Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ?
(Alphonse de Lamartine)
Les statues sont-elles des incarnations de divinités ou de simples représentations ? Cette question divise les religions depuis longtemps, je ne vais pas y répondre, ni même essayer. Mais je dois noter que, quelle que soit mon opinion sur la question, je me dois de respecter les règles culturelles imposées lorsque je visite un lieu. Le plus souvent il est demandé d’être déchaussé pour s’approcher d’une image sacrée, de ne pas la pointer du doigt (encore moins du pied), et la règle veut que l’on garde la tête plus basse que la statue, aussi il mal venu de photographier en contre plongée.


Au temple Prathat Chinnarat à Phitsannulok, une douzaine de surveillants forment une milice qui surveille à ce que les visiteurs (pour la grande majorité des Thaïlandais, friands de selfies) se comportent avec respect devant la statue.

Quand je ne vais pas photographier les marchés, on peut me voir déambuler dans les temples, observant les statues. Il faut dire que ce sont des modèles faciles pour le photographe amateur que je suis: elles ne bougent pas.
Ceci est une exposition de différentes statues du Lanna
Pour ce post, j’avais envie de partager des photos de statues. Je ne vais pas énumérer toutes les représentations, ni tous les matériaux. De plus, je vais me limiter au Lanna historique (la région de Chiang Mai).
Bonne visite!

Hôtels particuliers
On trouve des statues religieuses dans les temples, mais aussi chez les particuliers. Il y a quelques années, j’étais invité dans une famille hindoue, mon réflexe avait été de venir avec un bouquet de fleur. Mon intention a été bien accueillie et mon bouquet a immédiatement été placé à côté des statues de Krishna dans l’hotel privé au salon. D’ailleurs les vendeurs de fleurs des marchés ne vendent que des fleurs qui serviront d’offrande pour les statues.

Acheter une statue et la ramener chez soi ou dans son village est un acte qui permet d’acquérir des mérites. Ici, un groupe de femmes Pa-o venue acheter une image dans un lieu sacré pour leur ethnie. Leur village est à environ 300 kilomètres plus au nord.
La statue des Trois Rois à Chiang Mai

J’aime spécialement cette statue en bronze des Trois Rois qui a été installée au centre de Chiang Mai pour commémorer la fondation de la ville 700 ans plus tôt. Elle représente Mengrai (au centre), premier roi du Lanna, avec à sa gauche Ramkamhaeng, roi de Sukothai, et à sa droite Ngam Meuang roi de Phayao.
Cette scène rappelle le moment où Mengrai avait invité les rois voisins à venir signer un traité de paix garantissant une alliance locale contre les Birmans à l’ouest et les Khmer au sud-est. Le roi de Sukothai et le roi de Phayao sont en quelque sorte les parrains de Chiang Mai, fondée en 1296.

Cette statue a été sculptée en 1983 par la première femme sculpteur de Thaïlande Kaimook Chuto. Dans une culture où la femme n’a qu’un droit limité à approcher le sacré, le choix de cette artiste peut être considéré comme un événement.
Kaimook Chuto, (décédée en 1995) était sculptrice royale pour la Reine Sirikit.

Installée au centre de l’ancienne citadelle de Chiang Mai, la statue des Trois Rois est considéré comme le nouveau symbole de la région. C’est devant elle que les gouverneurs prêtent serment. Aux pieds de la statue, on vient se prosterner et y déposer des offrandes.

La Reine Chamathewi à Lamphun
La Reine Chamathewi a crée la ville de Hariphunchaï (aujourd’hui Lamphun) et régné sur le royaume du même nom, bien antérieur au Lanna. Hariphunchaï, a servi de modèle à Mengraï lors de la fondation du Lanna.
La Reine tient dans sa main droite une épée, rappelant qu’elle a commandé une armée pour venir conquérir la région. La statue a a été inaugurée en 1982 (juste avant la statue des Trois Rois de ChiangMai). Je n’arrive pas à trouver le nom de l’artiste qui en est l’auteur.

Fonderie du Sergent Major Tawi
Le Sergent Major Tawi, ancien militaire, a crée une fonderie de statues de Bouddha à Phitsannulok en 1968. Il est aussi l’initiateur d’un musée présentant les objets de la vie populaire. Il est connu – et reconnu – dans tout le pays.
(Phitsannulok n’est pas exactement au Lanna, mais je ne connaissais pas de meilleure fonderie)


La plupart des statues en métal du Lanna sont dans un mélange de bronze. La technique de coulée utilise la méthode de la « cire perdue », dans laquelle la chaleur fait fondre le moule en cire.



Le Phra Saensawae, statue géante
La tête du Phra Saenswae a été trouvée dans une partie abandonnée du temple Yangkuang à Chiangmai. Elle mesure 1,82 mètres de hauteur. On imagine qu’il s’agissait d’une statue en position assise et qu’elle devait mesurer 6 mètres de hauteur. Elle est aujourd’hui exposée au Musée National de Chiangmai.



