Kanchanaburi, 31 décembre 2019
L’année 2019 se termine sur une belle terrasse surplombant la rivière Kwaï et toute son histoire. Ma maman m’envoie un message sur Messenger, me demandant si j’ai entendu parler de ce virus en Chine. Je lui réponds que oui, mais qu’il n’y a aucune matière à s’inquiéter. Des virus, il en apparaît presque tous les ans en Chine : le « Birdflu », le virus du poulet cinglé, du porc bobet, le h5n1, et comment s’appelle celui-ci ? Corona ! Comme la bière, au moins on a un moyen mnémotechnique de mémoriser son nom.
Par le passé, j’ai traversé la Chine alors que la grippe aviaire faisait rage, ça ne m’a pas retenu d’aller prendre des photos des volailles sur les marchés frais au milieu d’une population grouillante.
Le soir est tombé sur la rivière Kwaï, et l’eau coule toujours sous le pont. Je suis seul sur cette terrasse, mais j’entends de la musique au-loin, des rires et des verres qui s’entrechoquent. N’aimant pas la foule, j’apprécie la solitaire tranquillité de cette célébration. Un peu avant minuit, la famille propriétaire du petit hôtel débarque sur la terrasse avec fusées d’artifices. C’est le bébé qui est chargé de les allumer, je prends peur et me recule. Il est minuit, on est entré en 2020 dans un festival d’explosions qui colore le ciel. 2020 sera une année colorée, je sens ça!
“Une pneumonie virale d’origine inconnue a touché 59 personnes à Wuhan, en Chine. Les autorités sanitaires de la ville suspectent que ce virus soit lié à un marché local de fruits de mer, désormais fermé.” (Courrier International, 6 janvier 2020)
13 janvier
La Thaïlande enregistre un premier cas de coronavirus sur son territoire. Il s’agit d’une chinoise de Wuhan venue en voyage organisé. C’est le premier cas de coronavirus détecté hors-Chine. Il y a des plusieurs vols directs de Wuhan à Bangkok et Chiang Mai.

Chiang Mai, 20 janvier
Après le voyage à moto de fin d’année, je suis content de retrouver mon petit appartement. Je déplace les meubles et ai envie de le rendre plus confortable. Je me lance dans de grands nettoyages. J’achète deux tapis et un aspirateur (parce qu’il est difficile de passer le balais sur les tapis). Je complète avec quelques nouveaux meubles. Depuis 5 ans que j’habite à Convention, c’est la première fois que j’ai envie de passer plus de temps chez moi. Il est vrai qu’habituellement, je passe toutes mes journées dehors.
23 janvier
Depuis deux semaines la situation semble empirer dans la province de Wuhan. Je suis passé par Wuhan en 2010, j’étais en route depuis la province du Hunan. Je voulais voir le fleuve Jaune et n’avais vu qu’un port hideux et sale. Je n’avais pas aimé Wuhan et suis reparti le lendemain en direction de Beijing.
Le nombre de malade au Coronavirus a augmenté et commence même à déborder sur les provinces voisines. Aujourd’hui, la ville de 20 millions d’habitants est mise en quarantaine. Je visualise les routes qui mènent à cette ville et imagine qu’en ce moment l’armée les avoir doit avoir fermées. Cela me paraît inimaginable de contenir autant de personne, mais en Chine tout est possible.
24 janvier
Dans mon immeuble, la gérante fait installer un distributeur automatique de gel hydro-alcoolique devant l’entrée. Une note est placardée dans les ascenseurs :
« Attention !!! Guest who travels from China recently, please kindly check yourself before access/stay here to avaoid Wuhan Corona Virus. »
25 janvier
Nouvel an chinois, on entre dans l’année du rat. Drôle d’animal, je n’arrive pas à savoir si il doit être vu comme positif ou négatif. Par le passé, on a accusé le rat d’avoir propagé la peste.
En Chine, c’est la période de vacances pendant laquelle tout le pays se déplace pour se retrouver en famille. L’occasion pour le virus de se propager un peu partout. Plusieurs régions sont placées en quarantaine, ceux qui étaient allés en vacances se retrouvent coincés.
Ce soir je vais écouter un concert à la faculté de musique de Payap. Assis derrière moi, un groupe de chinoises toussent sans arrêt. C’est un peu perturbant.
26 janvier
Je lis qu’une chinoise de Wuhan a été diagnostiquée positive à Chiang Mai, elle est hospitalisée à Mac Cormic, l’hôpital voisin de Payap où je suis allé écouter un concert hier soir.
27 janvier
L’école où je prends mes cours de thaï doit fermer pour deux semaines. Le gouvernement veut être très prudent, il ferme plusieurs lieux publiques et toutes les écoles.

31 janvier
La Thaïlande enregistre son premier cas de transmission locale du coronavirus.
3 février
Nous avons un comité d’immeuble. Notre président, qui est professeur en pharmacie à l’université insiste pour que l’on impose un protocole de nettoyage des portes et des ascenseurs plusieurs fois par jour. Il ajoute qu’il est la personne la plus exposée puisqu’il travaille à l’hôpital universitaire qui accueille des cas de malades au coronavirus. Nous discutons de fermer l’accès au fitness et à la piscine.
8 février
Comme tous les ans, c’est le festival des fleurs à Chiang Mai. Je mets un masque chirurgical, quand je prends des photos ça fait de la buée sur mes lunettes. Cette semaine le ministre de la santé s’est fâché, il a accusé les étrangers occidentaux de ne pas respecter les consignes de sécurité en ne portant pas de masque. Aujourd’hui je porte donc un masque dans la foule clairsemée du festival, je ne veux pas qu’on me traite moi aussi de « sale étranger». Très peu de monde cette année. Les visiteurs se font de plus en plus rares. Dans cette petite foule je suis le seul à porter un masque, les thaïlandais n’en ont pas.
Je vois plusieurs écriteaux devant des commerces qui disent la solidarité des Thaïlandais pour les Chinois frappés par l’épidémie.

9 février
J’ai une longue conversation avec une fille chinoise bloquée à Ürümqi (nord-ouest de la Chine) depuis deux semaines. Elle fond en larmes en m’expliquant qu’elle a peur de tomber malade. Elle me parle de tous ceux qui sont déjà morts. Elle aimerait rentrer chez elle à Beijing mais pour l’instant il est trop dangereux de voyager.
