précédemment : le regard d’un ange
Hakka, 15 février 2019
De la chaleureuse vallée isolée de Gangaw, la route grimpe dans la montagne et suit les crêtes. Enfin! je suis arrivé en Pays Chin.

Comme rien n’est plat, les maisons des villages haut-perchés sont presque toutes construites sur des piliers. Sous la maison, c’est le vide, la pente de la montagne. Au centre de ces villages perchés se trouve une (ou plusieurs) églises. Il me reste encore 200 kilomètres jusqu’à Hakka.



Je poursuis ma route sur ma petite moto Honda, je trouve assez facilement de l’essence en bouteilles en plastique dans les villages pour ne pas tomber en panne sur cet interminable chemin de crête. J’arrive en début d’après-midi à Hakka, la plus grande ville de l’Etat Chin.

Des clans isolés du reste du monde
On les appelle « Les Collines Chin » mais leur sommet culmine à 3200 mètres d’altitude. Pendant longtemps cette région montagneuse, géographiquement très isolée, n’intéresse ni les Birmans à l’est, ni les Indien à l’Ouest, ni les Arakanais installés plus au sud au bord du Golf du Bengale.

A l’arrivée des colons britanniques, la région est incorporée à la division de l’Arakan. Le Mont Khonumtung, plus haut sommet de la région, est rebaptisé Mont Victoria. Dès 1890, les missionnaires américains commencent leur travail d’évangélisation.
Le 20 février 1948, après le départ des colons britanniques et l’indépendance de la Birmanie, la région devient autonome, les différents clans, unis pour la première fois, prennent la nationalité Chin.
Par le passés, ces peuples des montagnes se menaient des guerres de clans. Cela explique, qu’aujourd’hui encore, il n’existe pas une seule langue Chin, mais une dizaine, et que les habits et les coutumes divergent d’une région à l’autre.
Le Sud et le Nord
En octobre 2017, je suis allé dans la région de Mindat, au sud de l’Etat Chin. Une météo terrible et l’absence de route bitumée dans cette région montagneuse m’avaient alors empêchés de continuer la route vers le nord de l’Etat où je me trouve aujourd’hui (février 2019).
Ne pouvant parler les langues Chin, je ne vais pas vous faire croire que j’ai remarqué que les gens parlent un autre idiome à Hakka qu’à Mindat. Mais je peux vous confirmer que si les églises de Mindat sont catholiques, dans la région de Hakka (et dans tous les nord de l’Etat Chin), elles sont pour la plupart protestantes.
Les missionnaires catholiques ont converti les animistes du sud à leur croyance alors que ce sont les évangélisateurs protestants (américains) qui se sont attaqués à la conversion des animistes du nord.
En 2014, la population de l’Etat Chin est inférieure à 500’000 habitants. C’est le seul état du Myanmar majoritairement chrétien (85%).

La ville de Hakka est construite sur les deux versants de montagnes un peu moins pentues. Le centre est a une altitude de 1870 m. La ville est devenue capitale de l’Etat en 1968.

Chez Monsieur Tanguy
A Mindat j’avais eu la chance de visiter la maison-musée de Monsieur Robert (petit-fils d’un Chamane) qui m’avait dit posséder la plus importante collection d’objets de culture chin. A Hakka, je serpente dans les rues en pente à la recherche de la maison de Monsieur Tanguy qui, lui-aussi, a réunit chez lui une importante collection.
Monsieur Tanguy est assis devant sa porte comme si il m’attendait. Tout de suite il me fait entrer, me présente à sa femme et sa fille avant de me montrer les nombreux objets qui font sa fierté.

Peuple de chasseurs
Les Chins ont une longue tradition de chasseurs qui s’est mélangée à des rituels animistes. On chasse pour se nourrir, et on demande pardon à l’animal au moment de sa mise à mort. Les trophées de chasse, crânes, cornes deviennent des totems.



Monsieur Tanguy est un passionné. Il a rempli le sous-sol de sa maison d’arcs en bois ou en métal, de flèches, de tambours, d’ustensiles de cuisine, de colliers et parures et d’innombrables « trophées de chasse ». Objets hérités de sa famille mais aussi de ceux qu’il a collecté depuis plus de 30 ans: tous racontent le mode de vie des Chin, des chasseurs-cueilleurs animistes convertis au christianisme.
Au moment de partir, je veux payer ma visite et lui demande combien je peux lui donner. Il semble gêné et me dit que c’est à moi de voir. Je sors environ 3000 kyat, il me dit que 1000 suffiront.







Le soir, alors que je cherche un endroit où manger, j’entends de très beaux chants dans l’église baptiste Grace. Je m’approche, on me fait signe d’entrer. Surprise! alors que je pensais être l’unique étranger à des kilomètres à la ronde, je vois trois pasteurs américains venus gospeler la bonne parole. Ils s’expriment en américain et sont traduits en langue locale. Je m’assieds discrètement sur un banc au fond. Les chansons sont magnifiques, mais les prêches me semblent agressifs, ils m’agacent et je m’éclipse en direction du restaurant. (voir la petite vidéo en-dessous)

Je trouve un peu par hasard la maison du Révérend Saloman Van Hre. Il s’agit d’une maison de style traditionnel tel qu’on en voit presque plus. Pour me laisser la visiter, on va chercher la clé chez les voisins.



Musée national
Je voulais absolument aller visiter le Musée National Chin. Contrairement aux collections privées de Tanguy ou du Révérant Salomon, il s’agit d’un musée d’Etat qui dépend de Naypidaw (capitale du Myanmar). Si leurs collections ne sont pas très impressionnantes, on y voit exposé les costumes des différents clans qui constituent la nationalité Chin.
J’y apprends que les langues Chin étaient uniquement orales jusqu’à l’arrivée des missionnaires chrétiens qui ont utilisé l’alphabet romain pour traduire la Bible en langue locale. Pau Cin Hau, leader religieux né à Teddim a inventé en 1902 un alphabet pour la langue de Teddim qui est utilisable pour les autres langues chin. Cet alphabet d’origine iconographique ne sera utilisé que pour quelques documents religieux jusque dans les années 1930.


Fête national dans quelques jours
Le 20 février 2019, tout l’Etat Chin célèbrera le 71ème anniversaire de son unité. Dans le stade communal on prépare le décor qui servira aux festivités, danses, et autres manifestations culturelles.


Dimanche 17 février au matin.
Je sors à la recherche d’un café. Mais tout est fermé le Jour du Seigneur. Je me résigne à quitter la ville sans avoir pu boire de café. A la sortie de Hakka, un restaurant est ouvert. Alleluia! Un des évangéliste que j’ai vu à Grace Baptist Church y prend son petit déjeuner. Je tente de lui dire bonjour mais il évite soigneusement de regarder dans ma direction. Il ferme les yeux et dans une gestuelle impressionnante, demande à Dieu « please bless the food ». Je ne pourrai pas échanger avec ce missionnaire américain. J’aurais voulu lui poser quelques questions, mais il ne faut pas forcer. Je reçois mon café et c’est la meilleure bénédiction.
Après deux jours dans la région de Hakka, je continue ma route pour Falam à 50 kilomètres plus au nord, environ 3 heures de route sur les crêtes.

Le texte, les photos et la vidéo de © Frédéric Alix, février 2019 dans la région de Hakka, Etat Chin, Myanmar. – Carte : google map
2 réflexions sur « Voyage en Pays Chin – 1. Hakka »