Au Nord-Ouest du Myanmar, le petit état Chin compte à peine 500’000 habitants dans une région entièrement montagneuse. Il n’est devenu une zone unifiée qu’en 1948. Avant cette date, la région était habitée de peuples qui coexistaient dans des rapports tantôt de bon voisinage, tantôt de guerres de clans. Ma première surprise en parcourant cette région en février dernier a été d’apprendre que chaque clan a, aujourd’hui encore, sa propre langue ou son propre dialecte, qu’il n’existe pas une langue unique pour l’Etat. – (surprenant ? pas tant que ça quand on est né en Suisse.)

J’ai beaucoup aimé écouter la langue de Hakka à Hakka et celle de Falam à Falam, mais je ne vais pas vous faire croire que j’ai entendu une différence entre elles. Je trouve ces langues très mélodiques, elles se prêtent bien au chant, les sonorités ne sont jamais rugueuse mais semblent couler comme de l’eau sautillant sur le lit d’une rivière.
Le 19 février, j’arrive dans la bourgade de Teddim. La route a été pénible, en plus de craindre de me retrouver sous un orage (qui n’a jamais éclaté, merci!), ma moto a du sauter sur les cailloux d’une piste inondée sous un flot de poussière. Ainsi pour les 20 derniers kilomètres, j’ai mis 2 heures et suis arrivé à destination avec des habits recouverts d’une épaisse couche brune.


Je trouve enfin un petit restaurant qui sert encore des soupes en ce milieu d’après-midi. A la table voisine j’écoute un homme et ses deux fils discuter entre eux. Tout de suite, à les écouter, je me dis qu’ils ne sont pas d’ici et je crois même reconnaître des accents birmans dans leur langue. Fier de ma découverte de linguiste en herbe je leur demande d’où ils viennent. – On est d’ici! de Teddim, me répond le fils dans un bon anglais. Ma jeune carrière de linguiste a pris fin rapidement. Je leur explique que je n’avais pas encore entendu des accents comme les leurs depuis le début de ma traversée de l’Etat Chin. Ils éclatent de rire, et m’apprennent que la langue de Teddim est très différente de celle de Hakka et Falam et qu’il est normal que je n’en ai rien reconnu des sonorités. Ici les habitants sont issus des clans ZoMi, ou MiZo. Ouf! J’ai un avenir dans la linguistique.


En route pour Rhi, ville frontière
La route pour Rhi’khawdar n’est longue que de 30 km, mais il faut plus de trois heures pour la parcourir sur ma petite moto. A la saison des pluies, elle n’est praticable que par les experts de la route, qui peuvent mettre jusqu’à deux jours.


Rhi’khawdar, ville frontière, émotion de me retrouver à un ruisseau de l’Inde. Je passe la soirée sur une terrasse à observer le pont frontière. A ma table, le douanier vient sympathiser. Il est 18h passée et la frontière est fermée. Cela n’a pas interrompu le flot des Indiens qui quittent le Myanmar pour rentrer chez eux en Inde après une journée de travail. Ceux qui n’arrivent pas à sauter par dessus les barrières peuvent se faufiler dans un trou de grillage alors que d’autres choisissent de traverser le ruisseau à pieds. C’est devant cette scène que je trinque avec le douanier.

Plus tard, au Guesthouse où je loge, assis devant ma chambre, je sympathise avec un groupe de birmans d’origine indienne qui vivent à Yangon. Ils sont en déplacement pour faire du commerce. Ils vendent aux Indiens les noix de cajous birmanes et achètent des produits indiens telles que des cigarettes et de l’alcool qu’ils revendront aux frontières de Tachilek et Myawaddy (frontières d’avec la Thaïlande). J’apprends au passage que le Guesthouse où je loge est une plaque tournante du commerce de la noix de cajou.
Le commerçant se plaint de la difficulté et de la longueur du trajet pour arriver jusqu’ici. Je lui demande pourquoi il ne va pas à la frontière de Tamu plus au nord, qui n’est qu’a deux heures de route de l’aéroport de Kalay. – Parce qu’à Tamu la frontière est mieux gardée, me répond-il, impossible de faire du commerce là-bas sans devoir payer les gardes. C’est sûr qu’à Rhi, le douanier avec qui j’ai bu une bière pendant que les pendulaires sautaient par dessus sa frontière ne m’a pas semblé être très méchant.