11 février
Mon école de thaï est à nouveau ouverte, les cours reprennent mais il faut porter le masque en permanence. Cindy, la directrice de l’école, a établi une zone « no-mens-land » autour de son bureau, il est interdit de l’approcher, elle vient désinfecter les poignées des portes toutes les heures.
12 février
Comme toutes les années je vais à Chiang Rai pour le festival des montgolfières. Cette année ils ont installé un contrôle médical à l’entrée : prise de la température et obligation de se laver les mains au gel hydro-alcoolique avant de pénétrer sur le vaste terrain d’où partent les montgolfières. Aucun ballon chinois n’est enregistré dans la compétition cette année.
16 février
J’ai passé la journée à rouler sur ma moto entre Phayao et Chiang Mai, j’étais de bonne humeur et ai chanté pendant tout le trajet. Mais c’était sans compter que la saison des fumées a commencé et que l’air est malsain. Ce soir j’ai les yeux qui piquent et la gorge qui brule. Je regarde par la fenêtre, on ne voit presque plus la montagne qui est pourtant à moins de deux kilomètres.
18 février
Je discute avec Albert, un chinois de Beijing qui travaille au le ministère des affaires étrangères, il me confirme que la situation sanitaire est très grave.
19 février
Je vais à l’énorme centre commercial « Central Festival », je me décide enfin d’acheter un nouvel appareil photo, ce sera le Canon 90D. Ce que je ne sais pas, c’est que je ne vais pas pouvoir l’utiliser avant le mois d’avril.
27 février
Ce matin, c’est une avalanche d’alertes issues des sites d’informations qui m’attend sur mon téléphone. Le virus a été détecté en Italie il y a une semaine et s’est rapidement répandu, il est maintenant bien établi en Europe, il semble irrémédiable qu’il continue à progresser. Mais cette tempête de panique m’inquiète plus que du virus lui-même.
Mon prochain voyage à moto devrait commencer bientôt, je prévois de descendre au bord de la mer. Mon amie Madeleine va venir passer dix jours au Vietnam et a prévu de s’arrêter à Bangkok pour qu’on prolonge son voyage ensemble en Thaïlande.
En Chine, presque tous ceux qui étaient en vacances pendant le début de la crise ont maintenant pu rentrer chez eux, l’école peut enfin reprendre mais les cours sont en ligne.
On suspecte le pangolin d’être à l’origine de ce coronavirus, mais sur la liste des suspects se trouve aussi la chauve-souris. Wuhan est connu pour ses « gastronomes » qui dégustent les animaux sauvages.
Une chinoise me raconte une histoire drôle qui fait rire l’empire du milieu en ce moment « Les paléontologues ont découvert que le dernier repas des dinosaures était de la soupe de pangolin. »
29 février
Aux cafés et devant la majorité des commerces il y a maintenant des flacons de gel hydro-alcoolique à l’entrée. Il faut se laver les mains avant d’entrer et porter un masque. Même si je comprends l’importance de ces mesures, je trouve tout ceci oppressant.
3 mars
Ce matin je voulais aérer mon appartement et ai ouvert les fenêtres. En quelques minutes, les odeurs de fumée ont envahi l’air et j’ai refermé les fenêtres rapidement. Je fais tourner le purificateur d’air en permanence. Quand je sors je mets un masque M95 qui filtre les particules fines.
Je me sens un peu fatigué. Je me prends la température : 36,5 C, je ne peux pas être plus normal. Je sors manger et retrouve des amis francophones au petit resto de Marie. Christian prédit qu’il y aura au moins un million de morts. Je secoue la tête en me disant qu’une nouvelle fois il exagère.
11 mars
Je traverse Chiang Mai de nuit, presque personne, je mange chez Marie, je suis le seul client. Les rues sont silencieuses et noire.
L’Italie est le premier pays européen à confiner entièrement sa population.
13 mars
Le réveil est devenu un moment difficile, au moment où je pose mes doigts sur l’écran de mon téléphone je vois apparaître des dizaines d’alertes-infos qui propagent la panique. En regardant par la fenêtre je ne vois qu’une brume de fumée. Le niveau de particules fines est proche de 300. Si l’air est dangereux, le sentiment d’être prisonnier dans le nuage de fumée est paniquant.
Je vais m’installer à la bibliothèque de l’EFEO pour lire. La bibliothécaire est aux petits soins avec moi, elle me conseille de porter un masque antiparticules fines à l’intérieur. Elle déplace le purificateur d’air à côté de ma table.
Le ministre de la Santé pointe du doigt les touristes occidentaux et demande à ce que des quarantaines soient organisées pour les personnes arrivant d’Europe et Etats-Unis.
Dans un petit supermarché de Chiang Mai, qui vend principalement des produits importés, Mathieu, un retraité suisse résidant à Chiang Mai depuis plusieurs année se fait insulter par une cliente sans aucune raison. Elle l’accuse à grands cris d’être un sale étranger venu contaminer le peuple thaïlandais. Cette scène met le personnel du supermarché mal à l’aise mais personne ne dit rien.
J’ai des nouvelles de Madeleine : son voyage au Vietnam ne se passe pas comme prévu. Son groupe a été mis en quarantaine dans un hôtel de Hoi An. Ils n’ont pas eu l’autorisation de poursuivre vers Hué. Nos retrouvailles à Bangkok semblent obscurcies.
14 mars
Selon les informations, la Suisse va probablement se mettre en confinement.
A Chiang Mai, le taux de pollution est plus inquiétant que la propagation du virus. Toutes les années à cette période (que l’on appelle « la saison des brûlis ») je vais trouver refuge au bord de la mer où l’air est pur. Mais la panique du virus me fait craindre qu’en quittant ma ville d’adoption je ne m’expose à des ennuis. Plusieurs villes balnéaires, dont Pattaya et Hua Hin, sont déjà bouclées, les commerces fermés et il est impossible d’entrer et sortir de ces zones.
