Les chants de Korat

Dans mes derniers textes, je vous ai beaucoup parlé du Lanna, ancien royaume aujourd’hui partie nord de la Thaïlande moderne. Il est temps de vous emmener dans une autre région que j’aime: le Nord-Est, les Thaïlandais l’appellent Issan.

mon tour d’Issan – Chapitre 1 : Les chants de Korat

9 Février 2005

J’ai enfin quitté Bangkok, ce matin je suis monté dans le train pour une destination inconnue : Nakorn Ratchasima, grande ville que tout le monde appelle Korat. Il était temps que je quitte la capitale géante et que j’élargisse ma connaissance du pays.

Le train est plein, je suis le seul étranger dans tout le train. La climatisation a transformé le wagon en un wagon frigorifique.

En route vers l’inconnu

Qu’est-ce que je connais de l’Issan ? Rien. Sauf que la majorité des gens que j’ai rencontré à Bangkok sont originaire d’Issan. Ils me décrivent leur région natale comme étant agricole et la plus pauvre du pays. Ils ajoutent tous qu’il y fait très chaud, et que la vie dans les champs est difficile. C’est pour ces raisons que sa population part travailler à Bangkok. Les quelques (rares) vrais Bangkokiens que je connais me disent que les gens d’Issan ont la peau noire, qu’ils ont un comportement « campagnards », qu’ils n’ont pas de manières, qu’ils mangent une nourriture très épicée et peu délicate, qu’ils parlent une langue incompréhensible et dans un fou-rire certains m’avouent qu’on les surnomme « les buffles ». Quand aux occidentaux, il y a ceux qui me décrivent l’Issan comme étant « la Vraie Thaïlande », et ceux qui me content des histoires sordides de relations amoureuses qui se sont pour la plupart finie lorsque l’étranger n’avait plus d’argent à offrir. Nullement effrayé, mais plutôt amusé, cette avalanche de clichés citadins sur une région rurale me donne envie d’aller voir par moi-même.

extrait de mon journal, 1er Mars 2004

Savannaket, Laos. Je bois un soda au bord du Mékong. Un jour, j’aimerais dédier un texte au Mékong. J’aimerais réussir à décrire cette masse d’eau qui s’écoule avec une puissance passive dans la campagne aride et poussiéreuse. Le soleil se couche de l’autre côté du fleuve, au-dessus du pays voisin, la Thaïlande. Cette région sur laquelle l’astre de feu semble tomber s’appelle l’Issan: pas de relief, au-delà de la localité de Mukdahan, on ne voit que quelques palmiers à sucre au-dessus des champs bruns. Des champs à perte de vue; monotones Issan toute plate.

Issan toute plate, je me souviens avoir écrit ça dans mon journal intime l’année dernière depuis le Laos voisin. J’observais la région depuis l’autre extrême de la région par-dessus le Mékong au soir tombant. Aujourd’hui, mon train attaque l’Issan depuis Bangkok, depuis l’ouest. Mais ce qui m’étonne est que le train diesel est à la peine, depuis vingt minutes on monte ! J’ouvre ma carte et je lis « les monts Petchabun ». Cette petite chaîne forme une sorte de frontière avec l’Issan sur laquelle il est écrit « plateau de Korat ». L’altitude moyenne de ce plateau est entre 180 mètres (à l’ouest) et 120 mètres (à l’est).

Korat, 19/11/2015
Le train en gare de Nakorn Ratchasima (Korat)

Il est treize heure. Le train arrive en gare de Nakorn Ratchasima, je descends. Choc thermique en sortant du wagon climatisé. J’ai été habitué à la chaleur moite de Bangkok, ici la chaleur semble un peu plus sèche. Le soleil tape fort. Debout devant la gare, mon gros sac de voyage sur le dos, un plan dans les mains, je ressemble à un prototype de touriste qui débarque dans un endroit qui lui est inconnu. Immédiatement, un chauffeur de Tuk-Tuk vient me proposer de m’emmener dans un hôtel qu’il connait. Comme je vois qu’il est situé au centre de la ville, j’accepte.

L’hôtel n’est pas cher et bien situé. Ce bâtiment me fait penser à une prison. Un garçon me fait visiter une cellule, elle est carrelée jusqu’au plafond. Il remet en place une moustiquaire sale. Le lit, unique meuble de la cellule est un matelas fin posé sur une planche en bois. Au-dessus, un grand ventilateur semble chasser la poussière mais apporte un peu de fraicheur. Je dis que je vais réfléchir. Je me retrouve dans la rue et regarde autour de moi, tout est écrit en thaï, même mon hôtel n’a pas une enseigne écrite en caractères romains. Ca ne va pas être facile, et il fait chaud. Je n’ai pas envie de perdre plus de temps, d’ailleurs j’ai déjà épuisé ma patience, je prends la chambre, je ne vais rester qu’une nuit. J’apprendrai plus tard que ma première impression était juste : cet hôtel est réellement l’ancienne prison de la ville!

A deux pas de là se trouve une grande place avec un restant de muraille ancienne percée d’une grande porte qui s’appelle « Pratu Chumpon ». C’est l’entrée de la « vielle » ville entourée de douves qui forment un rectangle.

