A mi-chemin entre nulle part et le bout du monde. (Laos.6)

Journal de Voyage au Laos, Samedi 11 février 2006

Un arrêt à Boun Tai

J’ai quelques fois des idées étranges. Ce matin, en arrivant à l’arrêt des bus, j’aurais pu acheter un billet pour me rendre directement à Phongsali, ville haute-perchée dans les montagnes, dans la province presque enclavée entre la Chine et le Vietnam. Mais non, je choisi de m’arrêter à mi-chemin dans la petite ville de Boun Tai. C’est là que je suis aujourd’hui. A vrai dire, je suis un champion pour trouver des villes si calme que je pourrais m’y enterrer vivant sans que personne ne remarque rien.

Une dame est surprise de me voir sortir du bus, elle me crie « Boun Tai ! », et pointant son bras au loin dit « Phongsali », puis me fait signe de me rasseoir. Je la remercie de son attention et descends malgré tout.

Au moment où je descends les marches du bus, j’ai le pressentiment que je vais regretter mon arrêt ici.

Bounthai est à mi-chemin entre Oudom Xai et Phongsali. Si Phongsali est le bout du monde perdu dans les montagnes à l’extrême nord-est du Laos, Boun Tai est à mi-chemin entre nulle part et le bout du monde.

Je trouve une chambre toute simple dans une belle maison en bois au bord de la rivière. Je crois que je suis le seul étranger à n’avoir jamais dormi ici, et c’est finalement bien comme ça.

Je ne me sens pas en forme. Je traîne. Mais je vais vous dire la vérité… hier soir j’ai bu la moitié de la petite bouteille de Lao-Lao que j’ai achetée à Luang Prabang. Je crois que l’alcoolisme avec les distillations locales ne me convient pas.

Je commence par faire une sieste avant d’aller manger un morceau et faire le tour de la « ville ». Ce matin en bus, j’aurais bien mangé quelque chose. Nous avons fait un arrêt repas en bordure de montagne à quelques kilomètres d’un petit village. Il y avait une vue splendide depuis ce haut point de vue, mais aucune échoppe. Comme tout le monde avait son pique-nique, j’ai attendu que les autres passagers mangent et que l’on reparte.

Boun Thay, février 2006

Je commence par traverser Boun Tai. C’est pas grand, ça ne me prend pas longtemps. Une grand-mère me regarde avec une certaine crainte.

La rivière

Une chose m’intrigue: de toutes les maisons du bourg, part un fil électrique en direction de la rivière. Ces fils sont accrochés au dessus du sol sur de petits bâtons en bambou ou en bois.

Je vois plusieurs personnes marcher en direction de la rivière avec le fameux mini-panier à commissions à la main: celui qui contient le savon, la brosse à dents et les autres articles de toilette. Je les suis (même si je n’ai pas pris mon savon avec moi).

Boun Thay, février 2006
les fils qui relient les maisons à la rivière

La rivière s’écoule sur son lit de gravier. Je repère quelques petits barrages d’environ trente centimètres de hauteur. Tout au long de ces barrages, sont disposées de petites génératrices. Chacune de ces génératrices est reliée à une maison dans la localité. Ainsi, toutes les maisons ont ici leur « usine électrique » individuelle. (Un comble dans un pays communiste.)

BounTai, 11/02/2006
barrage
Boun Thay, février 2006
Boun Thay, février 2006
génératrice d’où part un fil qui va alimenter une maison

Dans la rivière, il y a le coin bains de femmes et le coin bains des hommes. Je n’ose pas faire de photos et j’évite d’approcher le groupe de femmes se baignant presque nues dans la rivière. Les hommes doivent penser que je n’ai aucune hygiène pour ne pas aller me laver avec eux.

Trois hommes cassent des cailloux entre deux bras de la rivière. Pas très loin de là, une maison est en construction. Le premier niveau est construit en pierres taillées. Les étages sont en bois. Je prends quelques photos, ils sont très amusés bien qu’un peu gênés de se retrouver ainsi des modèles devant mon appareil. Je m’assieds avec eux et leur montre les photos que j’ai prises. Nous rigolons un moment en nous parlant avec des gestes.

Boun Thay, février 2006

Séance photo pour tout le monde

Je remonte au village et traverse un autre quartier composé de quelques maisons en bambous tressés. Traversant un petit temple construit en toute simplicité, un groupe de jeunes moines vient à ma rencontre. Un des moinillons a une cigarette entre les doigts. Comme il sait ce qu’il fait (et qu’il est conscient qu’il ne devrait pas le faire), il dissimule sa cigarette quand il voit mon appareil photo dirigé sur lui.

