Au lieu de vous parler de la grande histoire de Sagaing, ancienne capitale du Myanmar, aujourd’hui petite bourgade où vivent près de 2000 moines et moniales, je vais vous raconter une anecdote de voyage. Mais vous n’allez pas échapper aux photos de la magnifique colline de Sagaing qui est recouverte de monastères reliés les uns aux autres par des escaliers couverts…
Récit de voyage – Mars 2006,
Je visite le Myanmar pour la première fois. Je suis arrivé par la Chine il y a dix jours. Si vous avez lu le début de cette aventure, je vous ai déjà raconté que j’ignorais complètement qu’il n’y avait pas de distributeur d’argent au Myanmar, d’ailleurs il n’y a même pas véritablement de banques (rappel, nous sommes en 2006, pas 2018 !) Mais je ne vais pas vous raconter cette histoire à nouveau, la seule chose à savoir, c’est que je ne peux pas me permettre de dépenser plus d’argent que je n’en ai.
Hier, j’étais assis sur un banc dans le jardin d’un monastère ombragé, près du marché du centre de Mandalay. Un vieux monsieur est venu s’asseoir à côté de moi. Il a sorti un cahier dans lequel il a répertorié les endroits qui méritent une visite touristique dans les environs de Mandalay. Enseignant à la retraite, ce monsieur ne touche plus de salaire et doit se débrouiller pour gagner sa vie comme il le peut. Par chance, il a de très bonnes notions d’anglais, – du temps où il allait à l’école, le pays était encore une colonie britannique. Il trouve du travail en guidant les touristes dans les environs de Mandalay. Cet homme est très sympathique et j’aimerais beaucoup l’engager, mais je n’ai pas les moyens de le payer. Il le comprend bien, et ne connaissant pas l’avarice, il m’énumère comment aller à Sagaing en utilisant les moyens de transports locaux, il me dit combien je vais dépenser. Il me précise aussi qu’une fois devant la colline de Sagaing, il faudra impérativement que je prenne l’escalier sud ! parce qu’il n’y a pas de contrôle des tickets touristiques et je m’éviterai de payer la taxe d’entrée. – Il faut absolument visiter Sagaing, me dit-il. C’est une ancienne capitale les collines y sont recouvertes de temples dorés. Sagaing est un peu plus au sud, de l’autre côté du fleuve Irrawaddy.
Ce matin, après avoir avalé les horribles toasts et l’effroyable nescafé offerts par mon Auberge, je rejoins l’angle des rues 84 et 29 d’où partent les camionnettes de passagers pour Sagaing. Beaucoup de monde, beaucoup d’agitation, les crieurs annoncent les départs pour plusieurs destinations, je refuse les propositions des taxis privés, je dois vérifier plusieurs fois que je suis monté dans la bonne camionnette. On est serré sur les deux bancs qui se font face, beaucoup de femmes sont venues faire leurs achats au marché du centre ville et transportent des sacs remplis de nourriture dont l’odeur est très forte. On démarre. Le crieur s’est accroché sur le marchepied de l’arrière du véhicule et tente de happer d’autres passagers.
Je nous regarde sortir de la ville, puis nous roulons encore une bonne heure. On va traverser le pont sur le fleuve Irrawaddy. Les ponts sont très surveillés au Myanmar. Nous devons nous arrêter au contrôle militaire, je sais que si je sors mon appareil photo je risque la prison, le soldat tient sa carabine dans sa main, il dévisage chacun des passagers méthodiquement, mais il évite de me regarder. On passe.
Sagaing, tout le monde descend ! Je suis très heureux d’être arrivé. A peine sorti de la camionnette, je suis abordé par des vélos-taxis. A Mandalay, ils portent le nom de trishaw parce qu’au vélo est accroché un double siège comme un side-car ce qui fait que le vélo a 3 roues. Les deux places des passagers sont dos-à-dos. Un chauffeur souriant m’aborde dans un anglais compréhensible. Il me demande 3000 Kyat (environ 2 €) pour me faire visiter plusieurs endroits pour la journée complète. Sans réfléchir, j’accepte et me voilà assis sur le trishaw. Le chauffeur porte un chapeau de paille à la forme birmane arrondie (et non pointue comme les vietnamiens). Il doit fournir un gros effort pour pédaler sous le soleil, j’ai honte de me faire transporter par quelqu’un de plus âgé que moi.
