Maison noire et Temple blanc

Chiang Rai, la cité septentrionale bâtie par le Roi Mengrai au 13e siècle, ancienne capitale du Lanna est aujourd’hui une ville d’artistes.

La Maison noire de Thawan Duchanee côtoie le Temple blanc de Chalermchai. Ces deux oeuvres d’art sont des constructions récentes, le temple n’est pas encore terminé. Ces deux figures représentent deux générations d’artistes contemporains du Nord thaïlandais.

Thawan Duchanee, né en septembre 1939 à Chiang Rai, est probablement l’artiste du Nord thaïlandais le plus connu sur la scène internationale. Devenu « Artiste national » en 2001, Thawan était peintre, architecte et sculpteur. Il a été notamment l’élève de l’artiste d’origine italienne Corrado Feroci.

(parenthèse utile) :
Corrado Feroci, né en septembre 1892 à Florence, professeur d’art, a été invité par le gouvernement du Siam sous le roi Rama VI en 1923. Sculpteur royal, puis professeur de scupture, il est devenu le directeur de la nouvelle université Silpakon (Beaux-Arts) en 1943. Il reçoit la nationalité thaïlandaise et change son nom en Silpa Bhirasri.
Il a été le moteur de l’art moderne thaïlandais, mais aussi son ambassadeur en participant à de nombreuses conférences en Europe.

Né dans une famille modeste à Chiang Rai, Thawan Duchanee a commencé des études d’art à l’âge de quinze ans à l’Art and Craft College grâce à une bourse du ministère de l’Éducation de Thaïlande. En 1958, il poursuit ses études au département de peinture, sculpture et arts graphiques de l’université de Silpakorn à Bangkok.

Thawan Duchanee aimait travailler la nuit, il collectionnait les cailloux du fleuve Mékong, passionné par les légendes issues des textes sacrés du Ramayana, il est notamment l’auteur d’une série de peinture présentant les personnages de cette épopée sacrée.

En 1975, Thawan commence à bâtir sa maison et au fil des années, le terrain compte plusieurs maisons et se transforme en un musée à ciel ouvert des oeuvres de l’artiste.

Le côté obscure

Ce qui prend le nom de Baan Dam, la Maison noire, est un mélange d’art traditionnel lanna et d’architecture moderne. Les oeuvres sont sombres et bien que présentant des sujets religieux et traditionnels, l’artiste a voulu mettre en avant le côté obscure. Cela lui a valu des fortes critiques, on l’a accusé de manquer de respect à la religion et certaines de ses oeuvres ont été détruites par des extrémistes bouddhistes.

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Du noir au blanc

Chalermchai Kositpipat est né en février 1955 à Chiang Rai, de père immigré chinois et de mère Sino-lanna. Il a côtoyé Thawan Duchanee dans le cercle des artistes de la région, il n’a pas été son élève direct mais a beaucoup appris de lui. Chalermchai va à son tour suivre des études d’art à l’université Silpakorn de Bangkok.

En 1988 il est chargé de créer les peintures murales du temple thaïlandais de Londres (le  Wat Buddhapadipa). Ce travail dure 4 ans. « J’ai reçu des plaintes de tout le monde – du gouvernement thaï, des moines et d’autres artistes, disant que ce que je faisais n’était pas de l’art thaïlandais », aurait-il déclaré en 1998.

Le Temple blanc

En 1997, il démarre ce qui sera le projet de sa vie. Alors que son maître a crée la Maison noire, il va construire Le Temple blanc.

Le Wat Rong Khun au sud de Chiang Rai est un temple abandonné, ses bâtiments n’ont pas un intérêt historique suffisant pour qu’ils soient rénovés, Chalermchai relève le défit et va tout rebâtir selon son idée.

Les visiteurs peuvent visiter le chantier et sont invités à faire des donations pour assurer son financement. Toutefois, c’est un patronage royal qui permet à l’artiste de mener son travail sans soucis. Il dédie le Temple blanc au roi Rama IX. Chalermchai prévoit de construire 9 bâtiments, à mesure que les travaux avancent, il devient clair que le projet ne sera pas terminé du vivant de l’artiste.

En 2011, Chalermchai reçoit à son tour le titre d’Artiste national.

C’est presque devenu un dicton : « Chalerm est le paradis, Thawan est l’enfer » เฉลิมสวรรค์ ถวัลย์นรก. Parce que les œuvres de Chalermchai se concentrent sur l’élévation de l’esprit, la propreté, le bouddhisme ou les histoires spirituelles. Alors que les puissantes œuvres de Thawan expriment le côté obscur et les fortes passions de l’esprit humain.

Il est à noter que le Temple blanc n’est pas un véritable monastère puisqu’aucun moine n’y réside. A-t-il été consacré ? je n’en suis pas sûr. C’est actuellement un musée privé que l’on peut visiter, les étrangers doivent s’acquitter d’un prix d’entrée depuis 2016.

Les peintures murales à l’intérieur du Wiha’n (bâtiment principal du temple) sont très étonnantes, on y voit Bouddha en super-héros côtoyant Batman et Doremon, on y voit des représentations de l’actualité de notre siècle (comme la destructions des Twin Towers) mêlées aux légendes ancestrales du Ramayana. Il n’est pas permis de prendre des photos de ces peintures.

…et encore quelques photos de la Maison noire :

Il n’y a pas moins de 40 structures et bâtiments sur le site de 16 hectares. Le plus grand appelé « La Cathédrale » a été construit entre 1999 et 2009. Un autre bâtiment emblématique construit en 1977 a été démoli 2 fois par des orages, il a donc été reconstruit 3 fois.

Impressions personnelles

Lors de ma première visite à la Maison noire en 2017, j’ai été choqué par toute cette noirceur, je me suis senti écrasé par ces poutres et ces toits aussi hauts. Je suis revenu en 2021, j’ai posé un regard différent sur le lieu, j’ai aimé y voir la végétation, les buffles en liberté, les bois sculptés me sont apparus plus harmonieux.

En 2022 je suis venu encore une fois pour filmer les images qui manquaient à ma video et j’ai compris que je me sentais à l’aise ici à la Maison noire où la nature est toute puissante, où l’ombre permet de mieux voir les détails, où même les bâtiments exagérément hauts semblent humbles sous les grands arbres.

Et à l’opposé, j’avais été « ébloui en bien » par mes premières visites au Temple blanc, mais à mesure que j’y suis retourné, j’ai trouvé que la nature y était sous contrôle, que l’ordre absolu empêchait l’esprit de partir dans une rêverie, et les yeux constamment aveuglés par la blancheur finissaient pas ne plus rien voir du tout.

le texte, toutes les photos et la vidéo © Frédéric Alix, de 2008 à 2023 Chiang Rai