Mon tour d’Issan – Chapitre 3 – texte tiré et adapté de mes notes de voyage de 2005.
12 février 2005
Ce matin, je quitte la petite ville de Phimai dans la province de Nakorn Ratchasima, direction sud-est : Buriram.
Selon le guide Lonely Planet, le moyen le plus simple pour se loger dans la province de Buriram près du sanctuaire de Phanom Rung est d’aller à Nang Rong. Je fais le voyage avec Michelle, une voyageuse française rencontrée la veille à Phimai. Nous devons changer de bus à Korat. Tout se passe très facilement pour trouver les bons bus et se faire comprendre, j’ai l’impression que ma prononciation du thaï s’améliore, du moins on pourra le vérifier si nous arrivons à la destination voulue.
Nang Rong est un gros bourg construit de part et d’autre de la route qui traverse le sud de l’Issan. Le bus nous dépose au bord de la rue et depuis-là, il faut chercher un hébergement. Le guide de la Petite Planète parle d’une guesthouse sympathique qui s’appelle Honey Inn. En un temps record on le trouve et on s’y installe. Nos chambres sont simples et très propres. Cette maison d’hôtes est tenue par la femme du professeur d’anglais de la localité. Elle nous offre des jus d’orange. Ce soir, elle va préparer un grand repas pour tous ses hôtes, elle demande cent bath par personne. Nous nous inscrivons. Je dois ravaler mon fou rire quand j’entends Michelle parler anglais avec son accent français.
Douché et habillé de propre, je sors me balader dans la petite ville. Je passe devant un grand hôtel, je crois savoir que c’est ici que les tour organisés logent leurs touristes. Je m’arrête pour manger un « pad thaï » au bord de la rue, puis je me dirige vers le marché, je ne sais pas si il est encore ouvert l’après-midi.
Je croise une occidentale bien habillée à la démarche élégante qui s’abrite sous une ombrelle en papier rouge. Nous échangeons des « hello » polis. Je pense qu’elle doit loger au grand hôtel, sans doute a-t-elle échappé à la vigilance de son groupe pour aller visiter le marché à l’heure du thé.
Le marché est encore ouvert, je prends quelques photos et bois un jus d’orange frais.
Le soir à la guesthouse, les hôtes étrangers se retrouvent autour d’une grande table installée dans la cour. La table est garnie de dizaines de plats locaux tous excellents. Peu sont végétariens mais je goûte de tout avec l’appétit qu’on me connait. Alors que nous nous présentons les uns aux autres, une voyageuse française me dit qu’on s’est déjà croisé. Elle doit se tromper parce que je ne me souviens pas d’elle. Elle est allé visiter le sanctuaire de Phanom Rung le jour d’avant, elle a trouvé l’endroit très beau et y a passé la journée entière. Elle s’appelle Christiane. Infirmière intérimaire, elle a énormément voyagé dans sa vie. Très cultivée sans être prétentieuse, elle est un mélange d’élégance et de simplicité. C’est alors que je la reconnais, c’est la femme à l’ombrelle rouge que j’ai croisé cet après-midi!
13 février 2005
Aujourd’hui, la guesthouse m’a loué une petite moto, et avec Michelle comme passagère, nous partons dans la direction du Prasat Phanom Rung. Il s’agit d’un temple khmer construit au 12e siècle du temps de la splendeur du Royaume d’Angkor. Ce temple est construit au sommet d’une colline et j’apprends ainsi que Phanom est dérivé du khmer Phnom qui veut dire colline. Il s’agit ici d’un volcan éteint.