Je reçois des nouvelles de Madeleine au Vietnam. Son groupe a quitté Hoi An par avion vers Dalat, mais les forces de l’ordre les ont arrêtés à la sortie de l’avion. Ils n’ont pas eu l’autorisation de quitter l’aéroport, le Vietnam se ferme aux étrangers. Ils sont évacués vers Saigon d’où ils pourront rentrer en Europe. A l’heure qu’il est, la Thaïlande est en état d’alerte maximale mais aucune restriction pour l’entrée et le séjour des étrangers. J’ai le pressentiment que ça pourrait changer rapidement. Madeleine va donc rentrer en Suisse le plus rapidement possible et je ne vais pas quitter Chiang Mai.
J’appelle Philippe qui est lui-aussi au Vietnam en voyage à moto en solitaire. Je lui conseille de regagner Hanoï au plus vite et de se renseigner auprès de l’Ambassade de France sur ce qu’il est prudent de faire. Il a beau être résident en Thaïlande, il n’en a pas la nationalité et pourrait être refoulé si ils décident de fermer les frontières.
Le soir, dans une atmosphère étrange entre panique et suffocation, je vais manger chez Marie, je lui demande une pizza. Aï, son cuisiner renverse ma pizza sur la table en m’apportant l’assiette. Je ne veux pas manger une pizza qui a trainé sur la table à la propreté douteuse. Je m’étonne de ma réaction alors que je ne me dégoute jamais de manger avec les doigts. Finalement je reprends mes esprits et en mange les trois-quarts.
Cette nuit je mets le purificateur d’air dans ma chambre à coucher et je dors mieux.
16 mars
Je commande un deuxième purificateur d’air.
Au café, le matin, je reçois des messages du comité d’immeuble. On serait entré en phase 3. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire mais il semble qu’on approche d’un confinement complet. Je me demande comment on va s’organiser pour acheter à manger. Je veux aller au supermarché pour remplir mon frigo. Mais surprise, il y a tellement de monde que les files d’attentes aux caisses font presque le tour du magasin. Je renonce. Au distributeur de la banque je retire 20’000 bath pour avoir de l’argent cash au cas où les banques fermeraient.
Le soir, je mange chez Marie avec Yves et Christian. Yves part demain pour Paris, il ne peut pas renoncer à son séjour annuel au pays natal. Avec Christian on essaie de la convaincre qu’il est risqué en ce moment de voyager, qu’il aura sans doute des difficultés pour revenir en Thaïlande, mais il sa décision est mûrie. Christian, asthmatique, est pris d’une crise de toux, je lui demande de s’éloigner pour tousser.
17 mars
Dans cette atmosphère de fermeture globale, je commence par aller chez le coiffeur. A l’école, Cindy a dessiné un parcours fléché sur le sol avec du scotch rouge. Elle a mis deux masques ! Les cours ne m’amusent plus du tout.
Je vais manger chez salade concept, la serveuse ne veut pas que je mange sur place et emballe ma salade dans du plastique pour que je parte au plus vite. J’insiste pour manger à table, ça semble l’embêter, mais elle accepte.
La France entre dans un confinement strict. Ma maman m’explique comment elle a décidé de s’organiser. Optimistes de famille, nous pensons que ça va durer trois semaines. J’espère que toute cette histoire sera finie en juin et que je pourrai venir en Europe en août comme prévu.
19 mars
Un énorme incendie est en cours près du lac de Huay Tung Tao a quatre kilomètres de chez moi. L’air est irrespirable. Je garde les fenêtres fermées, mes deux purificateurs d’air fonctionnent bien. Je passe la journée sans sortir, je chante et me sens en sécurité, mais seul.
Le soir, mon unique sortie du jour m’amène chez Food4thought, ils font de très bons plats végétariens, leur purificateur d’air tourne au maximum. Je suis le seul client, on me demande de me laver les mains en entrant. J’apprends à ouvrir les portes avec le pied.
23 mars
Voilà une semaine que je me suis confiné volontairement dans mon petit appartement. Mon unique sortie du jour est le repas du soir chez Food4 thought. Mais tous les commerces et restaurants doivent fermer dès ce soir: un couvre feu est instauré de 22h à 6h du matin.
Le feu sur la montagne est maintenant juste en face de mes fenêtres, il y a de terribles trainées rouges dans la nuit silencieuse.
24 mars
Sortir devient une expédition. Pour entrer dans la poste, je pousse la porte avec le pied. Au sol, sont dessinés des flèches et des croix au scotch rouge, on se croirait dans un jeu. Il y a un écran en plexiglas devant la guichetière. La lettre que je dois envoyer en Suisse mettra deux mois à arriver.
Au centre commercial Maya, il faut passer par un contrôle de la température. L’officier me dit que j’ai 34 ! Comme ça ne semble pas l’inquiéter, j’entre, mais je m’inquiète de n’avoir que 34. Suis-je encore en vie ?
Tous les magasins sont fermés à l’exception de la nourriture à l’emporter. J’ai pris avec moi ma gamelle à trois étages, je choisi trois plats. Très peu de clients, mais une foule de livreurs Grab et Panda attendent bien alignés.
Au supermarché, l’officier chargé de prendre la température colle un autocollant les épaules « TEMP : OK ». Dans les rangées des produits, les clients évitent de se croiser. On a l’impression d’être dans un jeu Pac-man.
Comme il est clair que la situation provisoire va durer, les cours de thaï sont maintenant en ligne. J’ai à nouveau du plaisir à étudier.
25 mars
Le principal problème de ce confinement est que je mange tout le temps Je mets une note sur la porte du frigo : « tu n’as pas faim, tu t’ennuies ».
Je lis de la poésie à haute voix, je joue de la guitare.

26 mars
Plus aucun étranger ne peut entrer en Thaïlande. Le pays est officiellement fermé. Heureusement les étrangers qui sont dans le pays ne sont pas inquiétés.
Seuls sont autorisés les rapatriements de ressortissants thaïlandais, sous réserve d’une quarantaine obligatoire est stricte organisée par l’état dans des hôtels fermés.
Avec une régularité constante, une petite centaine de personnes sont testées positives tous les jours en Thaïlande. Nous en sommes à 50 morts depuis le début de l’épidémie.
30 mars
Mon professeur de yoga est bloqué à New-York. Il a essayé de rentrer en Thaïlande mais a été refoulé. Seuls sa femme et ses enfants ont pu entrer. Dans une atmosphère anxiogène mondiale, il a décidé de donner ses cours en ligne. J’installe mon tapis de yoga devant mon écran d’ordinateur.