Il m’emmène à un premier temple que je visite assez rapidement. Comme je vois un tea-shop juste à côté, avec ses tabourets bas, je l’invite à boire un café. Au fond du tea-shop se trouve un gros téléviseur, une dizaine d’enfants sont assis à une table et regardent un film.
J’apprends que Maug Htay est un ancien policier. Il me dit que dans son précédent travail, il a dû faire des choses tellement horribles qu’il ne pourrait pas me les raconter. Comme il ne pouvait plus exécuter les ordres, il est parti (ou il a été viré, je ne le saurais jamais). Avec ses économies, il a acheté ce trishaw, il est heureux d’être indépendant. Il ajoute que son salaire de policier n’était pas beaucoup plus élevé que ce qu’il gagne maintenant.
On reprend la route, Maug Htay comprend que je m’intéresse plus aux endroits vivants qu’aux temples déserts, il m’emmène voir un atelier où des argentiers sculptent, puis nous allons manger dans un restaurant très animé.
En me montrant un temple il m’explique que le moine supérieur a eu des ennuis avec le pouvoir militaire, qu’il serait dangereux que je le visite.
Maug Htay m’explique que Sagaing est aujourd’hui considérée comme une ville monastique. Il plaisante en me disant qu’ici vivent mille moines et mille moniales, mais qu’on ignore combien d’enfants.
Il me dépose aux pieds de l’escalier sud de la colline de Sagaing, il sait aussi qu’ainsi je vais éviter le contrôle des billets d’entrée, il me recommande bien de ne pas m’approcher de l’entrée nord. Éviter de payer la taxe touristique, c’est aussi éviter de donner de l’argent supplémentaire aux militaires.
Depuis la colline, je prends le pont en photo, c’est interdit de prendre les ponts en photo, mais personne ne me voit. Je vois qu’un deuxième pont est en construction.
En fin d’après-midi, Maug Htay me dépose à une camionnette pour le retour. Il explique au chauffeur que je veux m’arrêter à Amarapura pour aller voir le pont en teck. Il écrit sur un papier « s’il vous plait ramenez-moi à Mandalay » en birman, pour que je puisse trouver un dernier transport pour rentrer ensuite. Il semble soucieux de me voir repartir. On se fait au-revoir de la main.
Décembre 2006,
Deuxième voyage au Myanmar. Cette fois-ci avec Madeleine. C’est pour moi un passage obligé à Mandalay: nous allons nous asseoir sur le banc du monastère au jardin fleuri. Le vieux monsieur nous aborde, il se souvient de moi. Je lui ai apporté un petit cadeau et des photos, mais je comprends que sa vue a baissé, il ne voit plus très bien. Il m’explique qu’il n’emmène plus les touristes en excursion, c’est pour lui devenu trop pénible, mais qu’il peut demander à un jeune de la faire à sa place. En effet, autour de lui, je vois quatre jeunes assis sur d’autres bancs. Le vieux monsieur leur enseigne l’anglais. Ils ont envers lui un énorme respect.
Comme j’ai encore plusieurs choses à organiser pour la suite de notre voyage (demain nous voulons partir pour Myitkyina et assister au festival Manao, fête nationale Kachin). Je propose à Madeleine d’aller visiter Sagaing seule. Je lui écris sur un papier le nom de Maug Htay et son numéro de cyclo-pousse, lui demandant de visiter Sagaing avec lui et de lui transmettre mes salutations.
Le soir, je suis étonné que la fille de l’Auberge vienne frapper à ma porte. Elle a reçu un appel de Maug Htay. Il a laissé un message pour moi : Madeleine sera de retour bien après le coucher du soleil, que je ne m’inquiète pas.
