Journal de voyage au Laos, dernier épisode avant la Chine.

Lundi 13 février 2006 – Phongsali, un bout du monde
Je suis réveillé tôt. Il fait un froid humide dans ma petite chambre. Je sors pour constater que Phongsali, perchée sur une crête de montagne, est toute entière plongée dans la brume du matin.
Phongsali est à 1400 mètres d’altitude, c’est la ville la plus haute du Laos.
Dans la rue, des gens chargent des dizaines de cartons ficelés sur deux camionnettes. Je me dirige vers le marché avec la farouche envie de boire un café et de manger une soupe de nouilles.
J’emprunte la rue principale bordée de petites maisons de style chinois. Toutes les inscriptions sont en pictogrammes et idéogrammes, la langue lao ne se parle pas dans ce poste avancé.
Nous sommes en Chine au Laos.
Cette région de montagnes a été intégrée à l’Indochine lors du traité sino-français de 1895. Les habitants n’ont jamais accepté d’avoir été arraché au Yunnan. Le départ des français et l’arrivée au pouvoir des communistes nationalistes du Phatet Lao n’a pas résolu le conflit. La province reculée (presque enclavée dans le Yunnan chinois) a résisté de toutes ses forces à son intégration culturelle dans le Laos.

Je suis déçu, ce qui devait être la place du marché est devenu un terrain de basket-ball. Comme partout au Laos, on a déménagé les marchés à l’extérieur des centres urbains. (le terme « urbain » est tout relatif au Laos). Cette politique a été mise en place depuis les dernières affaires de maladie des poules et autres vaches folles.
Je remonte un chemin caillouteux. Je longe des maisons en pierres avec de belles portes en bois. Les Sino-laos s’affairent dans cette nouvelle journée. Mais à quoi s’affairent-ils ? La communication m’est impossible ici, d’ailleurs on me considère avec une certaine méfiance. Je veux faire quelques photos mais je sens que ça dérange. Je ne photographie que si on répond à mon sourire.
J’entre dans un petit restaurant devant lequel des lanternes rouges sont accrochées. Il y a plusieurs tables, des gens mangent des soupes. Je m’assieds et attends que quelqu’un vienne me demander ce que je veux. Un jeune homme s’active quelque part, je n’arrive pas à capter son attention. Il a dû me voir, mais il n’a pas envie de venir vers moi. Je me lève et je ressors. Pas de soupe pour ce matin. Je me sens de plus en plus dans un lieu inhospitalier.
C’est dans la cantine de l’hôtel que je vais pouvoir grignoter quelque chose.









Plus tard dans la matinée. Je monte sur la colline qui domine la ville. De là-haut, on peut voir l’agglutinement des maisons construites où la crête est un peu plus large. La brume se dissipe lentement. On ne voit que des hautes montagnes à perte de vue, pas une seule ville à l’horizon, ni même de village, nous sommes seuls au monde.
Je croise un groupe de jeunes écoliers. Ils ont avec eux des bouteilles de Beerlao. Ils doivent avoir entre 8 et 10 ans, ils boivent au culot de la bouteille.

En retournant en ville, une foule s’est rassemblée sur le terrain de basket-ball. Je me souviens qu’aujourd’hui est la date d’une importante fête chinoise : c’est la fête des lanternes qui marque la fin de la période du nouvel an. Il y a un match entre deux équipes. Un petit restaurant est ouvert. Je tente de commander dans mon thaï-lao hésitant mais la fille ne parle que le chinois. Par chance, elle a un menu bilingue chinois-anglais. Je reste un grand moment à observer cette petite fête.



À quelques kilomètres de la ville, se trouve un village au bord de la rivière Nam-Ou. De cet endroit, on devrait pouvoir rejoindre Oudom Xai en bateau. J’aimerais savoir si un bateau partira demain, et à quelle heure? Mais vers qui me renseigner ? Je tente de marcher jusqu’à ce village, il fait très chaud, la route est plus longue que je ne l’avais imaginé, j’abandonne.
J’aimerais beaucoup retourner à Oudom Xai en descendant la rivière Ou, mais il ne me reste que deux jours avant la fin de mon visa. Sachant que les bateaux peuvent mettre plusieurs jours pour faire le trajet, je ne vais pas m’embarquer.

Le soir, je mange une nouvelle fois au restaurant de l’hôtel. Je n’ai pas trouvé d’autre endroit où manger. Phongsali est vraiment étrange. Mais pouvais-je imaginer une ville normale alors que je suis perché sur la crête d’une montagne, loin, très loin du reste du monde, un morceau de Chine coupé de la Chine dans la province la plus éloignée au nord-est du Laos?
Je me rappelle de la petite ville chinoise de Mong La en Birmanie. Là-bas aussi il y avait une étrange atmosphère et les gens comme ici étaient plutôt méfiants et froids. Est-ce que ces villes trop proches de la Chine seraient des avant-goûts de ce qui m’attend dans la Grande Chine ? Vais-je vraiment me plaire dans cette culture inconnue ? C’est étrange que je sois fasciné par la Chine, je ne sais rien de la vie de là-bas. Je trouve que la vie est paisible au Laos et en Thaïlande. Pourquoi est-ce que je tiens autant à voir ce pays qui semble froid et compliqué ? Pour moi, la Chine représente un empire inconnu. Un dépaysement complet. Qu’importe que j’aime ou que je n’aime pas, l’important sera de ressentir une culture que je pense être aux antipodes de la mienne.