Le Phra Singha
Il s’agit d’une représentation du Bouddha. Selon les chroniques, la statue originale appelée Phra Singha aurait été envoyée du Sri Lanka au roi de Sukothai au 13ème siècle. Le bateau aurait coulé, mais l’image sacrée aurait flotté, puis dérivé jusqu’à à la ville côtière de Nakorn Sri Tammarat (dans le sud de l’actuelle Thaïlande). Selon l’histoire locale, le Phra Singha serait arrivé à Chiang Mai en 1367 et aurait donné son nom au temple où il a été installée.

Mais voilà qu’aujourd’hui, le musée national de Bangkok prétend que c’est lui qui détient l’original. A Nakorn Sri Tammarat on peut y voir une statue qui elle aussi est présentée comme étant la seule et unique. Et au Sri Lanka on affirme que la seule et vraie statue n’a jamais quitté l’île.
Il existe une histoire plus rationnelle à cette affaire mais je trouve cette confusion plus amusante.

Lors de la fête de Songkran, qui correspond au Nouvel An bouddhiste (avril), les statues sacrées de tous les temples sont baladées dans la ville dans un long cortège. Les dévots peuvent les asperger d’eau lustrale dans une cérémonie de nettoyage général. Le Phra Singha, une des images de Bouddha les plus sacrée de la ville est souvent en tête du cortège.



« Les principales caractéristiques style Lanna sont la plénitude du corps, le visage souriant (pas de dents montrées), le halo rond, comme un bourgeon, le style de cheveux en spirale, (ne montrant aucune ligne de cheveux), les sourcils arqués, petit nez aquilin, robes cousues, torse en forme de lion et assise dans la posture du lotus. »
(définition lue au Folk Museum, Chiang Mai)
Phra Upakut
Ce moine est représenté principalement en Birmanie (où il s’appelle Shin U-Pagutta) et dans le Lanna (Phra Upakut). En dehors de ces régions, il n’est que peu connu. A Chiangmai, un temple qui lui est dévolu, le Wat Upakut près du pont Nawarat.

Phra Upakut est considéré comme un moine protecteur. Il est souvent représenté la tête tournée sur la droite, avec un bol dans les mains et peut porter un chapeau de lotus sur la tête.
Selon la légende, il aurait traversé l’océan d’où il ne serait jamais revenu. Beaucoup pensent qu’il est toujours en vie et attendent son retour. C’est pourquoi dans les temples son image est très souvent installée au milieu d’un étang.


Style Lanna-birman
Voici une position couchée du Bouddha dans un style Lanna-birman construite dans la province de Phrae. Le Lanna a été sous domination birmane pendant 200 ans, cette partie de l’histoire est comme un trou noir dans les manuels. Peu de gens aiment parler de cette période qui est décrite comme une humiliation. Pourtant les apports culturels birmans au Lanna sont indéniables comme le montre cette magnifique statue géante dont la construction est récente.

Statues de fleurs
Quittons un moment le domaine du sacré. Le statues peuvent prendre toutes les formes. Ici au festival des fleurs de Chiangmai.


Animisme
La Lanna a été crée par le Roi Mengrai comme un Royaume bouddhiste dans une région fortement animiste. La croyance populaire veut que les montagnes (Doi) sont habitées par des gardiens spirituels protecteurs (Arak). Au pied du Doi Luang Chiang Dao, source de la rivière MaeNam Ping, réside l’esprit Chao Luang Khan Daeng. Doi Suthep qui surplombe Chiang Mai est le lieu d’habitation de l’esprit Grand-Père (Pu Sae) et quelques kilomètres plus bas sur la montagne de Doi Kham se trouve l’esprit Grand-Mère (Ya Sae).
Au fil des années, pour imposer le Bouddhisme et tenter de canaliser l’animisme, on a construit d’imposants temples au-dessus des lieux d’habitation supposés des esprits. Toutefois, par précaution, on continue à respecter les statues de ces esprits qui ont pris place dans les temples.

Dans la région de Nan
La région de Nan est longtemps restée la plus isolée du Lanna. Son histoire et ses liens culturels sont liés avec les Tai Lü et les Laos. On retrouve ces influence dans sa statuaire. J’aime particulièrement ces deux statues qui se trouvent au Musée national de Nan qui différent complètement du style Lanna.


Statues de stuc

Le stuc est un enduit à base de chaux. Beaucoup plus facile à mouler que le bronze et beaucoup moins cher. Le stuc est plus difficile à travailler que le plâtre, mais plus resistant à l’eau.
Il sert à mouler des décorations, créer des bas-reliefs ou façonner des statues.
Moins cher, donc considéré comme un matériau moins sacré que le bronze, les sculptures en stuc du Lanna représentent principalement des anges (thewa), des esprits de la nature (nymphes) et des composants architecturaux.
Les images de Bouddha en stuc sont plutôt considérés comme des éléments décoratifs, il est rare de voir des gens s’agenouiller devant une statue en stuc.
Temple blanc, temple en stuc
Le temple de Rong Khun à Chiang Rai, mieux connu sous le nom de « Temple Blanc » est l’oeuvre (toujours en construction) de l’artiste national Chalermchai Kositpipat.

