Poï Sang Long, la novicisation des enfants de Bouddha

A l’âge de 29 ans, le prince Gautama abandonne le palais et ses richesses, quitte sa femme et son fils, laisse derrière lui ses beaux habits, ses parures, et s’en va méditer dans la forêt où il recevra l’illumination et deviendra Bouddha. 

Selon la légende, Gautama (devenu Bouddha) revient au palais sept ans plus tard. Son fils Rahula se présente devant lui et demande de recevoir son héritage princier. Le père explique que les richesses matérielles n’ont aucune valeur et lui donne le Dharma (la connaissance, le pillier de la doctrine bouddiste). Bouddha demande à Sariputta d’ordonner Rahula comme moine. 

Chiang Mai, 24/03/2017

La cérémonie de novicisation est la plus importante cérémonie de toute la vie d’un homme bouddhiste.

Au Myanmar, pays ancré dans le bouddhisme, l’histoire de Rahula, premier enfant a être ordonné dans la Sangha, a inspiré un rituel que l’on appelle le Shinbyu. Mais je vais vous parler de ce que je connais le mieux et je vais centrer ce texte sur les Shan, grande civilisation qui vit dans les vallées du Nord-Est du Myanmar.

Chez les Shan, la cérémonie de novicisation des garçons de moins de 20 ans s’appelle le « Poï Sang Long »

En langue shan, le « Poï » (qui se dit Pwé en birman) est une fête religieuse – « Sang Long » peut se traduire par enfant chéri, adoré, ou littéralement par «enfant de cristal ». 

Chiang Mai, 5/04/2009

Rite de passage

Cette cérémonie marque l’entrée au temple d’un enfant en tant que novice pour une durée qui varie d’une semaine à toute une vie. Il s’agit d’un rite de passage, on quitte la petite enfance et on confirme son appartenance à la communauté bouddhiste que l’on appelle la Sangha. 

Le Poï Sang Long est directement inspiré de l’histoire de Rahula. Comme son père avant lui, Rahula a dû quitter le confort et le prestige de la vie de prince pour devenir un moine dénué de toutes possessions. 

Seuls les garçons peuvent avoir un Poï Sang Long. Les filles peuvent devenir moniale-novice mais cela ne donne pas lieu à une cérémonie particulière.

C’est une fête familiale et communautaire. Pour les parents, c’est un moment très important, et l’occasion de gagner des mérites (les bons points qui permettent de gagner le paradis). Toutefois, comme le Poï Sang Long est réservé aux garçons, il arrive que des familles fortunées qui n’ont pas eu d’enfant mâle offrent la cérémonie à un orphelin ou un garçon dont les parents ne peuvent en assurer le coût. 

Chiang Mai, 04/04/2008

C’est au moine principal de la communauté de choisir la date propice à cette cérémonie. La période la plus courante est juste avant les fêtes de la nouvelle année bouddhiste (avril), parce que cette période marque le passage des saisons. Mais aussi pour une raison plus pratique : les enfants ont leurs grandes vacances scolaires à ce moment là. 

Trois jours de fête pour le Petit Prince

Il n’y a pas de rituel fixe pour le Poï Sang Long, c’est le moine principal qui décide du programme. La plupart du temps, le festival se déroule sur trois jours. Les familles se retrouvent au temple avec les habits de la fête, des casseroles, ustensiles et de la nourriture pour trois jours. Ceux qui viennent de loin pourront dormir au temple.

Chiang Mai, 04/04/2009

Au matin du premier jour, avant le lever du soleil, vers les 5 heures, on rase les cheveux et les sourcils du futur novice, on le baigne dans une eau bénite et on l’habille. Ce sont de longs habits de soie aux couleurs chatoyantes : rose, jaune, vert. Ils sont maquillés, on force un peu sur le rose aux joues. On couvre leur tête de couronnes de fleurs, ils peuvent recevoir des bijoux. Aux pieds, ils ne portent que des chaussettes blanches et ils ne pourront marcher que sur le sol du temple, à l’extérieur, ils seront portés. Désormais et pour trois jours, ils seront des « Sang Long », enfants chéris.

Chiang Mai, 04/04/2009

Ce rituel veut réellement mettre l’enfant dans la peau du prince qu’était Rahula (et Gauthma Bouddha avant lui).

Assis sur les épaules de leur père, de leur frère ou d’un proche, les petits princes sont emmenés dans plusieurs temples où ils vont aller se prosterner devant les moines respectables et demander leurs bénédictions. Ces processions familiales sont accompagnées par de la musique, on danse en chemin.

