Ce texte est extrait de mon Journal de Voyage 2006. (Episode 1)
Jeudi 2 février 2006
– Sur la future autoroute jusqu’à Luang Nam Tha
Ce matin j’ai traversé le Mékong et je suis arrivé au Laos. Pour fêter ça, ce soir je bois ma première Beerlao. Je viens de finir une grande bouteille pour me rendre compte qu’elle est vraiment la meilleure. En ce moment j’ai la tête qui tourne, mais c’est surtout parce que la journée a été longue.

Après le passage du Mékong à bord d’un long bateau en bois, après avoir accompli les formalités de frontière lao, fait tamponner mon passeport pour un visa de 15 jours, je me retrouve au Laos, à Huay Xai, dans la grande rue qui longe le fleuve. Je cherche un moyen de transport pour rejoindre Luang Nam Tha, à 180 kilomètres au nord-est. On m’indique la gare routière d’un signe du bras, et j’amorce fièrement le trajet à pieds sans savoir qu’elle se trouve à plus de 5 kilomètres de là.
Dégoulinant de sueur sous le soleil déjà fort, après seulement 500 mètres de marche sous le poids des 15 kilos de mon sac à dos, je m’arrête devant un bus stationné au bord de la route. Je demande avec les quelques mots de lao que j’ai dans mon vocabulaire si je suis (enfin) arrivé à la gare routière. Non! c’est beaucoup plus loin qu’on me répond. Sous mes litres de sueur, je n’ai pas vu que le bus stationné dans des herbes hautes est complètement rouillé, n’a plus ni portes, ni roues, ni vitres. Une moto-taxi propose de me conduire pour un tarif que je trouve d’abord exagéré mais une fois compris la longueur du trajet je paie en remerciant.
Un songteaw (petite camionnette avec deux rangées de bancs parallèles à l’arrière) partira pour Luang Nam Tha quand il y aura suffisamment de passagers. Nous nous embarquons pour un peu plus de 6h de trajet.

Un voyage, tout aussi superbe qu’il est long, dans les montagnes puis dans les forets sur une route qui à l’avenir deviendra une autoroute reliant la Thaïlande et la Chine au travers de ce Nord-Lao encore sauvage. Tantôt nous escaladons des montagnes sur des routes poussiéreuses, tantôt nous sinuons entre les reliefs, bousculant des branches au passage, au cœur de la forêt tropicale sur ce que j’aimerais plutôt appeler un chemin forestier.
Pour les ouvriers qui travaillent sur le chantier de la future grande route, il y a encore tellement de travail de terrassement que je ne me demande pas quand la route sera terminée, mais si un jour elle le sera.
Notre chemin est en terre battue, il n’est goudronné que sur une petite portion, et les bosses nous font sauter sur les bancs du camion durant tout le trajet. Le trajet est tellement long et épuisant que j’ai envie de sauter dans le premier village et d’y rester. Derrière la camionnette c’est un gros nuage de poussière qui s’échappe.
Arrivé à Luang Nam Tha, je suis couleur de terre, et encore tout tremblant d’avoir trop sauté sur les bosses de la route. Je prends une chambre au Guesthouse qui se trouve entre le marché et la gare routière et je file sous la douche. Je sursaute quand je vois que l’eau qui s’écoule est brune-rouge.
C’est à nouveau propre que je fais un tour du centre de Luang Nam Tha qui a un certain charme.

Luang Nam Tha est une petite ville lao moderne typique: c’est-à-dire un gros village avec de larges rues bitûmées. Des maisons dans des jardins verdoyants, de la musique thaï qui s’échappe des fenêtres. A la tombée de la nuit, comme les rues ne sont pas éclairées, on rejoint sa maison et on respecte le couvre feu qui sonne à 21h30. Contrairement à la Thaïlande où les gens sortent manger dans les échoppes de rue, les Laos disparaissent dès la tombée du jour et la ville est déserte jusqu’au matin.
Dans ma petite chambre, j’ai le luxe d’avoir un poste de télévision. Je regarde le journal télévisé laos qui est lu par une femme en uniforme de l’armée.

Comme depuis ma chambre j’ai la vue sur le marché, demain matin, je n’aurai qu’à lancer un regard depuis ma fenêtre pour repérer le meilleur vendeur de soupe avant de descendre déjeuner et visiter. Je pourrai louer un vélo pour découvrir les environs. Je déciderai demain si je reste un jour complet ici ou si je pars à midi pour Muang Singh.
Le Laos est un beau pays de montagnes verdoyantes, les gens plutôt timides et discrets mais agréables et reposants. Je crois que j’aime ce pays. Je pense m’y balader jusqu’à ce que mon visa n’expire.