La majorité des statues et décorations sont faites en stuc, c’est la marque de fabrique du temple qui se veut blanc ! pour symboliser la pureté de la religion.

Le Naga


Le Naga est une divinité protectrice. Alors que Bouddha méditait, le Naga est apparu pour le protéger du vent et de la pluie. Le Naga peut n’avoir qu’une tête, trois, cinq, sept ou neuf.


enlacé !
Et voici ma statue favorite:

Et voici une de mes statue favorite : un Bouddha tellement bien protégé par le Naga qu’il est comme enlacé. J’ai voulu savoir d’où venait cette représentation. On m’a affirmé qu’il s’agissait d’une très ancienne représentation, mais je n’ai rien appris de plus. Je peux vous affirmer que je n’ai jamais rien vu de semblable nulle part ailleurs.


J’imagine que cet enlacement doit faire un peu peur. C’est sans doute pour cette raison que cette représentation a été abandonnée. On a pas l’habitude de voir le Bouddha comme prisonnier (même si c’est pour son bien).
La représentation la plus courante est celle où le Naga sert à la fois de piédestal et de parasol (ou parapluie), ce qui donne au Bouddha une posture plus imposante.


Animaux
Similaire au système zodiaque des années chinoises, le Lanna possède aussi son cycle de 12 animaux qui symbolisent les années. L’unique différence avec le système chinois est que l’éléphant a pris la place du cochon. Douze temples au Lanna et dans les environs sont chacun dévolu à un animal. Aller visiter le temple qui correspond à son année de naissance et d’y rendre hommage aux statues de son animal permet d’acquérir des mérites.


Kruba Sriwichai
C’est ici qu’est né ma curiosité. Je montais à Doi Suthep quand j’ai été étonné de voir autant de monde agenouillé devant cette statue. C’était et c’est aujourd’hui encore un va et vient constant. Le flot des dévots ne cesse qu’à une heure avancée de la nuit et reprend aux premières lueurs du jour. J’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de ce moine et ai compris qu’il avait cumulé le travail de moine à celui d’architecte et ingénieur en génie civil. Mais Kruba Sriwichai n’est pas uniquement celui qui a construit la route permettant à tous de monter au temple Prathat Doi Suthep, il est le symbole de la dernière résistance de l’autonomie du Lanna (et son histoire mériterait un post complet).

La statue de Kruba Sriwichai a été entièrement recouverte de feuilles d’or par les dévots. Cette pratique est courante. Coller une feuille d’or sur une statue est un signe de respect qui permet d’acquérir des mérites.
Le service d’entretien veille à ce que les feuilles, quotidiennement collées, ne modifie pas les formes de la statue. J’ai déjà vu des statues terriblement boursouflées par la ferveur des bigots.
La Princesse Dara Rasmi
Dara Rasmi, fille du Prince régnant du Lanna est devenue l’une des concubine du Roi du Siam, Rama V. A la mort du Roi, elle a eu l’autorisation de revenir à Chiangmai et s’est installée dans cette maison à Mae Rim. Dara Rasmi est le symbole de l’union du Lanna avec le Siam, dans la fin de sa vie elle a patronné de nombreuses actions de mise en valeur de la culture Lanna.

Guan Yin
Guan Yin est le déesse de la compassion. Il s’agit d’une représentation culturelle chinoise. Cela ne fait pas longtemps que les statues de Guan Yin décorent le paysage du nord de la Thaïlande. C’est la preuve que l’influence chinoise est en expansion. De plus, les statues sont pour la plupart beaucoup plus hautes que tout ce qui existe jusqu’alors. A Chiang Rai, cette représentation fait 60 mètres de hauteur!

Je suis en train de vous préparer un texte pour vous présenter Guan Yin, la déesse de la compassion. Je ne vais pas divulgacher mon prochain post et ne vous dirai rien de plus aujourd’hui.

Modernité
Les temples récents permettent la construction de statues d’un style nouveau. Ici au Wat Ban Den près de Mae Taeng, nord de Chiangmai.



Musée Ganesh à San Patong
Khun Pandara Theerakanond, un Bangkokien venu s’installer à Chiang Mai il y a quelques décennie a consacré une partie de sa vie à l’étude de Ganesh, le dieu hindou à tête d’éléphant. En 2004 il a acquis un grand terrain a San Patong et y a construit un large musée dédié à Ganesh.


le texte et toutes les photos © Frédéric Alix 2007 à 2019

Superbes photos et reportage Fred. Le temple blanc je me rappelle bien avoir visite avec toi et la fete des fleurs se passait aussi au moment ou on etait a Chinag Mai malgre la confusion du jour de la parade. Bref… je te remercie de ce partage. A+