La prairie de Tagong en été
Dans mon précédent texte je vous ai raconté les impressions de ma première visite à Tagong, en plein hiver. Sur ce deuxième voyage que je fais avec Madeleine, complice de bien des exploits, nous arrivons sur la prairie à 3700 mètres d’altitude à la fin du mois de juillet. Dire qu’il fait chaud serait tout relatif, disons plutôt qu’il ne fait pas froid.
Le 28 juillet 2014
Normalement, les chauffeurs ne partent de Kangding que si ils peuvent emporter (au moins) quatre passagers. Nous n’étions que trois, j’ai proposé de payer la différence pour pouvoir partir tout de suite.
Je suis étonné de voir la photo du Dalaï Lama suspendue au rétroviseur. Le chauffeur semble heureux que j’observe attentivement le portrait de son chef spirituel qui se balance au rythme de notre course. J’apprendrai plus tard que les autorités chinoises tolèrent désormais ce portrait. – toute mention au Dalaï-lama était interdite il y a peu de temps encore.
Nous nous arrêtons au col de Kangba (Zheduo Shan) à 4300 mètres qui est considéré comme la « porte d’entrée du Tibet ».
Une pluie fine tombe et je grelotte. Le chauffeur de la voiture me montre qu’il a un appareil photo Canon comme le miens. Il prend quelques photos mais elles sont floues, je lui apprend à faire une meilleure mise au point. Nous n’avons pas de langue commune pour communiquer mais on arrive bien à se comprendre.
Un groupe de jeune chinois se prend en photo devant la pierre sur laquelle est gravée le nom de la montagne. J’ai toujours été étonné que l’on préfère photographier un signal écrit plutôt qu’un paysage. Même si le paysage est muet, je trouve qu’il parle beaucoup plus que les signalisations.
L’autre passagère du véhicule partagé, une Tibétaine d’une trentaine d’année, ne se sent pas bien. Elle sort pour vomir puis retourne dans la voiture en attendant qu’on reparte.
J’observe au-loin une bergère qui accompagne un troupeau de yaks. Elle dévale la pente en courant, l’herbe est mouillée, elle tient un baton dans sa main, ses ruminants courent aussi, ils sont énormes.
Arrivés à Tagong, je retrouve la même chambre que j’avais occupé trois ans plus tôt. J’aime ces hasards. Madeleine a la chambre voisine. Cette fois-ci, luxe suprême : nous avons de l’eau dans les salles de bains. Courageux, je prends une douche de jour, sachant que ce soir je ne serai pas téméraire : il fera beaucoup trop froid.
Alors que nous sortons à la recherche d’un endroit pour manger, deux hélicoptères surgissent, dans un énorme vacarme, au-dessus de nos têtes. On me dit qu’ils surveillent la région depuis quelques jours. Je n’en saurai pas plus.
Nouveauté depuis mon dernier passage : un café a ouvert. Nous allons déguster cette boisson si rare en ces lieux sauvages. A la table derrière nous est installé un moine et sa fille. Je tente de les prendre en photo, mais le moine dans un éclat de rire me demande de m’abstenir.
Nous visitons le monastère principal. Ce monastère aurait été bati en l’honneur du passage de la princesse chinoise Wengcheng qui s’en allait à Lhassa marier Songtsen Gampo, roi tu Tibet au VIème siècle. Le lieu habrite une réplique de la statue sacrée Sakyamuni de Lhassa.
Au monastère, nous croisons un Rimpoche (Lama réincarné) venu d’Inde. Il voyage avec sa femme, sa fille, quatre moines, et une femme américaine qui fait partie de ses disciples depuis plusieurs années. Ils font le pèlerinage ensemble dans une belle voiture. Le Rimpoche est d’une grande gentillesse. Madeleine lui demande si il est d’usage que les visiteurs étrangers assistent aux offices. Comme il ne sait pas nous répondre (chaque monastère a ses propres règles), il se renseigne et nous donne les horaires.
J’observe un groupe de chinois qui gravite autour d’un guide agitant un petit drapeau à l’écusson de son agence de voyage. Une femme est en larmes. Elle tombe par terre. Cris et lamentations. Elle ne supporte pas l’altitude. Une autre chinoise, qui parle anglais, nous conseille d’aller faire le tour des moulins à prières. « Ca apporte la bonne chance » ajoute-t-elle avec des yeux qui pétillent.
Le soir, je mets un seat-shirt mais je reste en sandallettes. Panne générale d’électricité, nous mangeons à la lueur des bougies.
Une femme tibétaine m’explique que c’est bien que je baragouine quelques mots de chinois, mais que ce serait beaucoup mieux si je parlais tibétain. Elle m’apprend quelques expressions, j’aurai tout oublié demain matin.
La troisième chambre est occupée par un couple de chinois. Ils voyagent avec leur chien. La nuit sera difficile. Le chien chinois, attaché devant la chambre, passe la nuit à «discuter» bruyamment avec le massif berger tibétain qui habite dans le jardin. La femme qui tient la maison d’hôte me dit en rigolant que les disputes culturelles entre chinois et tibétains font partie du quotidien.
Le 29 juillet 2014, matinée au monastère
Je suis réveillé à six heures. Je ne me sens pas trop bien. Le sentiment d’être coupé du monde me pèse. Hier je n’ai pas trouvé de wifi pour me connecter. Je descends au monastère.