3 avril
J’observe les hélicoptères qui tentent d’éteindre le feu sur Doi Suthep.
10 avril
Première grande sortie à moto, je fais le tour de la ville, voilà un mois que je n’étais pas allé aussi loin, j’ai l’impression que le monde s’est rétrécit. Les magasins sont fermés, sur la route je ne croise presque que les motos des livreurs Grab et Panda.
12 avril
Je vais visiter un temple au sud de la ville. J’ai mis mon masque, je croise des gens, je vois de la peur dans leurs regards. Les gens évitent de s’approcher les uns des autres. J’utilise mon nouvel appareil photo pour la première fois.
14 avril
La grande fête de Songkran, nouvel an bouddhiste a été annulée. Que l’on aime ou qu’on n’aime pas ce carnaval d’eau, c’est une étape dans l’année qui manque, un peu comme si on sautait un repas.
L’annulation de la fête la plus importante de l’année a permis de sauver des vies ! En effet, chaque année ce sont quatre à cent cents personnes qui perdent la vie dans des accidents de voiture.
Je lis « L’année du Lion », un roman de fiction publié en 2010 dans lequel l’humanité a été presque entièrement décimée par un coronavirus. Les survivants tentent de réorganiser des sociétés dans une époque post-chaotique.
20 avril
Echange de messages avec mon ami Ahn qui travaillait comme réceptionniste dans un petit hôtel de Chiang Mai. Plusieurs de ses collègues ont été licenciés. Ahn a gardé son emploi mais il occupe désormais la fonction de veilleur de nuit.
23 avril
Besoin de marcher. Je fais le tour complet des douves qui entourent l’ancienne citadelle de la ville (8 kilomètres). Les fleurs sont belles. Dans les douves, poussent des lotus rouges et blancs.
J’assiste au terrible spectacle des centaines de gens formant une file de plusieurs kilomètres venus recevoir un peu de nourriture. Un policier surveille que tout le monde respecte la distanciation. Au bout de la file se trouve une petite table avec deux généreux donateurs qui distribuent un œuf, un sachet de curry et un berlingot de lait de soja. J’ai d’abord envie de prendre des photos, mais je me ravise, je ne peux pas: la situation est trop tragique !
Depuis le début du confinement, beaucoup de gens ont perdu leur emploi et sont sans aucun revenu. Certains restaurants proposent des repas gratuits. Un peu partout dans la ville on trouve des boîtes dans lesquelles des âmes généreuses anonymes déposent des victuailles. D’autres organisent des distributions comme celle que je vois ce matin.
25 avril
Il pleut ! Ca ne dure que dix minutes mais c’est comme un purificateur d’air géant.
26 avril
Depuis le début de ce confinement, je n’ai plus pu aller au café. Ce matin je décide d’aller acheter un café, et de m’asseoir sur un muret en face. Un homme me voit et devient furieux. Je comprends que je lui ai pris sa place sur le muret, et à cause de la règle des distanciations sociales, il ne sait plus où s’asseoir.
Un peu partout je lis des inscriptions ventant la « nouvelle normalité » : on se targue d’être un pays développé parce qu’on a mis en place des contrôles de température partout, les marchés et les magasins sont entourés de bandes plastiques bicolores, au sol on suit des parcours fléchés, le masque est obligatoire dans tous les lieux fermés et il faut scanner un code sur une application de traçage.
Pour beaucoup de thaïlandais, le port du masque est vu comme l’affirmation de la modernité, du développement, de la propreté (tant chérie ici). Ces règles sont suivies avec zèle pour montrer que l’on est évolué, connecté, à la pointe de la technologie.
Je déteste cette expression de « nouvelle normalité », quitte à paraître ringard je veux le retour de la vielle normalité ! Il n’y a rien de normal dans cette vie là. Mais les chiffres me contredisent : la Thaïlande a maitrisé la propagation du virus.
1er mai
J’ai de la fièvre. Je ne peux donc pas sortir faire des achats. Après une douche froide, quelques verres d’eau, ma température a baissé et je peux aller acheter à manger.
2 mai
Rumeurs que le confinement prendra fin bientôt, les magasins vont progressivement rouvrir. Ca me met de bonne humeur. Je vais faire un tour à moto jusqu’à Lamphun. Mais les rideaux de fer baissés me ramène à la déprime, même les temples se sont barricadés. Je rentre par la route nationale : mauvaise idée. A l’entrée de Chiang Mai il y a un gros barrage sanitaire. Il est indiqué que toutes personnes entrant dans la province doivent rester cloitrés pour 15 jours. J’avais oublié que Lamphun était une autre province. Heureusement, les contrôleurs sanitaires ignorent ma moto et me font passer sans même me prendre la température.
13 mai
Je dois aller à l’immigration pour faire prolonger mon visa. Je passe le contrôle de la température et attends que Cindy arrive avec les papiers. Cindy ne peut pas entrer, elle a 38° de température. Elle ne comprends pas pourquoi. A-t-elle eu trop chaud dans la voiture en venant, ou est-ce un effet de la salade de papaye qu’elle vient de manger? Heureusement son amie est là et peut nous guider pour faire la prolongation du visa. Mon passeport est tamponné pour trois mois supplémentaires.
15 mai
Expédition chez le coiffeur. Il me dit qu’il ne pourra me prendre que dans 30 minutes et que je ne peux pas attendre à l’intérieur. Je vais faire le tour du quartier. Il me coupe les cheveux, le prix a augmenté, il me dit que pour la prochaine fois je devrai prendre rendez-vous par téléphone.
20 mai
Mon professeur de yoga a pu rentrer en Thaïlande. Sur son blog il publie les photos de son arrivée à l’aéroport de Suvannaphum. On y voit des dizaines de personnes habillées en cosmonautes qui guident les quelques arrivants étrangers vers un nouveau test covid. Les formalités de douane se font au travers d’une vitre. Puis, ils sont embarqués dans des fourgons derrière des paravents en plastique. Avant d’entrer dans l’hôtel où ils passeront leurs 15 nuits de quarantaine, ils doivent se déchausser et mettre des chaussons en plastique bleus aux pieds. Je regarde ces photos qui semblent sorties d’un film catastrophe américain. Je regarde si je ne trouve pas Bruce Willis, mais c’est bien réel.
