Mon tour d’Issan, chapitre 4
Après vous avoir parlé des provinces de Korat et de Buriram, je continue le voyage en longeant le sud du plateau d’Issan jusque vers son extrémité orientale que l’on appelle le triangle d’émeraude.
15 février 2005
On ne voit pas beaucoup d’étrangers dans le gros bourg de NangRong (Buriram). Mais ce matin c’est un drôle de défilé qui marche entre la guesthouse Honey Inn et l’arrêt de bus sur la route principale. Nous nous sommes tous rencontrés ces derniers jours: Michelle une retraitée française qui voyage pour la première fois de sa vie, elle porte un gros sac sur le dos et un plus petit sur le devant. Christiane, une autre française qui travaille comme infirmière entre deux grands voyages aux bouts du monde, elle tire une valise à roulettes rouge. Un couple italo-français, le mari porte deux gros sacs à dos, la femme s’occupe de leur bébé dans une poussette. Et moi, avec mon sac de vingt kilos sur le dos. Le jeune couple se dispute sans arrêt, ça me rend triste. Ce matin ils retournent à Bangkok. Michelle, Christiane et moi partons dans la direction opposée, dans la province de Si Saket, une petite ville inconnue du nom de Kantaralak. Vous devez vous demander ce qui nous entraine dans cette petite ville dont personne n’a jamais entendu parler.
Il y a, exactement sur la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande un temple millénaire du nom de Prea Vihear. Ce temple est construit sur le plus haut sommet de la petite chaîne de montagnes qui sert de frontière naturelle aux deux pays. Si géographiquement il est indéniable qu’il se trouve en Thaïlande, sa valeur architecturale et historique a poussé le colons français à l’intégrer à l’ancien Indochine, rendant ainsi aux Khmers ce qui vient de la culture khmère, au grand dam des Thaïlandais.
Depuis une dizaine d’année, le temple est le théâtre d’un affrontement militaire intense entre les deux pays. Pris entre les deux armées, les site historique n’est pas toujours ouvert aux visiteurs. Je me suis renseigné, nous sommes dans une période de cesser le feu et nous allons pouvoir y aller sans risquer une balle perdue.
Le véhicule qui nous dépose à Kantaralak est un vieux bus entièrement repeint au spray d’un motif dans le genre graffiti géant recouvrant toute sa carrosserie. Ce n’est pas le premier bus que je vois dans ce genre en Issan. Si j’avais trouvé le dessin plus esthétique, je pense que j’aurais pris une photo, mais sur le moment je n’ai pas réalisé qu’il s’agissait d’une curiosité.
Le bus s’arrête, la dame qui encaisse le prix des billets crie « Kantaralak » en regardant du côté des trois étrangers que nous sommes. Nous descendons, et le bus coloré continue sa route vers la grande ville de Ubon Ratchatani. Nous entrons dans le premier hôtel que nous voyons et réservons trois chambres. On nous confirme que le temple de Prea Vihear est ouvert aux visiteurs, mais il n’y a aucun transport public qui s’en approche. Dans la foulée, on discute avec un chauffeur de taxi du prix pour nous emmener au temple demain matin, à une trentaine de kilomètres au sud.
Je termine la journée en me baladant dans les rues de Kantaralak, rien de bien intéressant. De plus, le néophyte que je suis ne remarque même pas que les gens ne parlent pas tous thaïlandais mais le khmer.
Le temple-héritage de Prea Vihear a été construit entre le 9ème et le 11ème siècle par l’empire Khmer. L’empire a commencé a décliner depuis le 13ème siècle, et quand les français ont colonisé la région, le Cambodge était un royaume suzerain du Siam. En 1867, par le traité franco-siamois, le Siam renonce à sa suzeraineté sur le Cambodge qui intègre l’Indochine française. Ce n’est qu’en 1904 qu’une commission topographique délimite précisément la frontière entre l’Indochine et le Siam.
Pendant la deuxième guerre mondiale, alors que la France est occupée par l’Allemagne et l’Indochine par le Japon, la Thaïlande se (re)approprie Prea Vihear qu’elle rendra en 1947. Il va s’en suivre des dizaines d’années de conflits. En 1962, la Cour internationale de La Haye reconnait la souveraineté de Prea Vihear au Cambodge. Mais la bataille n’en fini pas. Utilisé comme symbole par les nationalistes des deux pays, le temple est périodiquement le théâtre d’affrontements militaires. En 2008, Prea Vihear est inscrit la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO.
16 février 2005
Au petit matin, le chauffeur de taxi nous attend. De la petite ville de Kantaralak à 250 mètres d’altitude au sud-est du plateau d’Issan, la route monte en pente douce le long de la partie nord des Dangrek jusqu’à un point situé à 400 mètres d’altitude. Puisque c’est la Thaïlande qui a financé cette belle route, il est demandé aux non-thaïs de payer un droit d’entrée de 200 THB (environ 6 euros) pour « parc national ».
Au bout de la route, le taxi nous dépose devant un poste militaire cambodgien. Nous devons payer un droit d’entrée d’un dollar américain et nous donne un papier appelé « visa cambodgien d’une journée », mais le militaire ne tamponne pas nos passeports.
Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi vaste.
Après avoir reçu l’autorisation de pénétrer sur le territoire cambodgien, un très long escalier de 162 marches nous attend, il est bordé par deux Nagas en pierre (serpent mythologique).
Ce temple-hermitage a été construit sur le plus haut sommet des collines de Dangrek. Il se trouve sur une ancienne voie royale qui reliait la Capitale de l’ancien royaume khmer d’Angkor et le très ancien temple de Vat Phu (aujourd’hui situé au sud du Laos).
Ce qu’il reste des bâtiments sont des assemblages de grosses pierres qui semblent tenir par la force du raisonnement. Beaucoup se sont effondrés sous le poids des ans.