Porter l’enfant est un honneur qui permet d’acquérir des mérites, alors on change le porteur de temps en temps. Un autre adulte tient une ombrelle qui protége le petit prince du soleil. 

Les visites de temples se succèdent, on va aussi rendre visite au chef de la communauté, dans les campagnes on passe de villages en villages, il arrive que les habitants jettent des pétales de fleurs sur le chemin du petit prince.

Comme la route peut être longue, certains trajets sont faits en camionnette, à cheval, ou sur un éléphant. Et pour les familles qui veulent impressionner la communauté : en voiture de marque ! Selon le budget de la famille, ces processions peuvent être accompagnées d’orchestres plus ou moins importants, j’ai assisté à un Poï Sang Long à Kalaw où des dizaines de figurants costumés, des danseurs, des chevaux et des éléphants reconstituaient une fastueuse parade princière.

Kalaw, 09/04/2017
Kalaw, 09/04/2017

Photos au-dessus : Kalaw (Myanmar), dans la communauté Pa-O

La procession se termine au temple par une circambulation de trois tours autour du hall d’ordination ou du stupa principal. La musique et les danses ne s’arrête qu’une fois que tout le monde est entré dans le temple.

Piang Luang, 23/04/2015

Au troisième et dernier jour, une dernière procession mène les jeunes princes au temple avec les offrandes pour le monastère : robes monacales, bols d’offrandes, coussins et nattes, mais aussi ustensiles de cuisine, serviettes, bougies, fleurs de lotus et des arbres à billets de banque. 

Au terme de la dernière des cirambulations autour du hall d’ordination, les enfants chéris abandonnent leurs habits de soie, leur maquillage, leurs bijoux et ne portent plus que la simple robe monastique. Tête nue et pieds nus, ils se présentent devant le moine principal qui va prononcer leur entrée officielle dans la communauté monacale que l’on appelle la Sangha. 

Piang Luang, 23/04/2015

L’entrée dans les ordres

Les familles s’en vont, le temple devient soudainement silencieux, la grande fête est finie. Les enfants devenus moines-novices se retrouvent seuls dans leur Sangha. Ils vont apprendre les bases du Dharma : la connaissance, les enseignements du Bouddha. Certains enfants ne resteront que quelques jours, d’autres plusieurs semaines et d’autres resteront des années. 

La vie monacale

Les moines-novices n’ont que 10 règles à suivre, contrairement aux moines adultes qui en suivent 227 ! Les plus importantes : ne pas consommer d’aliment solide l’après midi, et participer à la quête de nourriture le matin en marchant pieds-nus dans les rues, ne portant sur soi que ses seules possessions : sa robe monacale et le bol que les laïcs remplissent de la nourriture qui sera partagée entre tous les membres de la Sangha. 

Confier son enfant au temple rapporte des mérites à la famille. L’éducation donnée est gratuite et pendant tout le temps que l’enfant passe en tant que moine-novice, il est nourri par la communauté.

Piang Luang, 23/04/2015

Le Poï Sang Long ne se fait qu’une seule fois dans une vie. Une fois admis dans la Sangha, on peut facilement la quitter et retourner à la vie laïc. Si l’on désire revenir au temple et reprendre la robe, il suffira d’aller se présenter devant le moine pour lui demander d’accepter son retour. 

On pourrait tirer des parallèles entre les cultures religieuses et comparer la novicisation des enfants au catéchisme et à la confirmation chez les Chrétiens. Mais il y a ici en plus la possibilité que les enfants bouddhistes restent accomplir toute leur scolarité au temple.

Chiangmai, 04/04/2014

Retour au temple à l’âge adulte

Nombreux sont les adultes qui désirent retourner au temple pour une courte période, ils choisissent le plus souvent la période du Carême bouddhiste des mois de juillet à septembre. Ce retour au temple est très estimé dans les communautés au même titre que de faire un pèlerinage: cela permet d’accumuler des mérites.

Quand on cherche à connaître la motivation de ceux qui ont pris l’habit monacal, presque tous répondent que c’était pour faire plaisir aux parents. Et quand on veut savoir pourquoi ils ne sont pas restés plus longtemps: parce qu’on ne peut manger qu’un seul repas par jour.

Chiang Mai, 04/04/09

Photo au-dessus : Chiangmai, avril 2009 – Temple Shan de Wat Ku Tao – Le Poï Sang Long est réservé aux enfants de 7 à 20 ans, in-extrémis ce jeune novice a 20 ans, l’âge limite.

Ma vidéo du Poy Sang Long à Mae Sariang en avril 2022. Nous sommes toujours pendant l’épidémie de covid, c’est une des rares manifestations a avoir été autorisée, elle a été simplifiée à son minimum.

