boue, presque pas de lumières et des gros trous partout.
Dans la grande salle à manger remplie d’une cinquantaine de voyageurs chinois, les plats passent mais personne ne s’intéresse à nous. Madeleine essaie d’aller en cuisine pour passer une commande, en vain. Je cours après le personnel, le harcèle, ils m’ignorent. Le grand-père de la maison, qui est installé devant la télévision, a tout vu. Il vient vers nous, il distribue des ordres au personnel avec autorité, on m’emmène en cuisine pour que je montre ce qu’on veut manger. Le grand-père veille à ce qu’on mange à notre faim.
toutes les photos ©fredalix, août 2014, Manigango, Sichuan
Une autre histoire fascinante… Ton amie a du succes a faire du stop . Et le grand-pere a ete gentil de vous aider pour que vous ayez a manger. Belle photos. Une histoire qui sort de l’ordinaire. Donc c’est un lieu de pelerinage mais …bien isole donc pas facile d’y arriver . Merci bien du partage . Demain matin ( a mon heure) il y aura la suite de nos journees sur le Camino en Espagne. Une histoire bien differente de la tienne !