Du temps de l’Empire khmer, les Prasat désignaient les temples royaux. Prasat Phnom Rung (le temple de la grande colline) est construit sur le même plan cruciforme que Prasat Hin Phimai (le temple en pierre de Phimai, voir mon précédent texte). Les dimensions des tours principales sont comparables (Phimai est légèrement plus haut). Mais les comparaisons s’arrêtent là. Si Phimai m’avait ébloui par la blancheur de sa pierre, la tour principale de Phanom Rung est en grès et en latérite rose ce qui lui donne un air plus doux. Phanom Rung a été construit pour le culte des divinités hindouistes (Phimai a été construit pour les cultes bouddhistes du grand véhicule). Bâti au sommet d’une colline, il est une représentation symbolique du Mont Kaliash, résidence mythique des divinités du panthéon hindouiste. On y trouve des images de Shiva dansant, de Vishnou couché, on y adore le taureau Nadi qui est la monture de Vishnou. Je suis fasciné par la finesse des détails des sculptures, qui sont le fruit d’un important travail de restauration relativement récent.

En sortant du sanctuaire principal, je me retrouve au somment d’un gigantesque escalier qui lui-même est précédé d’une allée d’environ 300 mètres de long. Grimpant la colline comme un sauvage sur ma petite moto de location, je suis entré dans le sanctuaire principal par la porte arrière! A ma grande surprise, je constate que je suis en train de visiter le temple dans le sens inverse.
Depuis l’autre extrémité, je comprends que ce temple est construit pour que l’on y accède au terme d’une marche en plusieurs étapes. Il en était de même à Phimai où l’on passe des portiques comme les étapes d’une quête initiatique, mais ici le dénivelé de la colline donne au pèlerinage le sentiment de s’élever à mesure qu’on approche.
C’est la présence de cet ancien volcan, rare colline dans le paysage plat, qui a incité à la construction de ce Prasat. Au cours des siècles, Phanom Rung n’est jamais devenu le centre d’une cité mais est resté un lieu de pèlerinages et de retraites. La vocation agricole de la région a subsisté jusqu’à nos jours.
Autre temple, autre forme
A quelques kilomètres au pied de la colline de Phanom Rung se trouve un autre temple: le Prasat Muang Tam (« temple de la terre d’en-bas »). Lui aussi cruciforme, mais ce temple construit sur un terrain plat a la particularité d’être entouré de quatre bassins en forme de L, chacuns gardés par des Nagas à cinq têtes.
14 février 2005
Quand je visite des beaux endroits chargés d’histoires, je ne m’ennuie jamais. Et au contraire des gens qui disent « quand on en a vu un, on a tout vu »: plus j’en vois, plus je veux aller plus loin pour en voir encore plus,.. au risque d’être déçu.
Deuxième jour à moto dans le sud de la province de Buriram. Michelle me suit les yeux fermés, elle a aussi beaucoup de plaisir à rouler dans cette région. Nous sommes immergés dans des paysages de rizières sèches (on est en février), les buffles broutent et les paysans pêchent dans des étangs.
Et après deux heures sur des petites route serpentant dans les champs, nous sommes arrêtés à un poste douanier à la lisière d’un forêt plus dense. Plus au sud, c’est le Cambodge. Toutefois, l’ambiance est à la bonne humeur: guitare, tambourin et alcool de riz sont au programme et nous sommes accueillis par des rires.
Du point de vue culturel, c’est une déception parce que les trois Prasat que nous sommes venus voir se résument à des petits bâtiments en ruine qui ont perdu tout ce qui pourrait ressembler à de la statuaire. Il faut même faire de gros efforts d’imagination devant certains tas de pierres empilées ou effondrées qui attendent une improbable restauration future.
Ces bâtiments effondrés sont d’anciens hospices (ou dharmasala). Si aujourd’hui nous avons l’impression d’être au bout du monde sur un sentier forestier, nous sommes en réalité sur une historique voie royale khmer (là aussi il faut beaucoup d’imagination) qui reliait la Capitale (Angkor) aux cités de Phimai et Raja-Sima. Ce lieu était une étape pour les voyageurs qui avaient besoin de soins ou simplement d’un gîte. Les maisons d’habitation de l’époque ayant été construites en matériaux organiques (bois et feuillages), elles ont disparu. Les bâtiments en pierre, seuls témoins de la vie passée, sont pour la plupart les anciens lieux sacrés.