22 mai
Je me suis décidé à acheter un vélo avec assistance électrique. J’utilise la plateforme d’achat en ligne Lazada. Le vélo me sera livré dans une semaine.
Le soir, je vais au Night Bazar. Ce quartier touristique habituellement grouillant est complètement désert et sombre. Je vais manger au Spice, mon restaurant indien préféré. Voilà des années que je viens ici, c’est très bon, pas cher, tout le monde y est très gentil. Ce soir, je suis le seul client. Le cuisinier vient m’apprendre qu’ils ferment définitivement. Ils sont originaires du sud du pays (ils sont musulmans) et ont décidés de rentrer dans leur province. Au moment où je pars, je les vois fermer le rideau de fer, définitivement, j’étais le dernier client, j’en ai des frissons.
14 juin
Nouvelle sortie à moto à Lamphun. Je vais méditer un moment au temple Pra Yuen. Au retour, j’ai oublié de mettre mon masque, j’ai l’impression d’être un rebelle !
15 juin
Fini le couvre feu et les restaurants ont à nouveau l’autorisation de vendre de l’alcool, mais les bars ne peuvent toujours pas rouvrir. Certains bars proposent des petits plats et par conséquent peuvent ouvrir. L’alcool ne m’a pas manqué ces derniers mois, et pourtant je me fais une joie d’aller acheter une bouteille de Vodka chez « le chinois ».
17 juin
Coup de tonnerre : l’école de thaï va fermer définitivement. Ils n’ont plus assez d’étudiants pour pouvoir couvrir les frais. Nos cours sont annulés et nos visas ne seront pas renouvelés. Cindy est au chômage. Il pleut. Je retrouve mon collègue d’école William au café, il est effondré, nous essayons ensemble de voir quelles possibilités nous avons pour renouveler nos visas. Malgré la forte pluie de mousson, je file chez « Visa service » demander leur aide.
20 juin
Je me sens un peu malade, c’est la conséquence des événements qui rendent la vie difficile
Je traverse la ville déserte, beaucoup de commerces sont encore fermés et certains ne rouvriront jamais. Je vais manger un pain au chocolat chez Baan Bakery. Appel de mon frère qui a enfin pu passer la frontière française et aller voir notre maman. Ils vont bien, je suis heureux de parler avec ma famille. Je commence à douter de pouvoir aller en Europe cette année.
23 juin
J’ai reçu un énorme paquet de 20 kilos, c’est mon vélo en pièces détachées. Je fais le montage. Je suis trempé de sueur, il fait une chaleur terrible.
25 juin
Je prends mon courage avec moi et monte à Doi Suthep à vélo. L’assistance électrique fonctionne très bien mais je suis quand même épuisé et je pousse sur les 2 derniers kilomètres qui sont trop pentus.
30 juin
Je m’installe dans un café pour écrire un texte. Je croise un ami et on discute un moment. Il était guide touristique. Il est donc au chômage depuis presque six mois. On est interrompu par plusieurs appels. A ce que je comprends, des créanciers lui demandent de rembourser ses dettes aujourd’hui et il tente d’expliquer qu’il a besoin de quelques jours de plus.
4 juillet
Grand tour à vélo. En passant devant le centre Mac Kane pour personnes âgées, je vois que « l’île aux lépreux » est à nouveau fermée au monde extérieur. Mais si par le passé il s’agissait d’isoler les lépreux du reste du monde, aujourd’hui il faut protéger les résidents de l’île du monde extérieur qui est devenu malade.
15 juillet
Routine du quotidien, je commence ma journée au café, toujours le même, et tous les jours je croise les mêmes visages des rares étrangers qui ne quittent plus Chiang Mai désormais. Certains sont des « échoués », ne veulent pas rentrer chez eux. L’immigration a offert de prolonger les visas des touristes jusqu’au 30 septembre. Depuis le mois de mars, beaucoup d’étrangers ont quittés le pays.
28 juillet
Zach, professeur d’anglais qui travaillait avec Cindy n’a plus de travail puisque l’école a fermé. Il a décidé de rentrer aux Etats-Unis. Encore une victime collatérale de cette année terrible. Il est en train de faire les vaccins pour préparer sa chienne Snowy au voyage.
30 juillet
Il est maintenant clair que la situation exceptionnelle va durer. Les frontières sont fermées et vont le rester, je ne pense plus pouvoir aller en Europe cette année. Sortir de Thaïlande est possible, mais c’est un départ sans retour. Plusieurs de mes amis étrangers sont partis, de plus en plus j’ai l’impression de vivre sur une île.
26 août
Premier vrai voyage depuis le début de l’épidémie. Comme il pleut encore dans le nord, je ne prends pas la moto. J’ai un vol de Chiang mai à Bangkok. Je prends une moto-taxi pour aller à l’aéroport, il a mis un masque qui lui protège le nez et la bouche mais ne porte pas de casque et n’en a pas à me proposer.
A l’aéroport, il faut passer par de nombreux enregistrements, contrôles sanitaires, et ne déchausser son masque que pour le contrôle d’identité. Tout le monde semble nerveux.
A Bangkok je prends un bus pour la gare routière. Je m’embarque dans un minivan pour Hua Hin. Le chauffeur est jovial, les passagers sont tous plongés sur leurs écrans de portable. J’observe le chauffeur, j’ai l’impression qu’il chante et qu’il danse. Il éteint la radio, mais il danse toujours! Ses mouvements sont saccadés et son visage se crispe, il est visiblement sous l’effet d’une drogue comme le « ICE». Sa conduite est concentrée mais il est hyperactif. Beaucoup de chauffeurs routiers prennent ces drogues pour ne pas ressentir la fatigue. C’est effrayant, mais les autres passagers se sentent en sécurité puisqu’ils ont mis un masque sur le nez, et les yeux sur leur portable.
A Hua Hin, je retrouve le petit hôtel construit sur ponton au-dessus de l’eau. Toutes les chambres sont libres ! Je peux choisir celle que je préfère.