Vendredi 3 février 2006
– Le petit pont en bambou de Luang Nam Tha
Il fait froid au marché du matin. Les gens sont emmitouflés dans des habits chauds et colorés. J’aimerais bien revêtir un de leur bonnet de laine. La brume est dense et par moments, on ne peut que deviner une scène qui se passe un peu trop loin. Je mange une soupe et bois un café lao en observant les achats et ventes des légumes, de fruits, de viandes vivantes et de poissons nageant, de morceaux de viandes coupées et dépecées, de paniers tressés ou de plantes médicinales aux vertus qui me dépassent.
Je ne sais pas encore si je vais passer une journée complète à Luang Nam Tha ou si je vais reprendre la route à midi. Mon sac est prêt au départ.

Un petit tour dans un quartier près de la Nam Tha (rivière Tha) me fait découvrir un pont en bambou tressé courant sur des sortes de grands paniers posés sur la rivière peu profonde qui s’écoule sur un banc de gravier.
Autour du pont, on se savonne, on se lave le visage et les dents, on fait la vaisselle, on nettoie sa voiture, sa moto ou son vélo. Si je n’avais pas peur de passer pour un voyeur, je crois que je resterais une bonne heure à observer ce tableau.




Le pont traversé, j’arrive dans un plus petit village de maisons tressées, autour desquels picorent les poules, dorment des chiens, guettent des chats et jouent des enfants. Quelques foyers fument encore. Derrière les parois des maisons, je devine les habitants vaquant à leurs occupation dans une discrétion toute lao.



Au sortir du village, recouverte d’une brume épaisse, je devine une étendue de rizières. J’entends couler de l’eau mais je ne vois rien. Par-ci, par-là, on devine les petites cabanes en bois qui servent au repos des riziculteurs. J’ai encore très froid.
Me disant que j’ai fait le tour de Luang Nam Tha, je veux revenir sur mes pas quand la brume commence à se lever, lentement, me faisant découvrir ce paysage par étapes successives, comme si je devais en apprécier tous les détails. Les champs de riz sont séparés par des rigoles où coule l’eau nécessaire à l’irrigation.
Comme j’avance dans le paysage, le bruit de l’eau se fait entendre de tous les côtés. Un homme marche sur une digue de terre entre deux rizières. Un peu plus loin, la brume s’est partiellement levée et découvre une charrue en bois. Quelques rayons du soleil viennent apporter une chaleur progressive, je sais que dans quelques instants, quand le ciel sera dégagé, j’aurai trop chaud. Pour compléter le tableau, apparaissent des montagnes.
Ce sont ces instants où on a l’impression d’être entré dans un rêve, on est seul avec un décor qui semble sorti d’une imagination.
Je tente de me balader sur les petites digues entre les champs de riz, en suivant l’exemple de l’homme vu au loin qui marche sur une longue motte. C’est un exercice d’équilibre qui est moins facile que je le pensais. Je manque de tomber la tête la première dans les champs de riz.

A ce moment, en complète admiration, il n’est plus question de quitter Luang Nam Tha avant midi. Je marche lentement vers l’inconnu que le lever de brume vient de découvrir.


Plus loin, je passe devant une coopérative. Les paysans sont venus apporter le riz des champs. Ils transportent les gros sacs sur des charrettes tirées par ces moteurs placés au bout d’un long mat qui sert de guidon. Le riz doit être écossé. Une grosse machine fait ce travail. Une fille manie cet ensemble mécanique alors que les paysans attendent patiemment leur tour. Quelques garçons balayent les balles de riz tombées au sol et transportent les gros sacs.



Plus tard dans la journée, je loue un vélo et je pédale sur une route qui devrait me mener à un That (stupa de style lao à base carrée) sur une colline. Le froid de ce matin, je n’en ai plus aucun souvenir tellement il fait chaud maintenant.
Je passe à côté de l’aéroport. Comme je me suis arrêté pour boire un Fanta (prétexte pour paresser à l’ombre alors que le soleil tape trop fort), un avion à hélices atterrit. D’après mes informations, il y a un vol quatre fois par semaine, toutefois, la pénurie d’avion de Lao Airline peut faire annuler certains vols… C’est un petit avion d’une dizaine de place, quelques touristes francophones heureux en sortent. Je me précipite sur la piste pour prendre quelques clichés pendant que l’on décharge les bagages. Je leur dit bonjour, ce à quoi ils me répondent par des expressions de méfiance.
Le vert des petites pousses dans les rizières est harmonieusement mélangé avec le bleu du ciel se reflétant dans l’eau des champs. Le That se trouve sur une colline à flanc de montagne, à l’extrémité de la vallée plate de la Rivière Tha.

Comme je l’ai lu, il y a deux That. Le premier a été détruit pendant les bombardements américains de la guerre secrète et se trouve en position effondrée. On ne l’a pas restauré pour rappeler que les horreurs de la guerre ne peuvent pas se réparer. À ses côtés, se dresse le nouveau That, peint en couleur jaune (et non recouvert de feuilles d’or comme le voudrait la tradition, mais les traditions sont parfois trop coûteuses pour un des pays les plus pauvres d’Asie du Sud-Est). Je monte le grand escalier, et y reste un moment à admirer la vallée de la Tha, les rizières, les villages et les montagnes qui encadrent l’écrin de Luang Nam Tha.