Une jeune fille Lao vient à ma table me faire la conversation. Elle parle anglais. C’est la première personne qui parle une autre langue que le chinois depuis que je suis arrivé. Mais je ne suis plus à une bizarrerie près. Elle connaît bien les étrangers. Elle me dit qu’elle a travaillé à Pattaya en Thaïlande. Comme j’ai des idée préconçues je crois deviner quel travail elle y faisait. Elle me drague très ouvertement. Ses manières sont franchement vulgaires. Je me défais poliment de cette conversation. La fille est vexée. Elle se lève et disparait.
Au moment de monter les étages pour rejoindre ma chambre, j’entends la voix alcoolisée d’un jeune homme qui m’appelle. Je me retourne. Je le vois qui titube en direction de l’escalier puis tente de le gravir à quatre pattes. «I want xxx with you», me dit-il. Embarrassé et surpris, je ne sais pas quoi lui répondre, mais l’escalier étant raide, je sais qu’il n’arrivera jamais à me suivre dans l’état dans lequel il se trouve.
Pendant la nuit, je suis pris de démangeaisons terribles. J’allume la lumière et vois des plaques rouges sur mes bras et partout ailleurs. Les plaques apparaissent puis disparaissent, je me gratte. Comme je vois que le matelas sur lequel je suis couché est vraiment sale, (peut-être même « grouillant »), je sors mon sac de couchage, m’y enferme des pieds à la tête, et trouve enfin le sommeil.

Mardi 14 février 2006
Troisième et dernier retour à Oudomxai, fin de mon voyage.
Je suis pressé de quitter cet hôtel. Je rends ma clé et je marche jusqu’à l’endroit où se rassemblent les camionnettes. Deux Laos, baluchons sur l’épaule, me demandent si je vais aussi prendre le bus pour Oudomxai. Ils parlent lao! On ne trouve pas de songtaew qui parte dans la direction de la gare routière. Comme l’heure tourne et qu’on sait que le bus partira dès qu’il sera plein, on se dirige à pieds sur les trois kilomètres qui longent la crête de la montagne pour le départ du bus.
Je paie avec un billet de cinquante mille kips. Je l’ai reçu hier à la banque où je suis allé faire du change. C’est un nouveau billet, avant ça, le plus grand billet était celui de vingt mille. La femme encaisse en le regardant sous tous les angles. Je pense qu’elle n’en avait jamais vu.
Peu de monde dans le bus. Je prends un siège au premier rang avec une belle vue sur la route et un coup d’œil sur le chauffeur. Nous partons à l’heure précise.
Nous roulons très vite. On dépasse tous les véhicules sur l’étroite route à flanc de montagne. Si on dérapait, on tomberait de haut. Les deux aides qui s’occupent des bagages et de faire monter les passagers en route sont d’excellente humeur. Par moment, c’est la franche rigolade entre eux trois et je me demande si le chauffeur est encore concentré sur sa route.

Nous faisons une pause. Mais le moment que je comprenne que c’était la pause-pipi, nous repartons déjà. J’ai pourtant un besoin de plus en plus urgent. On s’arrête pour laisser monter un passager, je sors à toute vitesse et vais uriner contre un talus (comme tout le monde fait habituellement). Quand je remonte dans le bus, je suis accueilli par des éclats de rire.
Nous réussissons l’exploit de rallier Oudomxai en sept heures (contre deux fois cinq heures à l’aller).
Je me choisis un guesthouse près de la gare des bus. A trois reprises je suis passé par cette petite ville, à chaque fois j’ai logé dans un autre endroit. Il a fallu la dernière visite pour que je choisisse la simplicité du premier établissement juste en face de la gare routière. Ce sont mes derniers moments au Laos. Demain je passerai la porte qui mènera à la Chine. Une certaine crainte m’envahi.
Vous voulez connaitre la suite ? Mon arrivée en Chine va vous amuser. Le texte a déjà été publié, il est ici : Premiers pas en Chine (1)
le texte et toutes les photos ©Frédéric Alix, février 2006 à PhongSali, Laos
toujours intéressant à lire, avec en plus de l humour!
Tres sympa ce voyage plein de surprises, bonnes et moins bonnes(hi, hi) 😜
Quelle aventure Fred. Tu nous amenes avec toi et nous pouvons sentir tes craintes et tes deceptions. Malgre tout, tu poursuis ce voyage qui ne doit pas etre facile surtout avec la barriere de la langue . Oui la Chine je voudrai bien voir avec ton texte et tes photos. D’ailleurs j’admire tes photos de voyage. C’est fantastique d’en faire autant quand tu voyages comme ca ! Bravo. Et merci pour le partage de ce recit tres bien ecrit.