Je me balade dans la station balnéaire déserte. La grande majorité des les commerces sont fermés. Partout il est écrit « à louer ». On m’explique que seuls les commerçants qui sont propriétaires des murs ont réussi à survivre.
Sur la plage, je m’assieds sur le sable, heureux de sentir le vent de la mer, je me retrouve couché, je ferme les yeux, je suis seul au monde, j’entends le bruit des vaguelettes je sens les grains de sables, le soleil couchant n’est plus trop agressif, juste assez chaud pour me remplir de joie.
27 aout
Les parasols ont été installés sur la plage et je prends place sur une chaise où je vais passer plusieurs jours à lire Harry Potter au son de la mer, en sirotant des jus de mangue. Les touristes (locaux ou internationaux) se compte sur les doigts d’une main.
29 aout
Je continue mon voyage en train. Masque obligatoire, mais comme j’ai pris le train en 3e classe, les fenêtres sont ouvertes et l’air circule. Les paysages de rizières, les forêts de cocotiers, les collines karstiques sont superbes. On traverse un orage effrayant, le ciel est noir, il faut dans l’urgence fermer toutes les fenêtres, il y a de l’eau partout dans le train, mais on continue joyeusement. Voilà pourquoi j’aime la 3ème classe.
J’arrive à Pratchuap, petite ville en bord de mer connue pour ses trois baies. Je croise plus d’expatriés ici qu’à Hua Hin. Je sens que le regard de la population a changé, nous sommes vus comme des gens qui vivent ici parce qu’ils aiment vraiment la Thaïlande.
5 septembre
Toujours en train, je remonte en direction de Chiang Mai. Je passe la nuit à Lopburi, la ville des singes. Suivant mes habitudes, je vais manger chez Noom, ils font une excellente salade de patates (une aubaine au pays du riz !)
22 septembre
Au café, je rencontre William par hasard, il me dit qu’il n’arrive plus à être concentré sur ses lectures comme avant, cette situation de virus le rend nerveux, il pense que tout est un complot, que le virus n’existe pas. Il me parle des grandes manifestations anti-masques avec enthousiasme.
A mon avis il y a les gens qui paniquent parce qu’ils ont peur du virus, et il y a les gens qui paniquent parce qu’ils pensent qu’il n’y a pas de virus mais un complot mondial. Dans les deux cas les gens vivent dans la peur.
Je veux croire à une voie médiane : un virus existe, il ne faut pas être effrayé mais rester prudent. William pense que je mets la tête dans le sable comme une autruche.

7 octobre
J’ai de nouvelles de Yves bloqué à Paris depuis six mois maintenant. Il va tenter une nouvelle fois de rentrer en Thaïlande à la fin du mois. Il semble que les frontières s’ouvrent lentement pour laisser rentrer ceux qui ont des visas en règle. Comme l’ambassade lui a (enfin) donné le feu vert, il constitue son dossier qui contient un billet d’avion (pas facile de trouver une compagnie qui n’annule pas ses vols), une réservation dans un hôtel de Bangkok accrédité pour la quarantaine obligatoire, un certificat d’assurance couvrant le coronavirus, et plusieurs tests dont un ultime qui devra être fait dans les 72 heures précédent le vol. Et tout ceci a un coût élevé.
10 octobre
Je vais faire un tour dans la partie la plus au nord du pays: Chiang Rai, Chiang Saen, Chiang Kham, Nan, Phare.
Sur les motos, les gens portent un masque mais pas de casque. Dans les voitures on porte aussi le masque mais on ne se soucie pas des limitations de vitesse et de la distanciation entre les véhicules. Je suis presque embouti par une conductrice qui, masque jusqu’aux yeux a complètement ignoré ma présence.
16 octobre
Dernière étape de mon tour, je passe la journée et la nuit à Phrae. Je vais à l’hôtel habituel, pour l’enregistrement on me prend la température et je dois me laver les mains avec du gel, mais surprise en entrant dans la chambre : il y a deux cafards énormes dans la salle de bains, puis, j’en vois une dizaine autour du lit. C’est trop horrible et je demande à changer de chambre. Le protocole sanitaire a ses limites.
Je voulais visiter la maison aux vingt piliers de teck, mais elle est fermée à cause de la pandémie.
Le soir, je mange dans un resto près de l’hôtel, à la télévision on voit les images des manifestations de Bangkok : des milliers de jeunes demandent des réformes dans le pays et la démission du premier ministre. Ils sont aspergés d’eau et de peinture par les forces armées. Des images violentes sont montrées sur l’écran. Sur Twitter on voit des centaines d’autres images et des commentaires rappelant que les manifestants sont non violents.

25 octobre
William m’envoie plusieurs vidéos de personnes qui demandent à l’armée française de prendre le pouvoir par la force. Ils veulent une révolution qui renverse un état profond qui ment et utilise un faux virus pour… je ne vais pas plus loin dans le visionnage de la première vidéo. Je réponds à William que je passe la journée à la campagne, que la vie est belle et qu’il ferait mieux de sortir plutôt que de rester enfermé dans des histoires paranoïaques. Il me répond que nous sommes à la veille d’un important virage sociétal, que le moment est trop grave pour être insouciant. – Toute conversation devient inutile.
28 octobre
Nouveau petit voyage. Première étape : Sukhothai pour passer la fête de Loy Kratong. Il y a peu de monde au parc historique et le traditionnel spectacle en costume est gratuit cette année pour les 900 premiers spectateurs. Il faut passer un contrôle de la température, se laver les mains avec du gel, inscrire son nom dans un registre, ne pas déchausser son masque. On fait la file calmement. On va s’asseoir en respectant les règles de distanciation. Le spectacle est superbe.
4 novembre
Jour de l’élection aux Etats-Unis. Je roule entre Nakorn Phanom et Roi Et. Je m’arrête régulièrement pour suivre le décompte des votes. Je suis alternativement enthousiaste par la probable élection de Biden et inquiet par la probable réélection de Trump.
15 novembre
Soirée chez Yves pour fêter son retour. Il nous raconte sa quarantaine qu’il a bien vécue parce qu’il était soulagé d’être enfin revenu. Mais il a passé deux semaines enfermé, ses seuls contacts avec le monde extérieur se sont faits par messages depuis son téléphone, les repas étaient déposés devant sa porte.