Un jeune chinois s’apprête à entrer dans la partie la plus sainte, là où se trouve la réplique du Bouddha de Lhassa. Il demande la permission à un moine, il entre, je le suis. Un groupe de femmes est en prières. Devant l’image sainte, le jeune chinois tente de copier la même gymnastique rituelle de génufléxions et d’applatissements que le groupe de femmes. Pour ma part, je n’essaie même pas, il est beaucoup trop tôt pour faire du sport.
Les moines sortent de tous les batiments, ils rejoingnent la salle principale pour la prière. Je vais m’asseoir par terre tout au fond, cette fois c’est le chinois qui me suit.
Les jeunes novices servent le thé et le fromage de yak aux moines qui sont installés sur des sortes de petites estrades. Les moines portent un chapeau jaune. Les jeunes vont ensuite placer de nouveaux étandards sur les colonnes. Ils utilisent de très longues perches, c’est très haut de plafond. La récitation des textes commence. … Dix minutes plus tard, le silence est revenu et tout le monde se met à manger et à boire. Puis c’est le moment de chanter. Grosse cacophonie. Retour (bienvenu) du silence. Il a dû se passer quelque chose, un moine retire sa capuche jaune, se lève et va gifler un novice. Il se saisit d’un bol et veut le frapper. Le jeune esquive et s’enfuit. Le moine assis sur le plus haut des plots observe toute la scène mais ne dit rien.
Je plonge en médiatation sur les principes de non-violence dans l’éducation.
Nous passons une nouvelle journée à nous promener autour de Tagong. Madeleine a de fortes migraines.
En fin de journée, nous retournons circumambuler autour du monastère principal. Une maman et son fils alternent les tournés de moulins à prièreset prises de photos. Beaucoup de gens de Tagong sont ici, ils circumambulent avec energie, c’est un peu le rendez-vous du soir.
Une vielle femme me fait signe de marcher juste devant elle. Ca lui donne de l’energie de me suivre. J’amorce le tourné des moulins, ça lui facilite la tache. Derrière moi, je l’entends réciter les mantra.
Le 30 juillet 2014, sur la prairie
A 6 heures du matin, j’entends Madeleine sortir de sa chambre et descendre l’escalier en bois, elle va au monastère. Je me motive et la rejoins. Forte utilisation des fumées d’encens ce matin, comment peuvent-ils réciter dans cet air ? ça me gratte la gorge, je sors, je préfère aller méditer devant un café.
Nous partons marcher dans la direction du grand monastère que l’on voit de l’autre côté de la prairie. La prairie étant une sorte de marécage, nous suivons un éperon rocheux. La marche n’est pas facile, n’oublions pas qu’on est à 3700 mètres d’altitude et que l’oxygène est rare. A mesure que l’on avance, j’ai l’impression que le massif bâtiment du monastère recule. Je m’arrête souvent, je suis surpris par le nombre de papillons, d’insectes, par la diversité des fleurs, je vois même des edelweiss. Je me couche un moment sur l’herbe et j’écoute les bruits de la nature, je n’avais jamais observé un vacarme aussi reposant.
Nous arrivons enfin à un village. Au centre, se dresse un moulin à prière de la taille d’un phare. Un mantra enregistré se répète dans un haut parleur grésillant jusqu’à l’agacement.
Toutes les maisons sont occupées par des moniales.
De l’autre côté, en contrebas, sont installés dans de petites cabanes, des dizaines de tailleurs de pierre. Ils sculptent des textes sur de l’ardoise. Une famille est venue passer une commande. On demande si il y a un endroit pour manger dans les environs. Un tailleur de pierre demande à son fils de nous mener.
Nous passons devant un chapiteau sous lequel sont installé plusieurs centaines de personnes. Ils ont installé devant eux des petits hôtels avec des images saintes dont celles du Panchem Lama et du Dalai Lama et des centaines de fleurs en plastique, certains ont des bols tibétains.
Au centre, un moine, micro à la main fait un discours. Je prends quelques photos mais ressens que les gens ne désirent pas qu’on s’attarde. Je vais apprendre plus tard que ce rassemblement de plusieurs jours n’était pas vu d’un bon œil par les autorités. Peut-être même qu’il était clandestin. (Il y a t’il un lien avec les hélicoptères qui survolent la région ?)
L’enfant qui nous escorte nous emmène dans une grande salle, un restaurant, où des moniales nous préparent des soupes de nouilles fraiches. On veut offrir un bol à l’enfant mais il n’a pas faim.
Il a commencé à pleuvoir. C’est une forte pluie ! Il nous faut rentrer. Il y a une route qui contourne par l’ouest. On essaie de trouver une voiture qui part sur Tagong. Deux nones nous ramènent, mais il n’y a que trois places dans la cabine avant, je m’assieds dans la bétaillère. J’ai mis tous les sacs en plastiques que j’ai avec moi sur ma tête, une none me prête un parapluie, je grelotte. 10 kilomètres plus loin, on est de retour.
Arrivant sa la place centrale, les dames de Tagong nous dévisagent et parlent de nous avec bonne humeur.
Demain nous reprenons la route en direction de Garzé.
toutes les photos ©fredalix, Tagong, 2014
la suite : Larung Gar, l’université tibétaine à 4000 m d’altitude