BounTai, 11/02/2006
BounTai, 11/02/2006

Un garçon m’emmène par le bras au centre du village. Là se trouve le pilier aux esprits, gardien de toutes les maisons. Il me fait signe qu’il veut être pris en photo à cet endroit.

Boun Thay, février 2006
Photo prise sur la demande du garçon devant le pilier du village.

Il s’en suit que tout le village défile devant moi, tous veulent se faire tirer le portrait. Les plus savants demandent à voir le résultat sur l’écran digital. Les adultes n’osent pas venir seuls, ils ont besoin d’un prétexte: un bébé dans les bras fait l’affaire. Je repère que le même bébé sert à plusieurs personnes pour oser venir se présenter devant ma camera.

La séance photo dure un moment et crée une sympathique animation. Je ne pourrai garder tous les clichés, certains sont ratés, mais tout le monde peut se voir sur le petit écran et tous sont heureux qu’un touriste s’intéresse à leur communauté.

Boun Thay, février 2006
Boun Thay, février 2006
Dans une cuisine, sous une maison.
Ce que l’on ne voit pas sur cette photo, c’est que la moitié du village est en train de me suivre et demande à voir mes photos à mesure que je les prends.
Boun Thay, février 2006
Un cadavre de lynx devant la maison d’un chasseur
BounTai, 11/02/2006

Dimanche 12 février 2006

La très longue deuxième partie du voyage vers le toit du Laos

Comme au Laos on se couche avec les poules, on est debout très tôt!

Je vais au marché au chant du coq. Quatre stands garnis de quelques légumes ainsi qu’un boucher composent le modeste marché de Boun Tai. J’y mange ma soupe du matin.

De retour sur la terrasse du guesthouse qui domine la rivière, je bois un café.

Hier, le bus m’a laissé dans ce bled autour de 13h, il va donc passer aujourd’hui dans les mêmes heures. Que faire d’ici-là ? Une fois mon café bu, la rivière tellement observée que je sais exactement combien il y a de cailloux dans son lit, je décide d’aller me promener dans les montagnes. Je remonte une piste qui doit mener à des villages plus reculés.

Boun Thay, février 2006

Je croise une famille qui marche dans le sens inverse. Le père de famille, un homme déjà âgé, me jette un regard froid. Les enfants (ou les petits-enfants) ont des regards interrogateurs. La femme, quant à elle, me dit tout simplement « Bonjour » en français! C’est la petite touche de surréalisme qui ponctue régulièrement le voyage.

Attendre le bus

Je rejoins l’endroit où le bus m’a laissé la veille. J’achète une boisson au bazar. Le soleil tape de plus en plus fort. Je demande la permission d’emprunter une chaise en plastique, m’assois sous une toile de tente et attends. Le temps passe. Vers midi, le bus d’hier (que je reconnais à son chauffeur) passe dans le sens inverse, il rentre à Oudomxai.

Boun Thay, février 2006
Le bus que j’ai pris hier pour arriver ici roule aujourd’hui dans le sens inverse.

J’entends de la musique venant de derrière les baraques du bazar. Je vais me promener dans cette direction. C’est une fête lao. C’est amusant de voir des Laos danser. De loin on a l’impression qu’ils sont simplement debout, un peu gêné, les uns proches des autres. Et plus on observe, plus on se rend compte qu’ils bougent avec des gestes lents. Un peu plus tard, les vapeurs de Lao-lao se font sentir jusque vers l’endroit où j’attends ce bus qui ne vient pas. A ce moment-là, j’entends des cris de joie qui viennent de la fête lao, mais les danses se font maintenant assises!

Il est 15h passée, le bus n’était toujours pas arrivé. Ca fait quatre heures que j’attends. Je pars à la recherche de toilettes (n’en trouvant pas, je choisi un buisson). Je découvre qu’il y a un véritable arrêt des bus, avec guichet et tout et tout, mais pas l’ombre d’un bus. Il y a même des toilettes, mais c’est trop tard. J’achète mon billet pour Phongsali. Une quinzaine de personnes attendent le bus dans un calme très lao.

Boun Thay, février 2006
le bazar près de l’arrêt de bus

Le convoi pour Phongsali

Il est 16h quand arrive un convoi. C’est un gros bus, tellement chargé qu’il touche presque par terre. Au moment de prendre le virage pour rejoindre l’arrêt des bus, je crains qu’il ne bascule sur le flanc. Une fois arrêté, une vingtaine de personnes en sortent alors que ceux qui attendent tentent d’y entrer tous en même temps.