28 novembre
Je vais marcher avec mon ami Keng. Aujourd’hui nous prenons le « sentier des moines » qui monte à travers la forêt depuis l’université. Keng surveille les notifications sur son portable et pousse un cri : une fille de 28 ans a été testée positive au coronavirus à Chiangmai. L’histoire pourrait être banale si le pays n’était pas entièrement bouclé depuis huit mois. Il n’y a plus eu de transmission locale du virus depuis le mois d’avril. Elle est la première personne testée positive en dehors des quarantaines des arrivants.
Il se trouve que cette fille travaillait comme hôtesse dans un casino de la ville frontalière de Tachilek au Myanmar. Elle a passé la frontière illégalement pour rentrer en Thaïlande, puis a passé le week-end à Chiang Mai. L’office de surveillance médicale publie tout le programme de ses sorties. Elle est allé dans de nombreux bars, discothèques, restaurants, et a utilisé les services de Grab-taxi. Des centaines de personnes ont été potentiellement exposées, tous sont invités à se faire tester.
30 novembre
On apprend que la fille est rentrée en Thaïlande avec d’autres « collègues » du casino, plusieurs ont été testés positifs. On compte une dizaine de cas de contamination locale, Chiang Mai et Chiang Rai deviennent les épicentres de contamination, mais des épicentres d’une dizaine de cas, c’est tout relatif. Certains veulent parler d’une « deuxième vague », à croire qu’ils ont oublié à quoi ressemble un tsunami.

5 décembre
Je croise William au café près du lac de l’université. Il est très excité en m’expliquant que Joe Biden va bientôt se retrouver au bout d’une corde pour avoir volé l’élection, et il promet que tous les démocrates seront exécutés. J’essaie de garder mon calme face à son hystérie, mais comme je contredis son discours, il coupe la conversation, il veut continuer à « écouter les information » me dit-il et il rallume ses podcasts sur YouTube. Mon oreille indiscrète entend des personnes qui déblatèrent des histoires sans fondement, c’est ça que William appelle ses informations.
12 décembre
Je pars pour mon voyage de fin d’année. Je veux aller dans la province de Kanchanaburi, et passer quelques jours à Bangkok avant de revenir par la province de Loei. A Kampeng Phet, les gens qui sont inquiets quand ils voient mes plaques de Chiang Mai.
15 décembre
Mon ami Herbary est en quarantaine à Bangkok. Il vient de Hong Kong. Il en est à la moitié de sa quatorzaine. Comme son deuxième test est négatif, il a aujourd’hui l’autorisation de sortir de sa chambre et de se promener autour de la piscine, mais il ne peut pas se baigner. Je suis aussi à Bangkok mais n’ai bien sûr pas l’autorisation de le voir.
Bangkok, pour la première fois je loge dans le quartier « routard » de Kao San. De sa réputation sulfureuse avec ses bars ouverts toute la nuit il ne reste plus rien. Le quartier favori des touristes fêtard est désert ! Les hotels et guesthouse sont fermés, barricadés, même le Macdo a ses portes closes. Le soir, quelques terrasses ouvrent mais je ne vois aucun client! Jamais Bangkok ne m’avait semblé aussi calme.
19 décembre
Je suis arrivé aujourd’hui à Kanchanaburi. C’est ici que j’ai commencé l’année 2020, le petit hôtel au bord de la rivière est complètement vide et je peux choisir ma chambre. Presque une année s’est écoulée, si on m’avait raconté dans quel monde on allait vivre aujourd’hui j’aurais hurlé de rire. Heureusement, sous le pont, la rivière Kwaï coule toujours dans le même sens.
Le soir, je mange dans un des rares restaurants qui a survécu. Deux policiers passent et expliquent à tout le monde (nous ne sommes que deux tables occupées) que ce soir il n’est pas possible de consommer de l’alcool puisque demain aura lieu l’élection des gouverneurs des provinces. Le policier me demande d’où je viens et s’exclame qu’il rêve depuis toujours d’aller faire du ski en Suisse.
Surprise : les informations parlent d’un nouveau foyer épidémique : plus de 500 nouveaux cas dans la province de Samut Sakorn, juste au sud de Bangkok ! En un jour on a plus de nouveaux cas qu’en six mois.
Ce nouveau foyer épidémique s’est déclaré dans les baraquements des travailleurs migrants venus de Birmanie. Samut Sakorn est le plus gros marché aux fruits de mer du pays et emploie une main d’œuvre étrangère qui est meilleur marché. On n’explique pas comment les travailleurs migrants ont pu arriver dans le pays sans passer par des contrôles médicaux et une quarantaine à la frontière.
21 décembre
Je suis au bout du monde ! La petite ville de Sangklaburi est à une dizaine de kilomètres du Myanmar, tout autour il n’y a que la jungle sur des centaines se kilomètres et un grand lac né d’un barrage hydroélectrique.
En roulant autour du lac, je suis arrêté dans un barrage de police, on me prend la température et on me demande de porter le masque même à moto.
J’imagine que nous nous dirigeons vers un nouveau confinement. J’ai peur que les frontières provinciales se ferment. Si c’était le cas, je serais coincé dans ce patelin du bout du monde. A 10h30, je quitte Sangklaburi et commence le chemin du retour. A midi, je suis à Tong PaPoum. Aux informations ils annoncent plusieurs centaines de nouveaux cas dans presque toutes les provinces autour de Bangkok. Il ne faut pas trainer, je continue jusqu’à Kanchanaburi.
22 décembre
Les informations se font de plus en plus alarmante. Le virus s’est répandu dans toutes les provinces autour de Bangkok, Kanchanaburi n’est pas encore touchée mais ce n’est qu’une question de temps.
Je me suis dessiné un itinéraire par toutes les routes secondaires qui longent les forêts de l’ouest du pays. Je vais essayer de faire trois cent kilomètres. Les routes sont belles, quelques reliefs, de la campagne et des petites villes oubliées, je me perds une fois et me retrouve sur un chemin en terre à attendre que des buffles soient passés.