Je rentre par un autre chemin, passant un nouveau pont en bambou (moins stable que celui vu ce matin), j’observe discrètement ceux qui prennent le bain de la fin de journée, leur petit panier en plastique rempli des produits de douches, savons et brosses à dents. Des femmes viennent à la rivière pour puiser de l’eau. Des enfants traversent sur un radeau en bambou.



Un peu plus loin, je m’arrête devant une sorte d’embarcadère. D’ailleurs l’endroit est appelé Tha Ruea (qui veut dire embarcadère).
Je rencontre un couple de français. Nous nous disons bonjour. L’homme me fait tout de suite remarquer sur un ton supérieur que mon accent trahit mon origine suisse. J’ai envie de lui dire qu’il n’y a pas que son accent qui trahit son origine parisienne mais je me retiens.
Ils reviennent d’une excursion d’une journée sur un petit bateau qui les a promené sur la rivière. La femme en est ravie. Mais l’homme relativise les propos de sa femme, ajoutant qu’ils ont dû descendre deux fois du bateau parce que le tirant d’eau n’était pas suffisant.
Ils m’expliquent avec fierté qu’ils préparent tout leur voyage par Internet avant de partir et payent tout d’avance par carte de crédit. La femme a sous le bras un classeur de feuilles sur lesquelles est imprimé le programme de toutes les excursions des jours passés, présents et futurs, toutes les réservations dans les hôtels, tous les transports en minibus, tout est soigneusement préparé et répertorié.
Comme leur chambre ne leur a pas convenu la nuit dernière, ils ont demandé à changer d’hôtel, leur guide francophone va arriver dans un moment avec un minibus pour le transfert. Et demain ils reprendront l’avion pour continuer leur voyage vers Luang Prabang.
Je leur demande si ils aiment le Laos. Le monsieur se lance dans une explication sur les ponts et chaussées: « Ils ont bien des routes, mais elles n’ont pas d’assise! Ces gens sont incapables de construire quelque chose qui tienne. Nous sommes allés visiter Muang Singh en minibus, le trajet était un calvaire. » Je compatis et me garde bien de leur dire que je compte traverser tout le nord du Laos en camionnette.
Le seul pays, me dit-il, où ils ont dû confier toute l’organisation à une agence de voyage, c’est la Birmanie. « Il n’y a pas de route, m’a-t-il affirmé. Nous avons fait tous les trajets en avion. Et les exigences administratives sont très compliquées, c’est impossible d’y voyager sans l’aide d’une agence de voyage. »
Je leur souhaite une bonne suite de voyage. Et alors qu’ils vont s’asseoir dans le minibus et que le guide charge leurs lourdes valises dans le coffre, je remonte sur mon vélo et rentre à mon Guesthouse entre la gare routière et le marché du matin.


Mon voyage va se poursuivre au Laos pour deux semaines, puis j’entrerai en Chine, traverserai le Yunnan et rejoindrai le Myanmar que je traverserai du nord au sud. C’était en 2006, des milliers de kilomètres, quatre-vingt jours de voyage. Je continue à penser que c’est le plus beau de mes voyages.
Je reviendrai souvent à Luang Nam Tha, et je ne manquerai jamais d’aller voir le petit pont en bambou. Il s’agit d’un pont saisonnier, à la saison des pluies il est emporté par le courant et les villageois le reconstruisent à la saison sèche suivante.
toutes les photos ©Frédéric Alix, à Luang Nam Tha, Laos. La plupart en 2006, certaines en 2008, 2009, 2013.
La suite de cette histoire est dans le deuxième chapitre : Muang Singh
Tu avais fait bcp de photos. Tu ecris un chapitre par texte !! Combien de mots ? Je me demande si tu as revise et change des passages de ton journal ou si tu laisses tout integral ? ce sont de bons souvenirs pour toi . J’aime bcp voir les photos de ce pays que je ne connais pas.
Merci pour ton message. Le travail de révision me prend beaucoup de temps parce que mon journal de voyage n’avait pas été écrit pour être lu par tout le monde. Je dois aussi ajouter des paragraphes qui me semblent important maintenant. Un chapitre correspond à un lieu. Je sais que c’est beaucoup de texte mais le lecteur peut sauter des paragraphes ou ne regarder que les photos.
Tu aimes ecrire comme moi et cela est bon. Je prepare un petit texte special qui ne decrit pas la journee de marche mais d’autre choses. Ca sera apres le texte sur Figeac donc dasn un mois environ. Moi, je veux bien lire ton texte …il faut du temps c’est tout. 😉
Finalement j’ai tout ..j’ai bcp aime … 🙂 merci du partage. j’ai bien hate de lire la suite. :-)))