Nakorn Raja et Sima

Fondée par les Khmers, la ville s’appelait « Angkor Raj » (littéralement: cité dominante, ou capitale). Son nom a lentement dévié en « Ko-rat ». Fondée selon le schéma khmer de l’époque: une citadelle entourée de douves. Au 17ème siècle, alors que l’Empire Khmer est fortement affaibli, le Roi Naraï de Ayuthaya (la future Thaïlande) fait construire une ville-garnison juste à côté de Korat qui prend le nom de Sima. Aujourd’hui, les deux villes ne sont plus qu’une seule qui porte officiellement un nom purement thaïlandais : Nakorn (ville, dérivé du khmer « angkor ») Ratchasima (qui est une compression de Raja et Sima). Le demi million d’habitants de sa métropole en fait une des plus grande ville du pays. (et dire que je m’attendais à me retrouver à la campagne…)

Statue de Thao Suranari

Devant la porte historique de la ville se trouve la statue d’une femme qui est l’objet d’un culte incessant. On l’appelle Ya Mo (grand-mère Mo), elle était l’épouse du gouverneur siamois de la ville au 19ème siècle.

Nakorn Ratchasima, 19/11/2015

En 1826, « Korat-et-Sima » est une fortification militaire siamoise, dernier bastion avant ses états vassaux que sont les différents royaumes laos et khmer. Ce que nous appelons aujourd’hui l’Issan était une région partagée entre ces différents états.

Croyant que le Siam est affaibli, Anuvong le roi lao de Vientiane envahi Korat, prend en otage les habitants et exige la complète indépendance pour son royaume. On dit que Madame Mo a dirigé la résistance. Parmi les diverses légendes, on raconte qu’elle a demandé des couteaux pour pouvoir cuisiner, qu’elle a diverti et enivré les naïfs Laos avec de l’alcool de riz tout en distribuant discrètement les couteaux aux prisonniers qui ont réussi à se retourner contre leurs geôliers saouls. Le Roi du Siam a poursuivi Anuvong, pillé et presque entièrement rasé Vientiane dans une atroce humiliation. Grand-mère Mo a reçu le titre honorifique de Thao Suranari et la distinction de femme très courageuse. Elle est aujourd’hui adorée comme une Jeanne d’Arc du Nord-Est thaïlandais.

Ces attaques auront pour conséquence de grands mouvement de population, et les différents royaumes laos vont demander la protection des Français, ce qui va créer à moyen terme l’Indochine française que nous connaissions.

Les chants de Korat

Les chants de Korat, c’est un véritable art populaire! Il s’agit de dialogues improvisés et chantés en vers entre un homme et une femme a capella. Il ne s’agit pas de textes écrits mais bien d’une joute d’improvisation dont le principal objectif est d’amuser les spectateurs. Toutefois, les chanteurs utilisent souvent des extraits de poèmes connus. La langue utilisée est le dialecte de Korat (qui est beaucoup plus proche de la langue thaïe-centrale que ne le sont les autres dialectes d’Issan). Ces joutes verbales sont soumises à des contraintes de style que je ne vais pas vous énumérer, mais le plus intéressant est qu’il n’y a pas (ou peu) de tabous dans ce qui peut se dire. Ce sont d’ailleurs ces transgressions qui font rire les spectateurs. Ce franc parlé (-chanté) de Korat est aussi une caractéristique des habitants d’Issan.

Korat, août 2005

A la porte Chumpon, sous des Salas (abri en bois), des couples de chanteurs costumés peuvent se lancer dans une joute chantée sur la demande de spectateurs qui vont payer pour la prestation.

Au marché

Ce soir, je vais manger au marché de nuit, il y a beaucoup de bonnes choses à manger, mais je choisi un plat connu. Je croise beaucoup de sourire, et je me sens un peu frustré de ne pas pouvoir dialoguer, dès demain je commence à apprendre quelques mots de thaï !

Sur la grande place de la porte Chumpon, un dragon chinois se promène, cette nuit est la nuit du nouvel an chinois, nous entrons dans l’année du coq. Mais les pétards, la foule et les dragons qui serpentent dans les fumigènes terminent de m’achever, je rentre dans ma cellule et je m’endors.

Korat, 09/02/2005
parade du dragon chinois, le 9 février 2005

Korat est la porte d’entrée de l’Issan, mais aussi la porte de sortie, je vais revenir plusieurs fois au cours de prochaines années. Jamais je ne développerai une passion pour cette ville, d’ailleurs il n’y a pas grand chose ni à y voir ni à y faire, mais toujours je me plairai à y passer quelques heures.

Dans le prochain chapitre, je vais continuer ce voyage dans une plus petite ville qui s’appelle Phimai. A bientôt!

Korat, 9 février 2005

Texte et photos de Frédéric Alix, à Nakorn Ratchasima (Korat) 2005-2020


*note concernant le voisin lao : Le pays que nous appelons aujourd’hui « Laos » est en réalité un puzzle d’anciens petits royaumes qui partagent la même culture appelée « culture lao ». Du temps de l’Indochine, lorsque les géographes français ont cartographié la région, ils ont regroupé les Royaumes laos en une entité. Le ‘s’ du ‘Laos’ est la marque du pluriel. C’est une erreur que de prononcer ce ‘s’, et une faute de language que d’appeler ses habitants ‘Laotiens’. Il serait plus juste de les appeler ‘les Laos’.

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