Il est midi lorsque j’arrive à la hauteur de Kampeng Phet, je m’arrête pour un énième café et j’apprends que ce sont six cents nouveaux cas qui ont été comptabilisés la veille. Le nombre de provinces touchées a explosé. On nous a imposé une fermeture complète du pays quand on avait soixante cas par jour. Aujourd’hui on en a dix fois plus, le confinement est proche, je ne veux pas rester prisonnier dans une province loin de Chiang Mai. Je reçois un coup d’énergie plus fort que si j’avais bu deux doubles expressos, je remonte sur ma moto bien décidé à rentrer à Chiang Mai au plus vite.
J’ai toujours dit que la panique était mauvaise conseillère, pourtant, par souci de vitesse je quitte les itinéraires secondaires pour la Nationale 1, la circulation m’épuise, j’ai les épaules tendues. Au coucher du soleil j’entre dans Lampang complètement arthrosé. Avec le coucher du soleil la température chute de presque vingt degrés en quelques minutes. Je vais dormir à Lampang, je garde les cent derniers kilomètres pour demain. J’ai roulé six cent soixante kilomètres aujourd’hui, un exploit que je n’ai pas envie de répéter.
Etrangement, il y a du monde à Lampang, je vois des voitures venues de Bangkok dans les rues. Mon resto préféré est complet. Je vais à côté où il n’y a personne: c’est un restaurant de fruits de mer (donc approvisionné à Samut Sakorn, le cluster).
23 décembre
Bien rentré, les rumeurs de confinement complet arrivent de partout, le gouvernement a annoncé une réunion de crise pour demain matin, tout le monde s’attend à des restrictions, il faut absolument arrêter la propagation du virus. Je vais au marché pour remplir mon frigo.
Chiang Mai, 31 décembre 2020
Finalement il n’y a pas eu de confinement, mais toutes les manifestations publiques du nouvel an ont été supprimées, les voyages interprovinciaux sont déconseillés, sur les routes des contrôles sanitaires sont installés et il est demandé d’installer des applications de traçage et d’observer une quatorzaine à son arrivée. La province de Samut Sakorn est entièrement bouclée, la moitié de la population blâme les birmans qui sont venus répandre le virus en Thaïlande et l’autre moitié blâme les employeurs qui ont profités de leurs réseaux pour faire entrer illégalement ces travailleurs bon marchés utiles à l’économie du pays.
Il est minuit, depuis mon balcon, je regarde quelques petites fusées colorées exploser dans le ciel.
Je regarde mon quartier que j’aime tant. J’imagine le nombre de personnes qui ont perdu leurs sources de revenu ces derniers mois, les plus chanceux ont pu se reconvertir en livreur à domicile pour Panda-food ou Grab.
A ce moment là, au Warm Up et Tha Chaang, deux clubs de la ville, des centaines de Thaïlandais appartenant aux clases privilégiées dansent autour des tables, des verres de whisky-soda à la main. Tous veulent enterrer cette horrible année 2020, pensant qu’avec une nouvelle année, la vie va reprendre un cours normal, c’est dans cette bonne humeur que le virus continue à se répandre.
Pour avoir un vaccin il faudra attendre le mois d’avril, on pense qu’à la fin de 2021 la moitié de la population sera vaccinée, les plus optimistes espèrent que la situation économique va reprendre des couleurs à la mi-2022.
Au mois de mars, les grands hôtels de Chiang Mai ont mis au chômage partiel leurs employés, leur offrant 70 pourcents de leur salaire et leur demandant de ne venir travailler que quelques jours par semaine, pour faire des travaux de maintenance dans les hôtels vidés de leurs clients. Au mois de décembre, voyant que la situation allait en s’empirant et que l’espoir d’un retour à la normale s’éloignait, beaucoup d’employés ont été licenciés avec effet immédiat moyennant une prime de deux mois de salaire. Les grands hôtels misent sur le tourisme local et les quelques longs week-end pendant lesquels la riche classe moyenne de Bangkok s’en va visiter les villes de provinces.
Malgré les assouplissements de la procédure d’entrée en Thaïlande, le pays n’a enregistré que 6556 arrivées pour le mois de décembre, c’est 99,8% de moins que l’année précédente. Sur l’ensemble de 2020, c’est un recul de 83% L’industrie du tourisme est à terre.
Pour ma part, j’ai passé les 366 jours de l’année 2020 sans quitter la Thaïlande, je ne suis jamais resté aussi longtemps. Egoïstement tout va bien, mais je n’aime pas être égoïste.
Toutes les photos ont été prise en Thaïlande en 2020 par © Fred Alix
wow …j’ai tout lu avec interêt. Chaque pays vit la pandémie différemment. Même au Canada , chaque province ne fait pas tout pareil. Pas de couvre-feu chez nous en Colombie-Britannique. Un des premiers cas dans la provinve était au bout de ma rue, dans un centre de personnes agées. Le masque, le lavage des mains, rester à distance des autres ( sauf notre petite famille).. comme tu dis en français nous on a dit c’est « The new normal ». J’ai été chanceuse d’aller passer quelques jours à Whistler en juillet. Tant que nous faisions des activités à l’extérieur nous ne sentions aucun danger. Bref… la deuxième vague est arrivée comme prévue. Je n’ai jamais paniqué … Dès le début de tout ça on a su qu’on allait devoir annuler notre voyage au Portugal/Espagne ( c’était prévu pour Septembre/octobre). Pas le choix , il n’y avait plus de vol vers Porto de toutes façon. Je n’ai jamais autant marché qu’en 2020. Mais je suis contente de garder la forme. En Novembre on a pu retourner à Whistler. Pas de soupers au resto mais on a manqué de rien ( pendant ce temps-là il y avait des peintres dans notre maison alors c’était bcp mieux qu’on ne soit pas chez nous).Pour les fêtes de Noel on n’a pas pu célébrer avec fiston et sa copine pcq ils n’habitent pas avec nous. On a pu aller marcher avec eux le jour de Noel et on leur a donne de la nourriture pour qu’ils aient un bon souper tradtionnel ! Pas de calins par contre. On est maintenant rendu au 2 février. On sait que nous ne pourrons pas voyager à l’extérieur du Canada en 2021. Nous aurons notre vaccin en juin ou après… Je suis très reconnaissante de tous les voyages faits depuis quelques années. On était avec toi il y a 7 ans !!! Il faudra être patient pour pouvoir partir en voyage … Merci de ce texte que j’ai eu bcp de plaisir a lire.