Madeleine a passé une belle journée. Elle a visité deux fois plus d’endroits que moi six mois plus tôt, voilà pourquoi elle a pris du retard. Elle me raconte que Maug Htay se souvient très bien de moi. Elle n’a pas eu à le chercher longtemps, il était exactement à l’endroit où je l’avais rencontré en mars dernier. Hélas, sa femme est tombée gravement malade il y a quelques mois. Il a dû vendre son trishaw pour payer les frais d’hôpitaux. Aujourd’hui, il doit louer un cyclopousse pour pouvoir continuer à travailler.
Janvier 2012,
C’est mon septième voyage au Myanmar. Hier, je suis allé passer une heure dans le jardin du Paya Eindawya. J’ai observé la vie de ce monastère que je connais bien maintenant. Je n’ai pas vu mon vieux professeur.
Les années passant, je me suis beaucoup documenté sur l’histoire du pays et la nécessité de revoir Sagaing, ancienne capitale, a maintenant une toute nouvelle importance.
De la ville de Mandalay, je monte dans une des camionnettes de l’angle des rues 84 et 29 comme si j’étais un habitué. Une heure et demi plus tard, le contrôle militaire du pont sur l’Irrawaddy n’est plus qu’une formalité. D’ailleurs on n’a même pas eu besoin de s’arrêter, le soldat nous a fait signe de passer.
Alors que je sors de la camionnette, je regarde autour de moi, je ne vois pas Maug Htay. Je sais exactement où je veux aller et ce que je veux voir, je peux très bien marcher.
Du haut de la colline de Sagaing, je vois que le deuxième pont est terminé. Je prends quelques photos, ce n’est plus interdit aujourd’hui.
Je ne me souviens pas des escaliers couverts qui courent entre les collines. Je me perds dans le labyrinthe des monastères, je pourrais passer des heures à marcher ici, c’est tellement beau. Je croise beaucoup de groupes de Birmans venus en pèlerinage. Je reviendrais, c’est sûr !
Je salue un chat endormi sur un banc en pierre. Les Birmans qui me croisent me demandent où je vais, je leur réponds que je vais bien. Je m’arrête boire des cafés et manger des samosas, je me surprends même à discuter avec des touristes. Des chiens m’aboient, je prends des photos.
En milieu d’après-midi, je veux aller visiter un temple qui se trouve à 10 kilomètres de la bourgade. Le stupa a une forme arrondie comme une cloche à fromage. L’année dernière, un généreux donateur offert des litres de peinture de couleur dorée. Il a été repeint. C’est mon ami photographe Tun Tun qui m’en a parlé et je ne veux pas manquer d’aller voir cette cloche à fromage en or.
Mais avant d’aller parler avec les mototaxis, je veux manger une assiette. C’est à ce moment-là qu’un chauffeur de moto s’arrête à ma hauteur et me demande si il peut m’emmener quelque part. Aucun doute, je le reconnais, c’est Maug Htay. Il a un peu de peine à se souvenir de moi. Il s’est écoulé six ans depuis la dernière fois que l’on s’est vu. Je lui explique que je veux d’abord aller manger une assiette, il m’accompagne mais ne mange pas.
Maug Htay n’a plus besoin de louer un trishaw, il a pu s’acheter une moto d’occasion. Il est très heureux que le pays se soit ouvert, la vie est beaucoup plus facile maintenant me dit-il. Sa femme va bien, il se souvient que 2006, a été une année très difficile pour lui.
Il est un peu étonné que je veuille aller voir ce temple si loin de la ville, mais il m’emmène avec plaisir.
Je n’ai pas eu l’occasion de retourner à Sagaing depuis janvier 2012. Peut-être que j’irai cette année (2018). Et si je croise Maug Htay, promis ! je vous donnerais de ses nouvelles.
toutes les photos : Frédéric Alix, mars 2006 et janvier 2012 à Sagaing, Myanmar
finalement je suis revenue pour lire ton histoire qui est vraiment tres agreable a lire. Quelle aventure tout ca… Tu retournes et tu revois les mêmes personnes. Cela semblent un endroit tres fascinant. Je comprends que tu veuilles y retourner. C’est possible maintenant d’entrer en Birmanie ( Myanmar) par la route a partir de la Thailande ? Merci du partage de tes histoires de voyage. Cela m’a beaucoup plu, il fallait juste que je trouve le bon moment pour tout lire. 😉