Au nord de l’Arakan, dans les montagnes de l’ouest du Myanmar qui préparent à la frontière avec le Bangladesh et l’Inde, se trouve l’Etat Chin. C’est dans cette région que l’on peut rencontrer aujourd’hui encore des femmes au visage tatoué.

(récit de voyage) – Le 13 mars 2011,
Je passe ma première matinée à Mrauk U, qui fut capitale de l’ancien Royaume d’Arakan, j’ai mal dormi mais je suis plein d’enthousiasme pour cette nouvelle journée dans cette région reculée du monde. L’air est très humide et chaud. Le petite ville est traversées de dizaines de petits cours d’eau. Des arbres poussent un peu partout et quelques maisons essaient de témoigner que la localité a été autrefois aussi importante qu’Amsterdam ou Lisbonne. (voir mon texte Arakan et Rohingya)
Nous ne sommes que quatre touristes à Mrauk U. C’est ce que j’ai compté. Un belge qui m’a regardé de haut quand je lui ai dit que je préférais marcher plutôt que de prendre un cyclopousse pour aller à mon guesthouse. Un touriste allemand aux cheveux hirsutes est mon voisin de chambre, et un japonais qui m’a parlé hier soir du terrible tremblement de terre qui vient de secouer le Japon, il est inquiet parce qu’il n’arrive pas à passer un appel téléphonique international depuis Mrauk U. Nous sommes en quelques sortes coupés du monde.
L’allemand hirsute me parle des femmes d’une ethnie chin au visage tatoué. Il me dit qu’il est possible de rejoindre les premiers villages de l’Etat Chin par bateau en remontant la rivière Lamyo. Un jeune homme qui habite au nord de Mrauk U pourrait servir de guide. Je suis intéressé, et nous partons d’un bon pas vers la maison de ce jeune guide. En chemin, nous croisons le touriste japonais et il se joint à nous.
Nous embarquons sur une barque longue et remontons la rivière pendant au moins trois heures heures.

On les appelle « Les Collines Chin » mais leur sommet culmine quand même à 3200 mètres d’altitude. On ne sait pas véritablement si cette région a fait partie du Royaume de Bagan (premier royaume birman entre 849 et 1287). Les chroniques de l’époque ne sont pas claires à ce sujet. Ceci démontre que la région n’était pas d’une grande importance. Il faut attendre le XIVème siècle, pour que les birmans contrôlent la région, mais une grande autonomie leur était accordée du fait que « Les Collines Chin » sont géographiquement très isolées.
A l’arrivée des britanniques, la région est incorporée à la division de l’Arakan. Le Mont Khonumtung, plus haut sommet de la région, est rebaptisé Mont Victoria. Dès 1890, les missionnaires américains commencent leur travail d’évangélisation.
En 1947, à l’indépendance, le leader Chin ne demande pas un Etat autonome. La «Division spéciale des Collines Chin » est crée en séparation de l’Etat d’Arakan en 1948.
Ce n’est qu’en 1974 qu’est né « l’Etat Chin » avec pour capitale administrative Hakha. Sa population en 2014 est inferieure à 500’000 habitants. C’est le seul état du Myanmar majoritairement chrétien (85%). Pour pouvoir visiter l’Etat Chin, les étrangers devaient obligatoirement demander des permis spéciaux et voyager sous la bonne garde d’un guide officiel. Depuis 2016, l’Etat s’est un peu ouvert, mais les routes sont très mauvaises et les touristes découragés par les très longues heures de transport et l’absence d’hébergements.
Il fait très chaud au moment où la barque va se planter contre un banc de sable et que l’on saute pour rejoindre les premières maisons d’un village sous les arbres. Le village s’appelle Kritchung, de nombreux enfants remarquent notre arrivée et courent dans notre direction. Le hirsute les prend en photo et joue avec eux. Je m’intéresse à la construction d’une maison. On attache des poteaux de bois pour faire une armature. Des panneaux d’osier tressés feront les murs. Sur le toit on mettra de la paille. Une dizaine d’hommes sont occupés sur ce chantier.
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Le jeune homme qui nous sert de guide me dit d’approcher d’une cabane. Une femme au visage tatoué sort la tête de la porte, Elle s’appelle Daw Mapruw. Surprise de nous voir, elle accepte qu’on la prenne en photo mais veut être mieux habillée. Son petit-fils vient l’aider à mettre une jolie blouse et sa petite-fille l’aide à marcher jusqu’à une chaise devant la maison. Daw Mapruw est née en 1911, elle va fêter ses cent ans dans quelques semaines. Elle est la doyenne du village, et probablement une des plus ancienne «femme tatouée» encore en vie. Le tatouage sur son visage ne représente rien de particulier sinon des lignes, comme des rides imprimées à l’encre bleue. Elle ne parle pas mais son regard est intense, elle m’impressionne beaucoup. Le petit-fils me demande de lui envoyer mes photos quand je le pourrai.