Le site historique comprend un alignement de cinq bâtiments reliés par des allées et des escaliers. C’est un véritable pèlerinage que d’entreprendre la visite complète. Au centre du dernier bâtiment, appelé Mandapa, se trouve un Linga, symbole du dieu hindouiste Shiva pour qui ce temple a été construit.

Au-delà du Mandapa, la promenade se poursuit, nous sommes au sommet de la colline à une altitude de 625 mètres. Notre pèlerinage nous a fait gravir de 100 mètres depuis le départ. Nous voilà arrivé au bord de la falaise avec une vue sur la chaîne des Dangrek et le plateau du Cambodge… 525 mètres en-dessous. De là-haut, si la visibilité le permettait, on pourrait voir la cité d’Angkor à plus de 100 kilomètres à l’ouest et la montagne du Vat Phou à environ 50 kilomètres à l’est. L’ancienne route royale passait juste sous nos pieds.
Les mines
Toutefois, lors de cette visite ce qui me marque et me choque le plus, est cette scène où un homme tenant un détecteur de métaux, s’avance méticuleusement, pas à pas, dans le but de déminer les champs autours des ruines. A quelques mètres derrière lui, un infirmier se tient prêt à le secourir, une ambulance est prête au départ. Les mines antipersonnel datent de l’autre période très sombre du Cambodge: celle pas si lointaine des Khmers rouges.

L’accès au temple par la Thaïlande a été définitivement fermé en 2008 lorsque le conflit armé a repris en intensité. Le Cambodge a construit une route (plus ou moins) carrossable pour grimper le dénivelé de 500 mètres sur le promontoire rocheux. Je vais revenir visiter ce temple en 2017 et cette fois-ci ce sera sur ma petite moto en venant du Cambodge. Les mines ont toutes été retirées. La frontière reste une zone militarisée et le sujet reste sensible dans les conversations nationalistes des deux camps. Au moment où je rédige ce texte, il n’est plus possible d’accéder au temple en venant de Thaïlande.
Nous allons poursuivre notre voyage ensemble demain vers la province de Ubon Ratchatani. Je vous en parlerai dans mon prochain texte.
toutes les photos © Frédéric Alix, février 2005 et décembre 2017
j’ai rédigé un texte plus complet sur l’histoire du temple, il est ici (mais il est plus long) : L’hermitage de Phrae Vihear