Un monsieur tient un cahier dans ses mains. Il est visiblement nerveux, il annonce quelque chose d’une voix forte. Les personnes qui viennent de sortir remontent docilement. Je crois comprendre qu’il n’y a que quatre places de libre. Si l’on avait suivi les consignes de sécurité des pays occidentaux, on aurait fait descendre la moitié des passagers déjà en place. Des discussions et tractations ont lieu.

Comme je ne comprends rien et que je ne cherche pas à comprendre, je confie calmement mon sac à un des garçons qui s’occupe des bagages sur le toit. Je sais que dans ces cas là, il ne faut ni se précipiter, ni se faire remarquer. Certains passagers se font rembourser. Je m’arrange pour entrer en dernier, avant les deux garçons des bagages. Dans le bus, sur les banquettes prévues pour asseoir deux personnes, ils sont quatre assis et la moitié des passagers ont en plus quelqu’un assis sur leur genoux! Dans le couloir central, les gens sont assis sur des sacs de riz. Je trouve une place debout, compressé entre la vitre avant et la porte latérale. Au moins, je serai le premier dehors et je joui de la meilleure vue sur le trajet.

Nous partons. C’est le silence complet. Nous n’allons pas plus vite qu’un marcheur. Comme la route est caillouteuse, nous sautillons régulièrement. Le bus a encore des suspensions. Le mouvement de ressort augmente, et bientôt les sauts sont tellement forts que tout le monde retient son souffle. Il n’y a plus un seul son dans le bus. Pas même celui d’une respiration. Allons-nous toucher le sol ? Verser sur le côté ? Alors que je regarde les passagers tétanisés, je ne peux pas retenir mon rire. Une seule personne comprend le comique de la situation et se met à rire avec moi. L’homme avec le carnet, celui qui donne des ordres à tout le monde, pose une question distinctement. Deux personnes y répondent. Elles reçoivent quelques billets et sortent du bus.

Alors que nous traversons des hameaux, plusieurs villageois attendent avec un sac. Personne ne peut entrer, nous sommes définitivement complets. Il faut attendre que quelques personnes sortent dans un bourg près de l’intersection d’une route qui mène en Chine pour que nous prenions de nouveaux passagers.

L’heure tourne, il va faire nuit. Je n’aime pas arriver dans une ville inconnue quand il fait noir.

Comme je suis aux premières loges, debout devant le pare-brise, je peux observer la route, nous sommes maintenant sur la crête d’une montagne. Je peux voir des paysages de hautes montages à perte de vue se plonger lentement dans la nuit. Je pose régulièrement un regard sur le compteur du bus et je calcule qu’il nous reste environ vingt kilomètres avant d’arriver. Très loin, sur une montagne lointaine, je vois vu un foyer lumineux. Cela me semble si loin que je n’arrive pas à croire que nous allons aller jusque là-bas.

Il est passé 20h quand le bus nous dépose à Phongsali. Occis, je monte dans le songtaew qui nous emmène au centre ville, en suivant la foule silencieuse dans le froid du soir. Je descends quand je pense que je suis arrivé, je paie le même prix que la personne qui descend aussi, et je marche jusque vers le premier hôtel qui figure sur mon plan.

Je vois une haute bâtisse (la seule construction de plus de deux étages dans tout le district) sur laquelle est inscrit «HOTEL». J’entre. Une femme aux traits chinois est en train de cuire des piments dans un énorme wok posé sur un feu de charbon. Elle fait une grimace en me voyant et continue son affaire. Je pose une question dans mon lao de voyage. Personne ne comprend quoi que ce soit. Ici on ne parle que le chinois. Une fille me montre une chambre sale pour un prix élevé. Comme je suis épuisé, j’accepte, pose mon sac et descends manger un riz frit aux piments fraichement rôtis.


Dans le prochain (et dernier) épisode je vous raconterai Phong Sali.

Je reviendrai à Boun Tai en décembre 2016. La localité aura un peu grandi.

Boun Thay, février 2006
Boun Tai, pêche en rivière

Le texte et toutes les photos ©Fred Alix, février 2006 à Boun Tai, Laos

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1 réflexion sur « A mi-chemin entre nulle part et le bout du monde. (Laos.6) »

  1. oh Fred..tu en vois ( ou devrais-je plutot ecrire) tu en as vu des choses et comme tu as bien note tout ca pcq tu nous donnes bcp de details. Je serais etonnee que tu te rappelles de tout puisque ca fait plus de 13 ans. Bref.. un voyage en bus qui est special. Ca me rappelle un peu quand on a pris un bus au Mexique pour aller visiter un village… il faut faire confiance au chauffeur. J’ai bien hate de lire la suite.

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