Le Royaume du Champa a aujourd’hui disparu de la carte. Il se situait autrefois dans la partie sud du Vietnam et a été une des plus puissante organisation territoriale entre le IIème et le XVème siècle. Que s’est-il passé pour que ce pays disparaisse complètement ?

HISTOIRE DU CHAMPA – partie 2/3
En 1145, le roi d’Angkor (aujourd’hui Cambodge) lance une attaque contre le Royaume du Champa. Ce n’est pas leur première guerre, mais ce conflit-ci va durer 75 ans et va anéantir les deux royaumes issus de la même famille culturelle. Mais pourquoi ?
Dans la région, il y a trois grandes puissances : les Royaumes d’Angkor à l’ouest et du Champa à l’est, ils partagent la même culture indienne, et le Royaume Day-Viêt au nord, qui lui est de culture chinoise. N’oublions pas l’Empire chinois dans le rôle de l’arbitre partial!
Angkor crée une coalition et attaque le Dai-Viêt
Angkor, centre d’un royaume indianisé, est une des villes les plus importante au monde à cette époque. Suryiavarman II (dont le patronyme veut dire « Roi Soleil ») est le roi qui a étendu le territoire khmer à son apogée, annexant notamment le Royaume môn de Hariphunchai (Lamphun, Thaïlande) et menaçant les frontières du Royaume de Bagan (Birmanie). Georges Maspero, historien, le décrit comme «un prince belliqueux ».
En Chine, la dynastie Song veut se venger du Dai-Viêt qui lui a échappé politiquement il y a plus d’un siècle. Suryiavarman aimerait attaquer le Dai-Viêt. En 1116, il renoue les relations diplomatiques avec la Chine impériale et recommence à lui payer un tribut.
Ayant le soutient de l’Empire chinois, Suryiavarman attaque le Dai-Viet (l’ennemi de mon ami est mon ennemi) dès 1123 sans parvenir à un véritable succès. Il oblige le Champa a le soutenir dans sa guerre (l’ennemi de mon ennemi est mon ami).

Le Champa se retire de la guerre et signe la paix avec le Dai-Viêt
Cette guerre n’est qu’une série de défaite, le Dai-Viêt semble invincible. Le Champa ne veut pas continuer et signe la paix avec le Dai-Viêt, refusant de suivre Suryiavarman dans une nouvelle attaque.
Se sentant trahi, le belliqueux Suryiavarman attaque le Royaume Champa en 1145 et place son beau-frère sur le trône avec le titre de vice-roi.
Quatre ans plus tard, en 1149, suite à l’assassinat du vice-roi, le Champa retrouve son indépendance. La succession n’est pas facile. Les prétendants au trône cham sont nombreux. En 1167, après un bain de sang de plusieurs années, Jaya Indravarman IV, ancien dignitaire d’une précédente cour se présente, et demande l’investiture de la Chine (qu’il n’obtiendra pas à cause d’une maladresse diplomatique).
N’étant pas de lignée royale, Jaya Indravarman est considéré comme un usurpateur, mais son autorité est reconnue par le peuple. Son désir obsessionnel de se venger de l’occupation khmère l’a rendu populaire. Il commence par s’assurer la neutralité du Dai-Viêt (l’ennemi de mon ennemi est neutre) et cherche par tous les moyens de prendre Angkor.

La guerre à cheval, une révolution
Les espions chams infiltrés à Angkor font savoir que les forces des deux royaumes sont égales en nombre d’éléphants, la victoire n’est pas assurée.
En 1171, un officier chinois fait naufrage sur les côtes du Champa. Il enseigne au roi l’art de faire la guerre à cheval. C’est une technique révolutionnaire dans un pays qui ne connaît que les éléphants. L’année suivante, Jaya Indravarman envoie ses commerçants sur l’île de Hainan avec pour mission d’acheter le plus possible de chevaux.
Les Hainanais ne sont pas accueillant et refusent de faire affaire. Les Cham usent de violence et terrorisent les gens de Hainan jusqu’à ce qu’ils puissent repartir avec des chevaux.
La mauvaise conduite des Cham sur l’île de Hainan est remontée jusqu’aux oreilles de l’empereur de Chine. Cela provoque un nouvel incident diplomatique. Il interdit toute exportation de chevaux hors du territoire de son empire.
N’ayant pas plus d’éléphants que son ennemi, et ne possédant pas suffisamment de chevaux, Jaya Indravarman renonce à envahir le Cambodge par voie terrestre. Mais il a un autre plan.


Le pillage d’Angkor
En 1177, c’est par une expédition fluviale qu’il surprend les angkoriens. Suivant la côte, puis remontant le Mékong et enfin le Tonlé Sap, les Chams pillent Angkor qui se croyait imprenable. Ils se retirent en emportant un butin immense. Cette attaque est restée dans l’histoire khmère comme une humiliation sans précédent. Certainement aussi forte que l’a été 32 ans plus tôt l’attaque des Khmer sur le Royaume Champa.
La revanche khmère
Un jeune prince khmer de sang royal mène une série de batailles navales sur le Tonlé Sap entre 1180 et 1181 et chasse l’envahisseur au terme d’une bataille à Preah Khan. Le prince monte sur le trône d’Angkor sous le nom de Jayavarman VII.
Son nom est resté célèbre dans l’histoire. Jayavarman VII a terminé la construction d’Angkor Vat, et construit la cité de Angkor Thom. A son époque la population d’Angkor est d’un million d’habitants. Il a fait construire un très grand nombre d’hôpitaux dans tout le royaume mais aussi des gîtes le long des routes pour faciliter le commerce et la communication. Après l’apogée territoriale sous Suryiavarman II, c’est l’apogée sociale sous Jayavarman VII. Il est le premier roi khmer à suivre le bouddhisme et non l’hindouisme.