Mizoram – une région divisée sous les Britanniques
La frontière que je contemple et qui m’empêche d’aller plus loin (je n’ai pas les papiers pour entrer en Inde) n’est pas une délimitation très ancienne. La région toute entière est peuplée par ceux qui se font appeler Mizo, ou Zomi (littéralement mi=peuple; zo=montagne donc peuple des montagnes). Lorsque les Britanniques ont été contraints de séparer la Birmanie des Indes, ils ont utilisé ce cours d’eau comme nouvelle frontière. Ils auraient aussi bien pu officialiser le Mizoram (ou Zomia) en un état tampon entre les deux puissances historiques. Ils ont choisi de démarquer géographiquement les eaux qui se déversent vers le Golf du Bengale et celles qui s’en vont couler vers l’Irrawaddy, fleuve birman par essence. C’est ainsi que les peuples du Mizoram se sont retrouvés divisés entre deux nationalités: indiens à l’ouest, birmans à l’est.
A l’indépendance post-coloniale, les Mizo du côté indien ont crée l’Etat du Mizoram, alors que les Mizo du côté birman se sont alliés aux clans des autres montagnards voisins pour former ce qui deviendra l’Etat Chin.



Unification des clans des montagnards sous une même bannière.
Lors de l’indépendance de la Birmanie en 1947, le Général Aug San a réuni les différents groupes qui constituaient la Birmanie post-coloniale à la Conférence de Panglong. Les Shan, les Kachin et les peuples Chin y ont participé. L’accord signé le 12 février 1947 a permis la création de l’Union Birmane l’année suivante. Il y a été prévu que les principautés Shan se réunissaient en un Etat, et que les groupes Kachin en un autre Etat. Les différents peuples des montagnes Chin se réunissaient pour la première fois en une entité géographique.

Journée nationale Chin
Le territoire Chin regroupe notamment les peuples LaiMi, ZoMi, KhuMi, MiZo, Asho,… Il a été décidé que le 20 février serait le jour de fête nationale Chin, ceci dans le but de réunir ces différents clans de montagnards autour de la bannière du nouvel Etat Chin. Cette date commémore la première Conférence des Peuples Chin du 20 février 1948.
La première Journée nationale Chin a eu lieu le 20 février 1951 à Mindat (sud), le Premier ministre U Nu de l’Union de Birmanie y a participé. Par cette réunion des peuples des montagnes, les Chin tiennent à montrer qu’ils se distinguent des autres peuples qui forment l’Union de Birmanie (devenu Union du Myanmar).
Pour les puristes : en 1948 les Chin ne se contentent que d’une Division Spéciale sous l’autorité birmane, Falam en est le Chef-lieu. Ce n’est qu’en 1974 qu’ils ont obtiennent un Etat autonome dans le cadre de l’Union de Birmanie, Hakka devient alors la Capitale de l’Etat Chin.




Mon film de 4 minutes sur la fête nationale Chin.
J’ai réuni dans ce petit film les images des spectacles populaires auxquels j’ai eu la chance d’assister à Falam et à Rhikhawdar en février 2019. Les danses, issues des divers clans, sont toutes différentes, certaines sont modernes alors que d’autres ont une histoire ancienne. Toutes ont la fonction de réunir le clan dans une transe.
Certains mouvements rappellent le travail aux champs, alors que d’autres sont des allusions aux animaux que l’on chasse, comme le tigre ou les oiseaux.





J’ai rédigé un post spécial sur la danse du bamboo : Bamboo Dance
Mon voyage se poursuivra en retournant à Teddim puis je quitterai les montagnes du Pays Chin, redescendant dans la Plaine à Kalay où je vais retrouver des températures plus agréables, …
toutes les photos et vidéos ©Frédéric Alix, février 2019 à Falam, Teddim, et Rihkhawdar, (Myanmar, Chin State).
Un bien beau reportage Fred. De tres jolies photos aussi. Bravo et merci du partage.