Episode 15 – Poy Sang Long à Mae Sariang, avril 2022

Et ailleurs au Myanmar…

Cette cérémonie que les Shan appellent Poï Sang Long est pratiquée presque partout au Myanmar sous le nom birman de Shinbyu. Le rituel est le même. J’ai assisté à des Shinbyu dans plusieurs endroits et notamment à Mrauk U en Arakan. 

ci-dessous : vidéo de procession de 2 Shinbyu, dans la tradition de Birmanie centrale.

Mon regard novice sur la question n’a remarqué qu’une seule différence : les Shan font une grande fête avec beaucoup de musique et d’invités.

On ne trouve cette novicisation des enfants, directement inspirée de l’histoire de Bouddha et de son fils Rahula, qu’au Myanmar.

Wiang Haeng, 24/06/2015

Photo au-dessus et au-dessous : Piang Luang (frontière Thaï/Myanmar) les festivités Shan

Piang Luang, 22/05/2015
Meyktila, mars 2006

Photo au-dessus : Meiktila, mars 2006 (Birmanie centrale). Surprise, il y a deux filles dans le groupe! Cérémonie pour moniales-novice ou figurantes à la fête de leurs frères? Je n’ai pas le réponse, mais si vous l’avez écrivez-moi 😉

En Thaïlande, au Cambodge, au Laos, …..

Ailleurs, dans les communautés bouddhistes de Thaïlande, du Laos, du Cambodge,…   la novicisation des enfants ne donne pas lieu à un festival particulier.

Les courts passages au temples de 1 semaine à 3 mois sont plutôt pratiqués à l’âge adulte comme on accompli un pèlerinage en pleine conscience.

Lorsqu’une personne décide de devenir moine, la cérémonie est beaucoup plus simple. Elle consiste à se faire couper les cheveux puis, porté par sa famille, on effectue trois fois le tour d’un stupa avant d’aller se présenter devant le moine principal qui va accueillir le nouveau moine dans la Sangha (communauté des moines). Cela ne dure que quelques petites heures mais le symbole est très fort.

Piang Luang, 22/04/2015

Au Lanna

Dans le nord de la Thaïlande, dans la région qui, autrefois indépendante s’appelait le Lanna (dont Chiang Mai en est la capitale), on pratiquait le Poï Sang Long. Le Lanna était très proche de la culture Taï-Shan, jusque dans la langue parlée et écrite.

Aujourd’hui, après la siamisation de la région, cette coutume a presque entièrement disparu, on lui donne le nom de « Luuk Kaew » (qui est une traduction en langue thaïlandaise de « Sang Long »). 

Toutefois, une très importante communauté Shan vit dans les provinces de Chiang Maï, Mae Hong Son, et Chiang Raï. Les temples shan de ces régions organisent des Poï Sang Long. 

En ville de Chiangmai, le moine principal du temple shan de Wat PaPao est très actif, il organise des Poï Sang Long toutes les années depuis 1994 pour la communauté dont la plupart sont des exilés. Mais l’organisation de parades à l’intérieur de la ville pose un problème de trafic et de logistique. J’ai entendu que les prochaines novicisations se feront dans un nouveau temple Shan à Saraphi (sud de Chiangmai), je vous en parlerai dans un prochain post.

Chiang Mai, 5/4/08

photo au-dessus : Chiangmai, avril 2008, la gestion des parades du Poï Sang Long en ville demande beaucoup d’organisation.

Chiang Mai, 04/04/2009

bibliographie :

Bangkok Post, « The long Procession », 16 April 2015, auteur : Karnjana Karnjanatawe

merci à mes amis Shan pour avoir patiemment répondu à mes questions


Chiang Mai, 05/04/2014
Chiang Mai, 04/04/2014
Chiang Mai, 05/04/2014

photo: Chiangmai, avril 2014, Wat PapPao – ces femmes Palaung sont venues en ville pour assister au Poï Sang Long de leurs neveux.

Pour en savoir plus sur le peuple Taï-Shan j’ai rédigé ce texte : Taï-Shan

toutes les photos ©Fred Alix @Chiangmai, PiangLuang (Thaïlande), Mandalay, MraukU, Meiktila, Kalaw (Myanmar), entre 2006 et 2017

Piang Luang, 22/04/2015
Catégories Myanmar - Birmanie

3 réflexions sur « Poï Sang Long, la novicisation des enfants de Bouddha »

  1. Super reportage. Merci pour toutes les explications.

  2. Très intéressant, Fred. Les photos sont magnifiques. Merci.

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