Un peu plus loin, une autre femme m’interpelle. Elle est en train de rassembler du bois sous sa maison. Elle semble très amusée par ma présence, elle me fait signe que je peux la photographier. Puis, elle enlève son fichu et se recoiffe. On essaie de se parler en faisant des gestes, je comprends qu’elle a une soixantaine d’année.


Nous retournons à la barque et remontons la rivière encore une quinzaine de minutes. Nous nous arrêtons au village qui s’appelle Pon Paung. Dix femmes au visage tatoué vivent dans ce village. Nous en rencontrons quatre. Les six autres sont à un marché à une dizaine de kilomètres.
En nous voyant apparaitre, les quatre femmes rigolent beaucoup mais quand elles comprennent qu’on aimerait les prendre en photo, elles nous demandent un instant pour pouvoir d’abord se recoiffer. Elles sont toutes les quatre très coquettes. Elles ont entre 60 et 75 ans. Peut-être plus, mais pas moins, impossible de savoir véritablement.
Le jeune guide s’assied avec elles, il y a une familiarité entre eux qui me fait penser qu’il est un neveu. Les femmes essaient dans un premier temps de prendre des poses sérieuses, mais très vite elles se font rire et tout le monde se détend.
Une des quatre nous montre une photo d’elle grand format. Elle est très fière de nous raconter qu’un photographe est venu il y a quelques années de très loin, il l’a prise en photo et son portrait a fait aujourd’hui le tour du monde.
Je pose quelques questions. Elles avaient entre 7 et 11 ans quand on les a tatoué. Quand je demande si c’était une fierté à l’époque elles me répondent que non ! c’était une souffrance. Une souffrance physique qui a duré plusieurs jours, puis l’incompréhension d’avoir été défigurée. Mais avec le temps, on apprend à en faire un atout. Depuis quelques années, la visite des curieux venus du monde entier les admirer les conforte dans l’idée qu’elles possèdent quelque chose d’unique et elles savent maintenant en tirer une grande fierté.
Cette coutume a été abandonnée dans les années soixante. Une loi du président Ne Win a interdit le tatouage du visage selon la coutume Chin. Toutes les femmes tatouées ont aujourd’hui (en 2011) au moins soixante ans. Je m’approche des femmes plus jeunes qui nous regardent en souriant, amusée par ces étrangers venus admirer les visages des grands-mères de leur village. J’aimerais savoir si elles regrettent de ne pas être tatouées. Non ! La réponse est catégorique, elles sont bien contentes d’avoir échappé à ça.
Elles nous offrent des pastèques et ensemble on mange en échangeant des regards amusés et quelques éclats de rire. Le japonais aimerait savoir comment on pille le riz et qu’il s’essaie sans grand succès à l’opération. Une des grand-mère se lève et lui montre le maniement des ustensiles.
















Selon la légende, un roi birman visitait la région des Collines Chin. La beauté des femmes l’a tellement impressionné qu’il en a enlevé une pour qu’elle devienne sa femme. Pour éviter que cela se reproduise, les villageois ont commencé à « enlaidir » les jeunes filles en leur tatouant le visage. Par la suite plus aucune jeune fille n’a été enlevée par un roi birman en voyage.
De manière plus générale, il pourrait s’agir d’une protection pour qu’aucun homme d’une autre ethnie ne mélange son sang avec celui des Chin.
Ces dessins sur le visage sont également des marques d’appartenance à la tribu, les différents motifs rappellent leur village d’origine.
Certains pensent qu’il s’agit de signes religieux liés à l’animisme. Certaines femmes aujourd’hui encore se feraient tatouer le visage pour se garantir la protection des esprits.
Si la légende racontée plus haut parle d’enlaidissement, tout le monde n’est pas de cet avis. Certains pensent au contraire qu’il s’agissait de marques de beauté. D’ailleurs, le maquillage au Tanaka que les femmes birmanes utilisent aujourd’hui encore (et les hommes aussi, mais dans une moindre mesure), pourrait rappeler les dessins de ces femmes chin tatouées.
toutes les photos ©fredalix, mars 2011

« Abandonne une coutume mauvaise, même si elle vient de ton père ou de tes ancêtres;
Adopte une coutume bonne, même si elle est pratiquée par tes adversaires »Le Vénérable Gampopa Sonam Richen (Tibet, XIème siècle)
Le vénérable était donc un sage….très belle histoire!
Très intéressant !
Tres impressionnant. Tes photos sont superbes. Quel reportage!