Sur l’ancienne route entre Angkor et Phimai, on pense qu’il y avait des gîtes d’étapes de ce genre tous les quinze kilomètres, ce qui correspond à une journée de marche pour les caravanes de l’époque.
(ce que j’affirme dans ce dernier paragraphe, avec la prétention d’un historien que je ne suis pas, est tiré d’une lecture sérieuse de Michael Freeman, A guide to Khmer temples in Thailand & Laos, Rivers Books, 1996)
Au bord du plateau d’Issan
Au niveau topographique, la visite est très intéressante. Alors que je franchi la frontière à pieds (sous l’escorte d’un militaire souriant), je vois au-travers des branches de la forêt que s’amorce une pente raide, c’est ici que le plateau de Korat (ou Plateau d’Issan) prend fin, et en-dessous de la falaise se trouve le plateau du Cambodge. Ces deux plateaux sont comme deux marches d’un escalier géant. Le plateau de Korat se termine par un très léger relief, c’est la chaîne de Dongrak qui sert aujourd’hui de frontière naturelle entre les deux pays.
La région est sous la surveillance conjointe des Thaïlandais et des Cambodgiens qui ici n’ont aucune envie de se disputer, et partagent le verre de l’amitié sous l’oeil des rares visiteurs que nous sommes.
Nous faisons plusieurs arrêts dans les villages, buvons un soda ici, puis un thé au lait là, et observons des femmes qui tissent, d’autres qui emballent des racines. Plusieurs grands-mères s’occupent de bébés. En mêlant mes rudiements de thai avec le language universel des signes, j’apprends que les mères de ces enfants sont parties travailler à Bangkok. Les hommes sont dans les champs, et s’occupent du bétail. Ici, les coins d’ombres sont des bénédictions dans la chaleur de l’après-midi. Si les enfants vont à l’école, peu poursuivent de longues études, on a besoin de leurs bras pour le travail dans les champs.
Michelle me raconte sa vie. Elle n’a jamais terminé l’école, elle n’avait pas 16 ans quand elle est partie travailler en ville de Lyon, comme vendeuse dans une fromagerie. Puis elle a rencontré un ancien moine qui est devenu son mari et le père de ses enfants. Elle n’a jamais arrêté de travailler jusqu’à l’âge de la retraite. Pour ses soixante ans, ses fils lui ont offert sa première télévision. Elle a tellement aimé regarder les reportages de National Geographic qu’elle s’est dit qu’il était temps de partir faire un voyage. A 60 ans, elle a quitté la France pour la première fois de sa vie. Suivant un ami qui s’en allait à Bangkok, elle s’est retrouvée en Asie du Sud-Est, et en baragouinant quelques mots d’anglais, elle a réussi à traverser et visiter plusieurs pays seule. J’ai une grande admiration pour Michelle et quand je lui dis « tu es très courageuse! », elle me répond en toute honnêteté: « Non, je suis simplement inconsciente ».
Le soir, les grandes tables sont à nouveau installées dans la cour de la maison d’hôtes pour un nouveau festin. Un couple italo-français qui voyage avec leur bébé dans une poussette s’est ajouté aux joyeux convives que nous sommes. J’ai beaucoup de plaisir à discuter avec Christiane. Nous parlons notamment du temple Prea Vihear qui se trouve plus à l’est exactement sur la frontière entre la Thaïlande et le Cambodge. Depuis plusieurs décennies ce temple est la cause d’un conflit militaire entre les deux voisins. Nous ne sommes pas sûr qu’il soit possible de le visiter, mais nous pensons que nous ne risquons rien de nous en approcher … je vous raconterai cette histoire dans mon prochain texte.
©Frédéric Alix – le texte est adapté de mes notes de voyage de février 2005, les photos ont été prises en février 2005, et en décembre 2016.