En 1191, l’Empire d’Angkor soumet une nouvelle fois le Champa et le divise en deux provinces.
« Il semble que cette annexion du Campa en même temps que d’autres territoires ait contribué à affaiblir le Cambodge qui, à s’être trop agrandi ne parvenait plus à contrôler ses possessions ni à maintenir sa cohésion. » (Pierre-Bernard Lafont, Le Campa, géographie, population, histoire)
Un nouvel ordre régional
En 1219, à la mort de Jayavarman VII, le monde Sud-Est asiatique a évolué. Les Môn et les Khmer, héritiers de l’hindouisme se retrouvent minoritaires face aux peuples « Taï » venus du sud de la Chine. Le Royaume de Sukhothai chasse les khmers de ce qui va devenir la Thaïlande.
Au cours des 200 ans qui vont venir, le Cambodge ne va cesser d’être en guerre avec le Siam (les Thaïs) jusqu’à l’annexion d’Angkor par Ayutthaya. (C’est à la France que l’on doit la rétrocession d’Angkor au Cambodge au XIXème siècle.)

Fin de l’hindouisme, fin de la sacralité royale
En 1220 le Cambodge se retire du Champa. 75 ans de guerres ont fragilisé les deux royaumes. Le peuple se rend compte que le roi n’est ni infaillible ni invincible : il n’est pas un dieu. Avec la désacralisation du monarque, ce sont les piliers de l’hindouisme qui s’effondrent.
La langue sanskrite est remplacée dans les textes officiels par une langue « vulgaire » comprise de tous.

La population se révolte de plus en plus souvent. Le roi n’est plus considéré comme une incarnation divine, il devient un chef politique, ne prend plus de nom de règne sanskrit, et ne se fait plus sculpter des statues parées des attributs du panthéon hindou.
« L’hindouisme, qui était mort lors de la disparition de l’aristocratie brahmanique, cède la place à des cultes autochtones en pleine renaissance, liés au terroir et tournés vers les sites géographiques, seule réalité tangible pour la masse de la population. L’explication hindouiste de l’univers n’a plus court. » (Pierre-Bernard Lafont, Le Campa, géographie, population, histoire)
En Inde, Delhi est un sultanat musulman depuis 1206. Une nouvelle génération de commerçants indiens musulmans débarque dans les ports d’Asie du Sud-Est. L’indianisation véhicule désormais l’islam qui fait son apparition au Champa.

Cette (dernière) période de l’histoire du Royaume du Champa semble s’être organisée sous la forme d’une fédération. Etait-elle gouvernée par les seuls Chams ou par un gouvernement poly-éthnique ? Po Dharma, dans son ouvrage « Le Panduranga (Campa) 1802-1835 » pose l’hypothèse d’une transformation politique qui aurait permis au Royaume Champa de survivre plus longtemps que les historiens ne le prétendent.
Le Dai-viet avance, le Champa recule
Le « Nam-tien », guerre d’expansion du Royaume Viêt vers le sud se concrétise par des prises territoriales définitives. En 1471, Vijyaya, la Capitale du Champa est pillée et rasée, on compte 20’000 personnes déportées et entre 40’000 et 60’000 personnes massacrées.
A partir de 1471 et la destruction de sa capitale Vijyaya, les historiens ne trouvent plus d’inscriptions relatives au Royaume de Champa. La majorité des survivants demandent l’asile au Roi du Cambodge. Je vous raconte la suite de l’histoire dans le dernier texte : Cham en exile.
Mais selon Po Dharma, c’est principalement l’aristocratie qui s’est exilée au Cambodge.



toutes les photos ©fredalix, Vietnam et Cambodge, 2004, 2009, 2017, 2018 – les photos sans légendes ont été prises au Musée Tourane à Da Tang (musée de l’art Cham).
LA SUITE (et fin) : CHAMS EN EXILE
Bibliographie :
Lafont Pierre-Bernard, Le Campa, géographie, population, histoire, Editions les Indes Savantes, 2007
Actes du séminaire sur le Campa, organisé à l’université de Copenhague le 23 mai 1987, La communauté cap au Cambodge du XVe au XIXe siècle par Mae Phoeun, CNRS
Maspeo Georges, Le Royaume de Champa, Librairie nationale d’art et d’histoire, Paris, 1928
Po Dharma, Le Panduranga (Campa) 1802-1835, ses rapports avec le Vietnam, Ecole française d’Extrême-Orient, Paris, 1987
2 réflexions sur « La guerre fratricide Cambodge / Champa »